Uassat ukashekau-aimunuaua

Neige lilas

JULIE VEILLET

 

Uassat ukashekau-aimunuaua – La voix fière et heureuse des enfants, c’est le titre de l’ambitieux projet d’écriture développé par l’Institut Tshakapesh et mené par les écrivaines Joséphine Bacon et Laure Morali. Le but du projet : faire écrire les jeunes des dix communautés innues du Québec – Pessamit, Matimekush, Pakut-Shipu, Unaman-Shipu, Nutashkuan, Ekuanitshit, Uashat, Mani-Utenam, Essipit et Mashteuiatsh – par le biais d’ateliers de poésie donnés par les deux auteures d’expérience.

L’Institut Tshakapesh, à l’origine de ce projet, est un organisme basé à Sept-Îles dont la mission est de dispenser aux communautés innues des services de qualité dans les domaines de la langue, de la culture et de l’éducation, dans le but de préserver la langue et la culture innues[1]. Conception de programme d’enseignement de la langue innue et de matériel pédagogique, promotion et sensibilisation, formation, recherche et autres, les champs d’intervention de l’Institut sont multiples et leurs réalisations, riches et variées. Mais Uassat ukashekau-aimunuaua a ceci d’exceptionnel qu’il réunit pour la première fois des jeunes de toutes les communautés innues autour d’un ambitieux projet littéraire, qui mènera à une publication bilingue, en innu-aimun et en français, au printemps 2017.

Pour mener ce projet d’envergure, l’Institut Tshakapesh a fait appel à deux poètes d’expérience, Joséphine Bacon, figure emblématique de la littérature des Premières Nations, et Laure Morali, auteure habituée des ateliers de poésie et dont le travail éditorial vise à créer des ponts entre les différentes cultures qui cohabitent sur le territoire.

Cette dernière donne des ateliers de poésie dans les communautés depuis 20 ans. Elle en a donné notamment dans des écoles québécoises, en Haïti, en France et dans les communautés autochtones, spécialement chez les Innus, où elle retourne tous les trois ou quatre ans. « Le premier atelier, je l’ai donné de ma propre initiative, en 1996 à Mingan. Les autres, je les ai donnés dans le cadre de La culture à l’école [un programme gouvernemental visant à soutenir financièrement les activités culturelles présentées dans les écoles]. […] Là, c’est un peu suite au livre Mingan, mon village l’album jeunesse[2], qui a beaucoup plu à la directrice [du secteur langue et culture] de l’Institut Tshakapesh, Yvette Mollen, qui a eu envie de réunir tous les jeunes de toutes les communautés [innues]. Comme ils sont assez éloignés les uns les autres, ça les rassemble autour d’un projet commun. »

En effet, les communautés innues sont passablement dispersées sur le territoire de la province, certaines se trouvant très au nord, près de Schefferville par exemple, et d’autres étant situées plus au sud, notamment dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Malgré les distances parfois très grandes qui séparent chacune d’entre elles, les deux auteures les visiteront toutes dans le cadre du projet pour y offrir des ateliers d’écriture de poésie. « On est allées dans six communautés jusqu’à présent à l’automne et au printemps, il nous en reste quatre. C’est des gros voyages, des gros déplacements. »

Elles restent environ une semaine dans chaque communauté et selon les endroits, elles voient entre 20 et une centaine de jeunes à qui elles enseignent les rudiments de la poésie. Les sujets abordés dans le travail d’écriture sont divers d’un jeune à l’autre, d’une communauté à l’autre : « On essaie un peu de leur faire mettre en évidence les différences, les spécificités de chaque communauté. On les fait écrire sur leurs lieux, leur culture, des récits traditionnels que Joséphine ou d’autres personnes leur racontent, et aussi sur eux-mêmes, leurs émotions, leur présent en tant que jeunes. […] Ça dépend des âges, de ce qu’ils connaissent de la poésie, de leur langue et de leur culture. Quand on parle de la langue et des récits traditionnels, ils sont tout de suite très inspirés. »

Les deux auteures voient des jeunes de tous les âges, de la maternelle à secondaire 5, et offrent les ateliers à la fois en français et en innu : « [Les ateliers], on les fait bilingues. On les laisse libres d’écrire dans la langue de leur choix, mais on les encourage quand même à partir de l’innu. » Tous les poèmes écrits par les jeunes dans le cadre des ateliers seront d’ailleurs traduits dans les deux langues, en vue de la publication du livre.

