Un film de chasse de filles : entrevue avec la réalisatrice Julie Lambert
JULIE VEILLET
Écouter Un film de chasse de filles, ça donne le goût de se promener en quatre-roues, de marcher dans la bouette dans le bois et même (oui, je sais…) de tirer du gun! Faire une entrevue avec Julie Lambert [1], ancienne travailleuse sociale devenue cinéaste et réalisatrice du film, ça donne le goût de faire tout ça… avec elle!
Après avoir vu ce documentaire sur la pratique de la chasse au féminin paru en 2014 et dont j’avais beaucoup entendu parler, j’ai tout de suite eu envie de discuter de la démarche entourant ce film avec celle qui l’avait réalisé et ça tombait bien, parce qu’on avait un numéro sur le sport en préparation et qu’en plus, Julie Lambert a immédiatement accepté mon invitation lorsque je l’ai contactée.
J’avais vraiment hâte de poser des questions à Julie sur les raisons qu’il l’avait poussée à s’intéresser à ce sujet, à aller rencontrer des amoureuses de la chasse (et pas amoureuses à moitié, laissez-moi vous le dire!) et à transposer ces rencontres dans un film. Mon père a toujours chassé (bon, ça fait un petit bout de temps qu’on n’a pas mangé d’orignal, mais il n’est pas moins passionné, je vous le jure), alors j’avais une compréhension de base de ce en quoi consistait la pratique sportive de la chasse, mais je dois avouer que j’entretenais tout de même quelques préjugés par rapport à tout ça et que mon opinion sur les armes à feu est plus que mitigée [2]. Et je n’étais pas la seule à entretenir des idées préconçues sur la chasse. En tant qu’ancienne végétarienne (par conviction), Julie aussi! «J’avais une réelle peur des armes à feu. J’avais aussi comme préjugé que la chasse était cruelle, que les chasseurs étaient cruels, jusqu’à temps que je comprenne que les vrais chasseurs, ce sont les plus grands amoureux des animaux et de la nature. En dehors de la chasse, s’il y a un cerf qui est blessé, un orignal qui est blessé, ce sont les premiers à les aider.»
Photo: Hélène Bouffard
C’est lors d’un voyage en Gaspésie, en pleine saison de la chasse, alors que plusieurs de ses ami.e.s chassaient et qu’il y avait des orignaux partout («Je capotais! Je ne voulais pas sortir!») que l’idée du film lui est venue : «Je voyais mes ami.e.s, qui ne sont pas des gens cruels, en action et je voyais leurs yeux qui brillaient tellement, alors je me suis dit : « Mon dieu, il y a quelque chose que je ne comprends pas. »» Par un tour de force, les ami.e.s de Julie ont réussi à la convaincre de goûter à de la viande d’orignal («J’ai vécu un moment!») et petit à petit, elle a recommencé à manger de la viande. Puis, lors d’un autre voyage chez des ami.e.s chasseur.se.s, elle est tombée sur une feuille d’inscription pour un cours de maniement d’armes à feu, et a découvert à sa grande surprise que plusieurs des participant.e.s étaient des femmes. Réalisant que la pratique de la chasse par les femmes prenait de plus en plus d’ampleur au Québec, Julie a eu envie d’en parler dans un film.
À force de bouche-à-oreille, elle a réussi à regrouper quatre femmes de différents âges (Florence, Megan, une très jeune chasseuse, Hélène et Jannie) qu’elle a suivies dans leurs sorties de chasse et questionnées sur leur pratique. En plus de mettre en scène des passionnées de chasse, Julie souhaitait aussi et surtout présenter des gens qui chassent pour se nourrir. «J’ai vu leur congélateur, y’a aucune viande d’épicerie là-dedans là! […] Moi, ça m’intéressait de me mettre en position pour comprendre ma place dans la chaîne alimentaire. De me sortir la tête de l’eau et de me dire : « Si je mange quelque chose, y’a quelqu’un qui l’a tué quelque part. »»
Mais ça ressemble à quoi, l’univers d’une femme qui chasse? À quoi est-elle confrontée? Qu’est-ce qui différencie la chasse des femmes de celle des hommes? «Florence [la chasseuse la plus âgée du film], ça fait 30 ans qu’elle chasse toute seule. Elle a commencé à l’époque où il n’y avait aucune fille qui chassait. C’est parce qu’elle a un bon caractère là! Son beau-père l’a amenée à la chasse quand elle a commencé et il la mettait tout le temps dans un endroit où il savait qu’il n’y avait pas de chevreuil qui passait. Un moment donné, elle s’est tannée, elle a construit sa cache. Son mari ne chassait pas, il l’attendait avec un petit verre de brandy à la maison. [Rires] Elle, elle a vécu ça, donc. Elle venait enregistrer un animal avec un gros panache et là les gars lui disaient : « Ben voyons, vous l’avez pas sorti toute seule » ou « C’est pas vous qui l’avez chassé ». Moi, dans les contextes de chasse où je suis allée, dans la famille de Megan par exemple, on ne sent pas ça. Le père est fier justement quand sa fille chasse. C’est autre chose. […] Mais je sais que ça existe encore. Dans ma recherche, il y a des endroits où on devait aller tourner et on s’est fait refuser le tournage en se faisant dire qu’il n’y aurait pas de fille qui allait rentrer dans le bois. Ça se peut encore. Y’en a de moins en moins, mais… C’est comme si la chasse, c’était la dernière chasse gardée masculine au Québec, mais ça change, c’est en train de prendre le bord.»
