Transmettre quoi, au juste? Ma check list de mère

MARIE-NOËLLE BÉLAND

Illustration : Catherine Lefrançois

 

L’appel de texte de Françoise Stéréo sur le thème de la transmission m’a ramenée à ma principale responsabilité des huit dernières années : être mère. Le rôle de parent n’est-il pas, au fond, qu’une série de gestes quotidiens de transmission? Jour après jour, comme la plupart des parents du monde, je transmets, de façon consciente ou inconsciente, un nombre incalculable de mots, d’expressions, de savoirs, de savoir-faire et d’idées qui forgent le caractère, les valeurs et le mode de vie de mes enfants. On prend rapidement la mesure de l’étendue de cet acte de transmission lorsqu’on s’y arrête un peu… Mais au final, quand mes filles seront adultes, qu’est-ce que je voudrai leur avoir transmis? La question me revient régulièrement, mais jamais je n’ai pris le temps d’y répondre.

L’exercice m’amusant, j’ai eu envie d’établir ma checklist de mère. La liste de tout ce que je voudrais leur avoir transmis avant leur départ de la maison. Le résultat donne quelque chose d’incomplet, certes, mais aussi de beaucoup plus intime que je ne l’avais imaginé au départ. Il me semble, bien humblement, qu’il s’y dégage un angle important du travail de la parentalité : soit le rôle de premier transmetteur de la culture. Un travail bien terre à terre, de répétition constante, de parole et de gestes, un travail qu’on idéalise au départ, mais qu’on finit par alléger un peu au fil du temps parce qu’on réalise qu’on ne fera pas ce qu’on veut, mais bien le peu sur lequel nous avons prise.

Il me semble essentiel de mentionner que pour bon nombre des éléments énumérés, je ne suis pas l’unique canal de transmission. D’abord parce qu’il y a un père avec moi dans cette affaire, aussi parce que famille, réseau social, école et activités parascolaires viennent fort heureusement additionner leur action à la nôtre. Sans quoi la parentalité serait lourde à porter!

Par ailleurs, j’ai volontairement évacué de ma liste les apprentissages de la petite enfance. Bien évidemment qu’il m’a été important de transmettre, à une certaine époque, des savoir-faire tels que marcher, manger, attraper un ballon et faire pipi dans la toilette… Ces apprentissages sont loin d’être anodins lorsqu’on est occupée à les transmettre, mais les présenter dans le détail alourdirait significativement ma liste.

Alors voici, dans un ordre plutôt intuitif, ma checklist de mère :

 

