Vignettes de combat
LE COLLECTIF FRANÇOISE STÉRÉO
Illustration : Nadia Morin
« Que resterait-il de la magie de l’enfance si l’apport de nos mères,
grand-mères, tantes ou autres femmes en était effacé? »
MamZell Tourmente, « Une critique féministe des lutins de Noël :
de la magie à l’invisibilisation des femmes »
« — Mon Dieu, que vous êtes donc mal embouchée, Madame Brouillette!
Regardez-moi, j’perle bien, puis j’m’en sens pas plus mal! »
(Lisette de Courval)
Michel Tremblay, Les belles-sœurs
Quand Laurence Côté-Fournier nous a proposé de diriger un numéro sur le thème de la « madame » et de la « matante », nous avons été intriguées. Il nous semblait évident qu’il y avait dans ces deux archétypes quantité de représentations à déconstruire et à analyser, qui pourraient contribuer à faire éclater ce que Laurence soulignait de manière juste, dans son appel de textes, les contraintes liées à ces deux « devenir-vieille ». Mais les spectres de la madame et de la matante sont complètement hors champ pour beaucoup de femmes. La crainte d’en devenir une ou d’être perçue comme un de ces deux antimodèles est un vécu spécifique, qui résonne surtout chez des femmes jeunes, blanches, éduquées, et qui évoluent dans des milieux où le rapport individuel à la culture joue beaucoup dans la considération des pairs. Bref, nous savions que ce numéro serait, pour plusieurs, libérateur, qu’il toucherait aussi à des questions d’identité et d’image de soi très profondes et personnelles, et qu’il donnerait lieu à une prise de parole collective forte qui pourrait ébranler un peu ces symboles. Nous savions aussi que ce numéro présenterait un groupe d’autrices relativement homogène, et au profil particulier. Mais les ethnologues le savent : ce n’est pas la taille d’une communauté qui détermine la valeur de son expérience du monde. Ajoutons que si les femmes que nous accueillons à cette occasion ne sont pas particulièrement privées de parole (la plupart proviennent du milieu littéraire, maîtrisent l’écrit, et jouissent de tribunes), elles peuvent rarement s’exprimer sur ces enjeux.
Le texte de présentation de Laurence met bien en valeur les textes de ce numéro et propose un tour d’horizon des sujets qui y sont abordés, tout en établissant entre eux les liens qui s’imposent. Nous proposons ici un panorama décousu des angles morts de ce numéro, des ébauches de sujets qui auraient pu se trouver dans ce numéro, des thèmes transversaux sous-entendus par la plupart des textes, mais jamais nommés, un complément de réflexion, des pistes pour la suite.
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La culture médiatique regorge de figures de matantes, toutes moins enviables les unes que les autres. La matante qui manque d’assurance, qui roule trop lentement sur l’autoroute, qui massacre la syntaxe, qui est facilement choquée par ce qui sort des convenances et de la culture consensuelle, la matante craintive et fermée d’esprit. Il y a aussi la matante exubérante, qui, elle, a un peu trop d’assurance : elle parle trop fort, son parfum sent fort aussi, elle lève un petit peu trop le coude, elle s’intéresse trop aux hommes; elle est, de manière générale, complètement désinhibée. Entre ces deux extrêmes, on retrouve la jeune (ou future) matante, tout sauf cool, ainsi étiquetée pour ses goûts ou parce qu’elle mène une vie rangée, la matante fatigante, trop maternelle envers des gens qui n’en demandent pas tant, la matante pincée, rigide et stricte, et on en passe. Bref, la tante, c’est un peu comme la mère : elle est toujours trop ou pas assez.
Par souci d’honnêteté et d’ÉQUITÉ, faisons tout de même remarquer que la figure du mononcle n’est pas plus reluisante. Attention, cependant : le mononcle a beau être ridicule, cochon ou raciste, ça ne l’empêche pas d’avoir du pouvoir, et d’être, par exemple, un homme d’affaires, un avocat ou un député. Or, la matante, elle, est ridiculisée précisément pour les dimensions de sa vie sur lesquelles elle exerce un certain pouvoir : son apparence, son comportement, ses goûts… Combien de fois a-t-on posé, dans la critique culturelle, le poids des matantes, en tant que public, comme un problème?
Cette figure repose pourtant sur un type de lien familial fort et riche. La filiation avec la tante, qu’elle soit par le sang, par alliance ou par amitié (on est parfois comme une tante pour les enfants de nos ami.e.s les plus proches) est un lien le plus souvent bienveillant, complémentaire au rôle de parent, car moins fondé sur l’autorité. Que ces représentations négatives de la matante nous disent-elles de notre rapport à la famille élargie, en particulier aux femmes qui la composent?
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Certaines n’aiment pas se faire appeler « madame ». Nous proposons par ailleurs d’interdire au personnel médical de s’adresser aux mères en remplaçant « madame » par « maman ».
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L’arrivée imminente de Noël vient rappeler à celles qui l’auraient oublié que le travail domestique et le care ont un genre. Dans plusieurs des textes de ce numéro, ce constat est sous-jacent; s’y déploient des représentations de femmes (matantes ou madames) qui normalisent le travail émotif, domestique et de reproduction, ainsi que le monde de l’esthétique (celle qui ne relève pas du monde de l’art) comme étant féminins. C’est évidemment pour s’en distancer, pour montrer comment tout cela est vécu comme une injonction, et comment ne pas s’y identifier, même volontairement, vient avec son lot de jugements et de sentiments d’échec. Il ne faudrait cependant pas oublier que ne pas se conformer aux normes de genre est un luxe que toutes ne peuvent se payer, que pour d’autres, il s’agit d’un combat mené dans l’adversité complète et qui les expose à la violence.
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« Madame » est un titre de civilité qui a longtemps désigné la femme mariée. Aujourd’hui, le terme est employé dans le cadre de relations distantes, plus formelles, en dehors de la sphère familiale et intime (on n’appelle plus sa belle-mère « madame »). Il n’est cependant pas nécessaire d’en faire usage envers une femme pour se la représenter comme une madame. Alors qu’il est possible de décliner la madame en fonction de son capital économique (des madames, voisines, des Belles-sœurs jusqu’à la madame PDG, et tout ce qu’il y a entre les deux), la matante, elle, semble exister totalement en dehors de ces considérations. Les madames et les matantes que nous nous plaisons à imaginer ont cependant une chose en commun : elles sont des figures étroites, bien circonscrites qui, dans leurs incarnations « négatives », représentent l’altérité totale. Elles sont des antimodèles, sur lesquelles on reporte tout ce qu’on n’est pas et ce qu’on ne veut pas être, ou ce que l’on devient malgré soi. En ce sens, elles portent en creux les fondements de l’identité de nos identités, fondements qui sont remis en question à mesure que leurs circonstances de vie se transforment, que le temps passe.
Il n’y a pas de madame PDG dans ce numéro, pas de riche matante adepte du golf ou propriétaire d’un yacht.
On veut toutes devenir une vieille hippie riche. Ou vivre dans un roman de Jane Austen, c’est selon.