Tintanar – Fanfare anarchiste intergalactique

TINTANAR

 

Illustration : Catherine Lefrançois

 

 

Au commencement, il y a 10 ans maintenant, nous n’étions que quatre. L’idée d’avoir une fanfare militante bien à nous, à Québec, nous est venue entre autres par l’exemple de notre grande sœur, la fanfare Chaotic insurrection ensemble (Cie) de Montréal. Nous l’avions vue à l’œuvre dans la rue, et nous y avions des ami.e.s et des camarades de lutte. C’est à la suite de la visite de certain.e.s de ces ami.e.s et camarades, dans le cadre des journées autogérées de la défunte (et très amèrement pleurée) bar-coopérative de travail l’Agité.e que le projet s’est concrétisé.

À quatre, nous avons appris et joué quelques chansons, et nous avons recruté d’autres musicien.ne.s. Si au début nous nous basions presque exclusivement sur le répertoire de Chaotic insurretion, nous avons rapidement transposé et arrangé nos propres pièces. C’est sur ce travail énorme que repose encore aujourd’hui la fanfare .

 

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La fanfare est souvent perçue comme un phare dans les actions et les manifs. Nous représentons un pôle d’attraction et un barème de sécurité. Pour plusieurs, et surtout lors d’événements plus mouvementés, le sentiment de confort et de confiance, ou à l’inverse de malaise et de peur, est modulé par notre présence et notre absence. Nous ouvrons des possibilités de participation militante qui seraient autrement plus difficiles ou plus pénibles. Là où nous sommes, les risques semblent atténués et les craintes moins vives. Lorsque nous quittons, la lutte parait parfois plus hostile.

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Au-delà du sentiment de sécurité, la fanfare crée des espaces et dynamiques où des projets radicaux peuvent se vivre de façon festive et inclusive. La musique et la fête servent à créer des liens. Les actions et les manifestations auxquelles nous participons affirment une prise de position politique et collective, et le fait d’y faire de la musique apporte une possibilité de cohésion parfois sous-estimée. Nous apportons danse, sourires, rires, chants, mélodies et paroles reconnues parce que maintes fois répétées : tous des éléments qui participent à la construction et à la consolidation d’un mouvement et d’une communauté.

C’est peut-être dans les petites actions et manifs que la présence de la fanfare a le plus d’effet. Dans ces événements, la musique nous insuffle une force et un courage qui démentent notre petit nombre.

 

 

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Nous avons dix ans. C’est une éternité dans certaines temporalités militantes, rythmées par les années de cégep ou d’université, ou par le roulement des divers emplois et implications.

Pour les plus jeunes, peut-être, on croirait que la fanfare a toujours été là.

Pour les militant.e.s de plus longue date, peut-être, on croirait que la fanfare est animée d’une vie propre, qui se poursuit au-delà des individus qui la composent. Les visages des musicien.ne.s changent, mais les mêmes airs reviennent, année après année.

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Ces impressions – de permanence et de continuité – cachent souvent le travail important de reproduction de la fanfare. Comme dans la plupart des milieux, militants et autres, ce travail retombe souvent sur les mêmes personnes, qui se retrouvent à porter le fardeau de nous maintenir en vie pendant les périodes creuses.

Ce travail de reproduction de la fanfare inclut la charge mentale, organiser des pratiques, assurer la présence à des actions, recruter, transmettre des savoirs, ajuster nos orientations, et apprendre les pièces aux nouvelles personnes. Comme tout travail de reproduction, il se caractérise par sa nature cyclique, toujours à recommencer.

Le fardeau de reproduction de la fanfare, réparti inéquitablement, finit par affecter la vie personnelle de ceux et celles qui le portent, incluant leurs possibilités, leurs autres projets et éventuellement leur motivation.

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La fanfare est un lieu d’apprentissage, nourri des apports des membres plus ancien.ne.s, qui eux et elles-mêmes détiennent des connaissances imparties par celles et ceux qui les ont précédé.e.s. On y transmet des pièces, mais aussi l’expérience de différents instruments et, plus généralement, le fait même de faire de la musique collectivement.

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La fanfare puise depuis toujours dans des réseaux de solidarité, d’échange et de partage entre fanfares activistes canadiennes, américaines et européennes. Ces réseaux nous alimentent sur le plan de la musique, ainsi qu’en terme de réflexions, de pratiques, d’orientations et d’expériences d’action.

Notre appartenance à ces réseaux s’est renforcée chaque fois que nous avons pu assister au Honk, un festival qui regroupe des fanfares de rue de partout en Amérique du Nord et dans le monde. Cet événement nous a montré à reconnaître notre potentiel et nous a permis de créer des solidarités.

Pour un temps, également, nous participions régulièrement à des rencontres entre fanfares, chez les un.e.s ou chez les autres, en rotation. Ces rencontres nous galvanisaient, nous inspiraient, nous motivaient et renforçaient nos liens les un.e.s envers les autres. Nous y avons découvert de nouvelles pièces, de nouveaux rythmes, des stratégies pour communiquer ou mener (comme des signes), d’autres cultures, d’autres parcours, des rudiments d’autres langues, d’autres modes de gestion et d’autres luttes. Nos échanges et notre énergie débordaient dans la rue et nous avons pu investir des actions militantes en très grands groupes. On l’a vu par exemple à Québec, lors de la manifestation pour le transport public gratuit de 2014, à laquelle nous avons participé avec nos ami.e.s des fanfares de Montréal, Toronto et d’ailleurs.

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La fanfare est toujours à la recherche de nouvelles personnes qui ont envie de continuer le mouvement.

À bientôt, d’ici là, dans la rue!