« Smashing the patriarchy is my cardio »: Un club de boxe queer et féministe à Montréal
CAMILLE ROBERT
Si on vous parle de sports de combat, ou d’arts martiaux mixtes, les premières images qui vous viendront en tête seront probablement assez masculines et virilistes. Bien que de nouveaux visages commencent à apparaître et que certaines femmes, comme Ronda Rousey, soient désormais célèbres, le milieu des sports de combat demeure assez homogène. Il y a quelques mois à Montréal, des militantes et des militants mettaient sur pied un combat club autogéré, où une séance par semaine était dédiée à un entraînement non mixte. Bien que je ne sois pas à l’origine de cette initiative, j’ai tout de même souhaité faire connaître le projet en donnant la parole aux participantes et aux participants qui ont bien voulu répondre à mes questions.
En septembre dernier, je me rendais donc pour la première fois à une séance de kick-boxing non mixte. Ne sachant pas trop à quoi m’attendre, j’ai été surprise d’y retrouver beaucoup de personnes pour un premier cours — une quinzaine — et une grande quantité d’équipement neuf, acheté grâce à des subventions. Ici, la non-mixité inclut différentes personnes ciblées par le patriarcat; on retrouve plusieurs femmes cisgenre [1], mais également des personnes transgenre [2], genderqueer [3] ou gender nonconforming [4]. Au début de chaque séance, un bref tour de table – ou tour de tatami – nous permet de nous présenter, d’indiquer aux autres quel(s) pronom(s) nous utilisons et d’exprimer nos attentes par rapport au cours.
Les séances, qui ont lieu chaque semaine, misent sur la reprise de pouvoir (empowerment), la confiance en soi, le respect et le partage de connaissances. Plusieurs femmes viennent animer des séances qui combinent des techniques de kick-boxing, de muay thaï, de jiu-jitsu et de krav maga. La non-mixité permet de créer un espace dans lequel plusieurs personnes se sentent plus à l’aise que dans les gyms privés ou dans les entraînements mixtes. Encore aujourd’hui, les gyms de sports de combat demeurent un milieu très masculin où les femmes et les personnes ne se conformant pas à un genre arrivent difficilement à trouver leur place. Pour plusieurs participantes et participants, la non-mixité est un atout majeur.
En tant que féministe, femme, gouine, je vis des frustrations au quotidien. Le kick-boxing est un moyen pour moi de sortir la colère et la frustration, toutes ces énergies que les personnes minorisées ont moins le droit d’exprimer en public. Le fait que ce soit non mixte est aussi très attirant parce que souvent les ambiances reliées à ces sports sont très compétitives et virilistes et rapidement, je me sens poche et j’ai pas de fun. Ça m’apporte une technique de combat à très bas prix, un safer space pour rire, pratiquer, se tromper et s’empowerer entre nous sans qu’il y ait de pression à performer le virilisme sérieux, violent et ennuyeux. – Sarah
De plus, la non-mixité rompt avec une certaine logique de compétition, de performance et d’apparence, parfois présente dans les entraînements mixtes de sports de combat.
J’ai toujours voulu savoir me défendre sans jamais oser me pointer à un cours d’art martial par peur du jugement et de ne pas être assez bonne. Ce cours-ci m’a beaucoup aidée sur ce plan. Je me sens en sécurité auprès de gens ouverts, qui ne sont pas en compétition et qui partagent mes idéaux. Aussi, c’est un merveilleux défouloir quand on a eu une semaine de stress intense ou quand on doit gérer des problèmes d’anxiété comme les miens. – Marie
Dans le cadre de la pratique d’un sport, surtout s’il est traditionnellement masculin, on aura […] tendance à évaluer les femmes à travers le prisme du regard masculin : sont-elles conformes aux normes de beauté dominantes? Sont-elles douées « pour une femme » ? L’évaluation de notre performance (sportive comme esthétique) reposera donc sur des commentaires venant d’hommes, ce qui nous placera dans une position d’éternelles inférieures. Le cours de kick-boxing non mixte brise ce schème en enlevant la possibilité même qu’il s’installe. – Amy
Les abonnements aux gyms privés sont également très coûteux et beaucoup d’entre nous ne peuvent se permettre de dépenser 100 $ par mois pour pratiquer un sport. Le club propose donc un abonnement de 10 $ par mois, bien qu’aucune personne ne soit refusée pour manque d’argent. Tout l’équipement, gants et pads, est prêté lors des entraînements. Dans une ambiance de confiance et de complicité, on partage nos expériences de répliques verbales et de ripostes physiques face aux harceleurs et aux agresseurs. On s’amuse, on rigole, mais on apprivoise aussi le pouvoir et la force de nos corps à travers la maîtrise de coups et d’enchaînements. Pour plusieurs d’entre nous, il s’agit d’une manière efficace pour gagner de la confiance et se sentir plus en sécurité.