Savoirs, savoir-faire et idées à transmettre à mes enfants

  • Cuisiner
  • Organiser et nettoyer son espace de vie
  • Réparer ses vêtements, utiliser une machine à coudre, tricoter des foulards
  • Bricoler, faire des petits travaux de menuiserie et peinturer
  • Terminer ce qu’on commence et se ramasser
  • Savoir que faire des dégâts ou rater notre coup, ça arrive
  • Aimer lire, écrire et dessiner
  • Compter et budgéter
  • Choisir des aliments et des biens aussi écologiques que possible et produits par des gens qui ont des conditions de travail acceptables
  • Ne pas acheter ce dont on n’a pas besoin
  • Trouver une nouvelle vie aux objets et aux matériaux qui nous semblent inutiles
  • Prendre soin de l’environnement
  • Jardiner
  • Observer et écouter
  • Inventer des histoires
  • Élaborer une idée et l’exprimer
  • Concevoir des projets, les planifier et les réaliser
  • Se fixer des objectifs et trouver le chemin à prendre pour les atteindre
  • Émettre une hypothèse et se donner les moyens de la vérifier
  • Nuancer, critiquer ou s’approprier des idées
  • Prendre conscience des conséquences de nos paroles et de nos gestes
  • Chercher une solution aux problèmes rencontrés
  • Mettre des mots sur ses émotions
  • Identifier les émotions des autres
  • Prendre soin des autres et être capable de leur faire du bien
  • Prendre soin de soi et se reposer lorsque nécessaire
  • Se garder un peu de temps, chaque jour, pour ne rien faire
  • Savoir donner et recevoir
  • Danser, chanter et jouer de la musique
  • Nager, pédaler, patiner et ramer
  • Réaliser qu’il y a une multitude de choses à apprendre sur les humains, les animaux, les plantes, l’histoire, les étoiles, les idées et qu’on apprend autant des gens que des livres
  • Savoir que lire est un grand bonheur auquel tout le monde n’a malheureusement pas accès
  • Travailler dans le plaisir
  • Fournir des efforts
  • Se rappeler que les filles peuvent faire comme les garçons et vice versa
  • Prendre sa place dans un groupe
  • Laisser de la place aux autres
  • Reconnaître le travail des autres
  • Savoir être fière de soi
  • Réaliser que la personne qui parle le plus fort et qui a l’air la plus convaincue n’a pas toujours raison
  • Ne pas oublier que ce n’est pas parce qu’une personne ne dit rien qu’elle n’a pas d’idées intéressantes
  • Être capable d’exprimer sa reconnaissance, sa joie, sa colère, sa tristesse, ses peurs, ses besoins, ses désirs
  • Savoir que la douleur est un message qu’il faut essayer de s’expliquer; savoir qu’on peut souvent agir sur elle.
  • Comprendre que les efforts ne donnent pas toujours de résultats, mais que l’absence d’efforts en donne encore moins
  • Se rappeler qu’on peut se tromper et recommencer
  • Apprendre que la vie n’est pas juste, mais qu’on peut soi-même tenter d’agir justement
  • Savoir que nos histoires nous construisent et qu’on comprend souvent mieux les gens quand on considère le chemin qu’ils ont parcouru
  • Se rappeler qu’on aurait pu naître dans les bottines de n’importe qui et, qu’en ce sens, le sort des autres doit compter pour nous
  • Savoir que ce n’est pas toujours vrai qu’il faut se mêler de ses affaires : les affaires des autres sont souvent de nos affaires puisque nos vies sont entrelacées
  • Accepter qu’on ne peut pas tout prendre sur nos épaules, mais essayer de faire notre part
  • Savoir qu’on n’est pas un objet et qu’on n’a jamais à accepter d’en devenir un
  • Comprendre que la plupart de nos choix sont basés sur notre culture et qu’on peut, qu’on doit se remettre en question
  • Savoir que boire beaucoup d’alcool n’est pas souvent une bonne idée, mais que si ça arrive, un verre d’eau avant de se coucher peut faciliter la vie du lendemain
  • Ne pas oublier, devant un échec, qu’à l’échelle du cosmos et de l’histoire de l’humanité, nos petites erreurs n’ont pas vraiment de poids
  • Se rappeler qu’une personne qui nous aime ne doit pas nous faire mal
  • Savoir que de jouer de la belle musique avec des gens qu’on aime est probablement la plus belle chose du monde
  • Rire aussi souvent que possible
  • Comprendre que les blagues qui font de la peine à d’autres ne sont pas des bonnes blagues
  • Savoir que, quand on a l’impression qu’un problème est trop gros pour nous, on est mieux d’en parler à quelqu’un
  • Comprendre que de rester en boule dans notre lit est rarement la meilleure façon d’aller mieux
  • Ne jamais oublier que je vous aime et que je serai là si vous avez besoin de moi
  • Accepter qu’on ne peut pas savoir mieux que les autres ce qu’ils devraient faire parce qu’on n’est pas à leur place et qu’il nous manque des bouts de leur histoire
  • Savoir que je ne suis pas parfaite, comme mère et comme personne, que bien souvent je fais mon possible, mais que j’ai aussi le droit de me tromper
  • Savoir qu’il est préférable de régler ses conflits plutôt que de les laisser traîner
  • Considérer, lorsque des gens vous font sentir coupables, qu’ils n’ont pas toujours raison, mais qu’il vaut mieux prendre le temps de comprendre ce qu’ils pensent avant de décider s’ils ont raison ou tort.
  • Être capable de reconnaître ses erreurs et de s’excuser
  • Savoir qu’il faut parfois respecter des règles avec lesquelles on n’est pas d’accord, mais que, lorsque ça nous dérange vraiment, on a le droit de le dire et de demander à ce que les choses se passent autrement
  • Se rappeler que pour changer les règles, il faut souvent se mettre à plusieurs
  • Savoir que dans un conflit, il y a généralement plus d’une perspective et qu’il vaut mieux comprendre la perspective de l’autre si on veut pouvoir avancer
  • Être capable de se remettre en question; c’est correct de changer d’avis. Par contre, il peut arriver qu’une remise en question rende notre position plus forte et dans ce cas, il ne faut pas céder
  • Savoir que les humains, dans l’histoire et encore aujourd’hui, ont fait de grandes erreurs et qu’il y a beaucoup à faire pour se rattraper
  • Savoir choisir ses combats et mettre l’énergie qu’il faut pour les gagner
  • Ne pas oublier que fuir reste toujours une option si, sur le moment, on ne peut rien faire et qu’il nous faut reprendre des forces
  • Savoir perdre et continuer
  • Être capable de chanter quand on est découragée parce que ça fait du bien
  • Dire souvent aux gens qu’on les aime
  • Se rappeler qu’il n’y a pas qu’un seul chemin à suivre, mais une multitude de possibilités

 

J’ai évidemment relu ma liste quelques fois avant de la soumettre, cherchant à voir ce qui s’en dégageait…

D’abord, je réalise à quel point cette liste est intimement liée à mon identité. J’aurais pu y travailler encore et encore, ajouter des éléments à transmettre à mes enfants et au final, je me serais retrouvée devant quelque chose comme une image de celle que je tente de devenir. À méditer!

Ensuite, je prends acte de l’ensemble des privilèges qui m’ont été et qui me sont encore aujourd’hui accordés. Bon nombre des éléments qui se trouvent dans cette liste y sont parce que j’ai eu la chance qu’ils me soient transmis (merci à la grande loterie des naissances, merci papa et maman). De plus, le fait même de pouvoir faire cette liste est lié au privilège d’avoir pu être parent, et ce, dans des conditions qui rendent possibles ces différentes transmissions. Je souligne au passage la présence d’un père qui fait chaque jour le souper pendant que je supervise les devoirs et les pratiques de musique.

Finalement, je constate que le cynisme et la désillusion sont totalement absents de ma liste. Il faut croire qu’il me reste suffisamment d’espoir en l’humanité pour transmettre la confiance en un meilleur devenir-ensemble. Ou alors est-ce ce travail de transmission dans lequel je suis plongée qui me donne du courage et l’envie de croire que le futur sera beau pour mes enfants?

 

P.-S. Merci à Marie-Pier Labbé pour les commentaires en cours de rédaction et, bien évidemment, merci à toute l’équipe de Françoise Stéréo!