Y’a plus rien qui goûte bon
MARIE-MICHÈLE RHEAULT
Illustration : Catherine Lefrançois
Y’a plus rien qui goûte bon depuis que le médecin m’a dit : « Madame, nous ne commencerons aucun traitement de fertilité tant que vous n’aurez pas atteint un IMC convenable. Perdez 30 livres et revenez dans trois mois. » Le verdict était tombé : j’étais trop grosse. Pire : j’étais trop grosse pour recevoir un traitement médical.
Y’a plus rien qui goûte bon depuis qu’on m’a fait changer de siège dans l’avion parce qu’« on essaie de ne pas mettre une personne qui a besoin d’une rallonge de ceinture devant une sortie de secours, c’est pas prudent ».
Y’a plus rien qui goûte bon depuis qu’une vendeuse m’a dit lorsque j’entrais dans sa boutique de vêtements : « Hmmm, je suis désolée, mais on n’a rien pour vous ici. »
Y’a plus rien qui goûte bon quand je me rends compte que toute goûte trop bon à ce souper d’ami.e.s et que je ne m’arrêterai pas de manger avant d’avoir mal au ventre. Ça goûte vraiment mauvais d’avoir au matin des effluves du saucisson de la veille parce que tu en as mangé à ne plus pouvoir le digérer.
Y’a plus rien qui goûte bon quand tu choisis quelque chose de « santé » au restaurant juste pour pas être jugée par les dudes de la table d’à côté.
Depuis que j’ai eu l’idée de devenir végétarienne juste pour maigrir.
Depuis que j’ai téléchargé l’application MyFitnessPal.
Depuis que j’ai eu l’idée de calculer mes calories.
Depuis que je me suis acheté une balance. Y’avait pas ça chez nous quand j’étais petite, une balance.
Y’a plus rien qui goûte bon depuis qu’un innocent m’a catcallée sur la rue depuis sa voiture : « Moé, je trouve ça sexy les grosses qui s’assument! »
Depuis que les grosses sont objectifiées sur les réseaux/applications de rencontres : objets de désir refoulé qu’on n’oserait jamais montrer au grand jour.
Depuis qu’on m’a dit : « Si tu n’étais pas autant à l’aise avec ton corps et que tu n’avais pas une vie sexuelle épanouie, ça t’aiderait à te motiver à perdre du poids. »
Y’a plus rien qui goûte bon depuis qu’on a reconfiguré les bancs d’autobus pour maximiser l’espace et minimiser le confort des usagé.e.s. Depuis que les set de patio sur les terrasses des restos et des bars sont tellement cheap qu’il me faut m’asseoir sur une seule fesse, retenant la moitié de mon poids durant toute la soirée, souriant tout de même.
Depuis que tous les gourous de la « remise en forme », de la diète cétogène, du programme transform de chez Nautilus ou du Beachbody me sautent dessus sur les réseaux sociaux pour me vendre des livres en moins ou le Saint-Graal de toutes les femmes : le « poids santé ».
Depuis qu’au gym, on m’a félicitée de me « prendre en main ».
Depuis qu’on nous passe en boucle à la télé des freakshows de médecins sauveurs qui « ramènent à la vie » des hommes et des femmes de 600 livres en leur faisant la morale et en pointant leur misère du doigt.
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C’est ma petite face dans l’image en haut de ce texte. La petite Marie-Michèle qui adore les spaghettis depuis 1982. Je me demande quand est-ce que ça a arrêté de goûter bon les spaghettis. Je me demande surtout quand est-ce que tout ce que je mange va arrêter d’avoir un arrière-goût de culpabilité.