Parler à des femmes chasseuses et les suivre dans le bois, c’est bien, mais en bonne documentariste qu’elle est, Julie ne pouvait pas en rester là et se contenter d’observer. Elle s’est donc plongée dans la pratique aussi et a elle-même fait son expérience de chasse. Après avoir suivi son cours de maniement d’armes à feu, avoir participé à Fauniquement Femme Latulippe, un programme spécialement conçu pour les femmes souhaitant s’initier aux techniques de chasse et de pêche, et avoir baigné pendant plusieurs années dans l’univers de la chasse, elle s’est finalement lancée. Alors, ça fait quoi d’abattre un animal pour la première fois? «Dans ma recherche, chaque fois que je demandais aux filles ce que ça fait d’abattre un animal, […] les filles ou les gars en fait, c’est comme une question où les gens bafouillent. Personne n’est capable de dire précisément ce que ça fait parce que ça fait en même temps plein d’affaires. T’es sur un un méga high d’adrénaline, ç’a monté pareil comme si je venais de sauter en deltaplane, et en même temps, je viens de tuer un être vivant, alors ça confronte. Moi, en plus, on l’a cherché pendant trois heures avant de le retrouver [le chevreuil qu’elle venait d’atteindre par balle]. Je capotais, je voulais mourir. […] J’étais dans un état là… Fallait que je le retrouve! C’était hors de question [que je ne le retrouve pas]. Et là Hélène [la chasseuse qui l’a accompagnée] me disait : « C’est pas grave Julie, si on ne le retrouve pas, y’a des ours et des loups qui vont te remercier. » J’ai dit : « J’m’en fous là! C’est moi qui va le manger! » Je voulais juste le retrouver. Quand je l’ai retrouvé, il était froid, alors j’ai vu qu’il n’avait pas souffert. […] Donc, c’est toutes sortes d’émotions qui te passent dans la tête.»
Après cette première expérience intense, et après avoir mangé la viande du premier chevreuil abattu de ses propres mains, Julie a considérablement modifié son rapport à la viande et à la nourriture en général. «Chaque fois que je mange de la viande et que je ne sais pas d’où elle vient, ça me chicote. Encore plus loin que ça, des fois je regarde, je sais pas moi, un concombre, et j’essaie de penser à tout ce que ça prend comme ressources. Je ne suis pas devenue une méga philosophe de ça, mais j’ai plus cette conscience-là, par exemple, du gaspillage.»
Bon là, j’entends certaines d’entre vous me dire : «Mais la chasse là, c’est pas vraiment un sport, non?» Eh bien, à voir Florence se débattre à essayer de sortir du bois le chevreuil qu’elle vient de tuer, laissez-moi vous dire que c’est difficile d’en douter! Oui, la chasse, c’est souvent de longues heures à attendre dans sa cabane, immobile et silencieuse. Mais c’est aussi ressentir le gros rush d’adrénaline quand vient le temps de tirer, c’est être physiquement capable d’encaisser le coup de la carabine, c’est repenser son rapport à la nourriture, c’est traîner tout son matériel matin et soir de son camp à sa watch, et c’est parfois aussi marcher durant des heures dans le bois pour essayer de retrouver le chevreuil qu’on vient de tirer, pas vrai Julie?
Un film de chasses de filles est en vente en DVD, disponible en location sur Viméo et sera présenté prochainement sur les ondes de TV5 Monde.
Pour en savoir plus sur les femmes dans l’industrie du documentaire et, plus globalement, sur les femmes réalisatrices, on vous invite à visiter le site des Dames du doc-Réalisatrices équitables.
[1] Julie Lambert est une ancienne travailleuse sociale. Après quelques années de pratique, très inspirantes, mais également très difficiles émotionnellement, elle décide de recommencer à faire de la photo, passion qu’elle entretient depuis toujours. Petit à petit, la photo la mène vers le cinéma. Elle retourne à l’université en études cinématographiques, puis participent à différents projets (notamment un s’apparentant à la Course destination monde) qui la mènent vers le documentaire.
[2] Je n’entrerai pas ici dans des considérations entourant le registres des armes à feu puisque ni Julie ni moi ne nous sentons suffisamment outillées pour en débattre. Mais je considère que cette question ne peut être écartée de la pratique de la chasse et que ce débat mérite d’être tenu.