Je trouve primordial que toutes les personnes qui se retrouvent potentiellement en situation de vulnérabilité sachent se défendre, qu’elles n’aient pas à être maintenues dans de telles dynamiques, qu’elles puissent aussi avoir le dernier mot, se faire respecter, point. Je pense qu’il est important d’apprendre à occuper, à reprendre le contrôle de nos espaces de vie en tant que personnes mises à l’écart de plusieurs lieux à cause de notre genre, qu’il soit vu comme correspondant au « sexe faible » ou comme non conforme. – Roxanne
Après le cours, à chaque semaine, j’ai comme un sentiment d’invincibilité. Plus personne ne pourra plus jamais s’approprier mon corps ou mes espaces ! Je me sens mieux établie dans mon corps et dans ma vie, et beaucoup plus en contrôle. J’apprends, à travers des connaissances techniques et une ambiance d’entraide et de solidarité, à connaître ma force physique et à me construire une plus grande confiance en moi. Je peux me défouler et évacuer de l’énergie malsaine qu’on m’a appris à retourner contre moi-même. Les cours me permettent aussi de briser un certain isolement et d’avoir du FUN. – Alex
Au-delà de l’apprentissage technique, les cours de kick-boxing non mixte permettent également de se retrouver entre personnes queer et féministes en dehors des espaces militants plus « traditionnels ». Se défouler en frappant dans des pads avec une soundtrack d’artistes féminines badass [5], ça fait définitivement changement des AGs qui durent cinq heures.
Pour moi, une des raisons pour lesquelles je me suis jointe et qui n’a pas été nommée, c’est aussi de pouvoir faire autre chose que des manifs, des AGs ou des shows-bénéfices avec « notre » monde. Je trouve ça le fun qu’on puisse acquérir des connaissances autres que comment contester nos tickets en gang. – Sandy
J’ai connu des personnes vraiment très intéressantes et inspirantes, ça, je tiens à le souligner en premier lieu. J’ai aussi découvert de la nouvelle musique! Mais sinon, ça m’a offert non seulement une activité physique et défoulatoire à chaque semaine, mais aussi un espace pour être davantage moi-même, pour remettre en question certaines choses (notamment des réticences) chez moi et certaines choses qu’on me disait régulièrement. Ça a contribué à mon affirmation en tant que féministe et en tant que personne ayant ses propres intérêts en dehors de certaines pressions sociales ou interindividuelles. – Roxanne
Au final, cette première saison de kick-boxing a été un franc succès. Ce qui a rendu l’expérience particulièrement intéressante, et différente de ce que j’ai vécu dans d’autres entraînements de sports de combat, c’est que les participantes et participants ne sont pas là uniquement pour se mettre en forme, mais surtout pour apprendre à se défendre lors de situations de machisme, d’hétérosexisme et de transphobie. Ainsi, on sent que cet entraînement fait réellement une différence dans la vie des personnes qui y participent. Pour plusieurs, il s’agissait d’une première expérience en sports de combat. Après seulement quelques semaines, la progression est impressionnante. Le fait de nous réapproprier les sports de combat permet définitivement de changer notre approche dans l’espace public et privé ; en situation de stress ou de danger, nous nous sentons désormais plus en confiance. De plus, l’apprentissage dans un contexte de non-mixité, de complicité et de respect mutuel permet de s’initier aux sports de combat, qui restent trop souvent l’apanage des hommes cisgenres, à la fois en raison de l’ambiance générale des gyms et de la socialisation genrée. Notre club de kick-boxing est la preuve par l’exemple que peu importe notre genre, notre taille, notre orientation et notre expérience, nous sommes capables de nous réapproprier la force, la technique et l’agressivité nécessaires pour défoncer la gueule du patriarcat!
[1] Une personne dont le genre auquel elle s’identifie correspond à son sexe attribué à la naissance.
[2] Une personne ne s’identifiant pas à son sexe attribué à la naissance.
[3] Inclut un ensemble d’identités de genre ne correspondant pas à la binarité homme/femme : chevauchement d’identités de genre, sans genre, fluidité du genre, etc.
[4] Englobe toutes les personnes qui ne se conforment pas à un genre, dans l’identité ou l’apparence.
[5] Pour accompagner l’entraînement, une playlist collaborative a été créée, sur laquelle on peut écouter Amy Winehouse, Grimes, Hole, M.I.A., Missy Elliott, Peaches, Rye Rye, Le Tigre, etc.