Des illustrateurs de chaque communauté seront également mis à contribution pour mettre en images l’imaginaire de ces poètes en herbe. Le recueil qui résultera du projet présentera donc le visage de la jeunesse de toute une nation. L’Institut Tshakapesh vise une diffusion large pour la publication. En plus d’être présentée dans les salons du livre autochtones ou allochtones du pays, elle sera également proposée aux écoles non autochtones du Québec comme outil de rapprochement, souhaitant que l’ouverture d’esprit, la sincérité et la créativité des jeunes auteurs favorisent une meilleure connaissance du monde autochtone. On le souhaite aussi.[3]

Quelques réactions de Laure Morali et Joséphine Bacon sur leur expérience après leur visite à Ekuanitshit: https://www.facebook.com/ekuanitshitmdc/videos/vb.142225175987821/536126403264361/?type=2&theater

 

Quelques poèmes qui se retrouveront dans le livre :

 

Pessamit

 

Nukum akushu

Nuapamau Manitu nimu

Ashit uashtuashkuana

Tshetshi natakuiat nukuma

Patshianitshuapit nete minashkuat

 

Ma grand-mère souffre

Je vois l’Esprit danser

Avec les aurores boréales

Pour soigner ma grand-mère

Sous la tente là-bas dans la forêt

 

Pishim(u) mak Utshekatakuat

Uitsheutuat anite ishpimit Tshishikut

Tshuashtenitamakanuat

 

Les étoiles, des soleils

Que l’on voit de très loin

Nous font briller

Dans l’espace

 

Kakatshu-utshishtun

Upau nuash uashkut

 

La montagne du Nid du Corbeau

Vole très haut

 

Tipishkau pishim(u)

nutekuashu uinapekut

Manitu ussishikaku kakatshua

Tshetshi uapamat akushiunua

Ka ushtuenitaminiti mak

Ka minuenitaminiti

Nimu tshetshi minueniuniti

 

Il fait nuit

Le soleil s’endort dans la mer

L’Esprit emprunte les yeux du corbeau

Et voit qui sont les malades

Les gens heureux ou tristes

Il danse pour que tous soient heureux

 

Manitu utamueu teueikan

Kau inipitsheu

Auassa

Aueshisha

Ka inniumakat assit

 

L’Esprit joue du tambour

Pour redonner vie

Aux enfants

Aux animaux

À tout ce qui vit sur terre

 

Maikana nakatuenimakuat

Apu tshi matshi-tutakuat matshi-manitu

 

Les loups gardiens les protègent

Des mauvais esprits

 

Teueikan tshitutaikanu pishimut

 

Le tambour nous mène vers le soleil

 

Jade, Meggie, Ulrick, Elie, Layna-April, Keysha, Mathias, Kylann, Abigaëlle, Haylie, Dylan, Laeticia, Patricia, Amélie, Nuten

4e année

 

 

Matimekush

 

Ute Matimekushit uetakussit

Shushkuataikanu minashkuat

Auat kamakuenishiht pitutueueshpueuat

Anite shatshitun mak e metuanut

Takuan uitsheuakanitatun

Mitshishu mikun kunuenitam(u)

Uitsheuakanitatunu miam anite

Kashushkataishit « Mitshishu Mikuan »

Ka ishinikashutau teuat kashatshitut

Minuatamuat minashkuat etatau minu-neneuat

 

À Matimekush

il y a les soirs de hockey

entourés de forêts

où même les policiers

accumulent des points

entre l’amour et le sport

il y a l’amitié d’une plume d’aigle

comme dans l’équipe Mitshishu Mikuan

les couples merveilleux

trouvent la liberté

de respirer la forêt

 

Sarah-Maude, Yanika, Hayden, Noémie, Jayden, Kelly, Josh

5e et 6e année

 

 

Nutashkuan

 

Pimute, pimute, pimute

Marche, marche, marche

 

Nete minashkuat

Vers la forêt

 

Natshi-kusse

Matamekush

Pêche une truite

 

Pimute, pimute, pimute

Marche, marche, marche

Nuash shipit

Jusqu’à la rivière

Anite ka inniut

Utshashumek(u)

Là où le saumon

Retrouve sa naissance

 

Pikashimui, pikashimui, pikashimui

Ashit matamekush mak Utshashumek(u)

Nage, nage, nage

Avec la truite et le saumon

Nete paushtikua

Escalade les cascades

Tshetshi kau inniniuini

Pour rejoindre la source de ta vie

 

Utshashumek(u) kau natam(u) anite ka inniut

Le saumon se dirige vers sa naissance

 

Aiden, Alexandre, Kisiss, Peter, Matthew, Maddox

3e année

 

 

Ekuanitshit

 

Nashipetamit mak eshat

Mishta ishpitenitakuashuat ka utishkuemit

Anita niteit

 

La plage et ses coquillages

Grande famille

Importante pour mon coeur

 

Tammy

3e année

 

*

Nin mak nimushum

Shashish apu uapamatan

Nanitam tshinatshi kussetan

 

Moi et mon grand-père déjà

Depuis longtemps que je ne le vois pas

On allait toujours à la pêche

 

Muananiss

3e année

 

*

 

Utshashumek(u) ute shipit

Mishtameik(u) uitsheueu atshikua

Ekuanitshit kakatshuat upauat ashit anishenniuia

 

Le saumon dans la rivière

La baleine se promène avec le phoque

À Mingan le corbeau vole avec l’aigle

 

Jade

3e année

 


 

[1] https://www.tshakapesh.ca/fr/mission-et-valeurs_120/

[2] https://www.lauremorali.net/p/bio.html, https://revue.leslibraires.ca/nos-libraires-craquent/litterature-jeunesse/mingan-mon-village

[3] À lire aussi, le poème à quatre mains de Joséphine Bacon et Laure Morali.