Violence conjugale et maisons d’hébergement
LINH NGUYEN
Illustration : Virginie Larivière
J’ai entendu dire que ça voulait lire sur les maisons, alors je me suis dit que c’était un bon moment pour écrire un p’tit quelque chose en lien avec ma deuxième maison : la Maison des femmes de Québec, une maison d’hébergement pour femmes et enfants victimes de violence conjugale. J’en profite pour saluer l’équipe de lumineuses/juste-assez-folles collègues avec lesquelles je travaille, car sans elles, passer au travers cette crise serait aussi triste qu’une vieille motte de chou kale. Donc voilà, un petit billet sur la violence conjugale au temps de la COVID-19 t’attend sous ces lignes; un bref survol des conséquences du confinement sur les femmes qui vivent avec un conjoint violent et sur notre réalité en maison d’hébergement.
Je suis d’avis qu’en général, on n’est pas obligé d’avoir vécu quelque chose pour être capable de le comprendre. Vous pouvez donc imaginer c’que c’est que de vivre avec quelqu’un qui nous rabaisse constamment à grand coup d’insultes et d’exaspérations méprisantes, qui ne se gêne pas pour piger dans l’argent de l’épicerie pour SES cigarettes, qui vous fusille du regard dès que vous prenez votre cell bin relaxe pour regarder Facebook ou répondre à un message (et ça, c’est s’il ne l’a pas déjà tiré dans le mur en guise d’avertissement) et qui après vient s’excuser avec un beau bouquet de « je m’excuse », « tu trouveras jamais personne qui t’aime comme moi », « c’est ta faute », « y’a juste moi qui peut t’endurer » et le grand classique de tous les temps : « r’garde c’que tu m’fais faire ! ». En passant, ça, c’est grosso modo le cycle de la violence conjugale. Donc, astheure que tout le monde a l’image bien claire dans la tête, rajoutez à ce scénario perpétuel qu’il est impossible pour la conjointe de sortir ventiler avec des ami.e.s, d’aller dans les groupes de femmes pour essayer de comprendre ce qu’elle vit, d’appeler à une ligne d’écoute en violence conjugale pour du soutien, tout ça parce que son conjoint est 24 heures sur 24 dans les parages à épier tous ses faits et gestes. On pourrait dire que c’est une belle opportunité pour garder le contrôle à son maximum, hein ?
Et bien c’est l’enjeu auquel on a fait face au printemps, et cet été dans une moindre mesure, dans notre travail; l’impossibilité de rejoindre les femmes victimes en raison du confinement (ou plutôt, de se faire rejoindre par elles) sans les mettre encore plus en danger. Et pour celles qui réussissent à arriver dans une maison d’hébergement où il y a encore de la place (parce oui, sans surprise, les maisons sont souvent à pleine capacité), on s’entend que les recommandations de la santé publique ne s’envolent pas comme par magie. Elles sont les mêmes et nous les respectons quasi religieusement pour nous guider dans nos pratiques. Pour s’assurer de répondre à notre mission et rester ouvertes le plus longtemps possible, tout en rassurant les travailleuses, qui, on ne se le cachera pas, ont les mêmes inquiétudes que tout le monde (en passant, on n’est pas des anges gardiens. On n’a pas de super pouvoir, ni l’immunité contre le virus/l’anxiété qui vient avec. Mais on est des cr**s de combattantes), on s’entend qu’on doit maintenant alterner notre chapeau d’intervenante féministe avec celui de bourreau de la prévention. Et bourreau, c’est faible comme terme. Les femmes hébergées ne sont plus libres d’entrer et sortir comme avant, nous avons des règles plus-que-strictes sur les tâches et la nourriture, il y a moins de travailleuses sur le plancher et on passe quasiment autant de temps à désinfecter et à planifier des stratégies d’action qu’à intervenir. MAIS (notez les majuscules utilisées. Ce n’est pas pour rien.) MAIS, c’est mille fois pire de rester confinée dans une maison, dans un appart, avec un conjoint violent que de venir en maison d’hébergement où les femmes ne manquent de rien : ni d’écoute, ni de nourriture, ni de produits d’hygiène, ni de soutien dans leurs démarches, ni d’informations, ni de moments cocasses et agréables qui nous aident toutes à passer à travers les crises (sanitaires et conjugales) ensemble, solidairement.
Pour finir, j’aimerais vraiment sensibiliser les travailleuses et travailleurs de milieux essentiels, comme les pharmacies, les livreuses et livreurs, les dépanneurs ou les épiceries à la violence conjugale en temps de COVID-19. Si une femme vient vous voir, qu’elle vous dit qu’elle vit de la violence conjugale et qu’elle est confinée avec son conjoint, s’il vous plait, essayez du mieux que vous le pouvez de trouver un moyen pour qu’elle-même communique avec une ligne d’écoute, avec une maison d’hébergement ou avec la police si le danger est imminent.
Il y a aussi d’autres moyens si vous êtes en confinement et que vous vivez de la violence, donc je vous invite à utiliser et à partager le plus possible ces trucs-là :
- Allez à la pharmacie ou à l’épicerie pour acheter des médicaments ou produits et adressez-vous à une caissière ou à une pharmacienne pour qu’elle appelle une maison d’hébergement ou la police pour vous;
- Si vous vous faites livrer des denrées ou autres choses, glisser un mot d’appel à l’aide au livreur avec l’argent que vous remettez ou lorsque vous prenez votre sac;
- Laissez une note dans la boîte aux lettres de votre voisin.e en qui vous pouvez avoir confiance;
- Si vous en avez la possibilité, allez prendre une marche et apportez votre cellulaire ou approchez une personne qui marche aussi pour lui demander d’appeler une maison d’hébergement ou la police pour vous;
- Vous pouvez aussi écrire aux maisons d’hébergement (24/7) par le biais de nos sites Internet ou par courriel (le nôtre : maisondesfemmes.qc@videotron.ca). Il y a un lien rapide pour quitter et effacer l’historique sur les sites Web.
Ensemble, soyons un filet pour ces femmes et enfants victimes de violence conjugale.
Par téléphone: 1 800 363-9010 / par texto: 438-601-1211 (entre 14h30 et 22h, du lundi au vendredi) / par clavardage ici (entre 14h30 et 22h, du lundi au vendredi) / par courriel: sos@sosviolenceconjugale.ca (délai possible de 24 heures)
Par téléphone: 418-522-0042 (c’est ouvert 24 heures sur 24, gratuit et confidentiel) / par courriel : maisondesfemmes.qc@videotron.ca