Sexe et handicap : regard sur le projet ACSEXE+
JULIE VEILLET
Photo: Satya Jack, www.jackraw.com
Il était impensable, dans le cadre de ce numéro sur les univers intimes, de ne pas aborder la question de la sexualité. Elle s’est sans surprise imposée assez rapidement dans nos premières discussions autour de ce thème. L’orientation sexuelle, la libido, la masturbation, la contraception, les jeux sexuels, les idées de sujets ne manquaient pas. Mais toutes ces questions, on les traite comment lorsqu’on vit avec un handicap?
Le projet ACSEXE+, un tumblr mis sur pied et coordonné par Aimee Louw, en collaboration avec la Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN), est un espace dédié précisément à ce sujet, nourri par des témoignages de personnes vivant en situation de handicap concernant la sexualité, le capacitisme et l’accessibilité. Françoise Stéréo a rencontré Aimee Louw et Marie-Hélène Tremblay, la coordonnatrice générale de la FQPN, pour parler du projet.
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L’idée du projet ACSEXE+ est née en novembre 2014 après qu’une collègue d’Aimee, qui souhaitait aborder les questions liées à la sexualité des personnes vivant avec un handicap, l’eut approchée. Aimee venait de faire paraître le livre Underwater City Project qui porte sur l’accessibilité des villes du Canada pour les personnes handicapées. S’intéressant énormément à cet enjeu et prenant la parole fréquemment dans les médias et sur le Web pour dénoncer des situations d’inaccessibilité encore trop nombreuses, Aimee était la personne tout indiquée aux yeux de la FQPN pour mettre sur pied un projet sur le sexe et le handicap. La principale intéressée, qui souhaitait déjà depuis un moment explorer cette question plus en profondeur, a tout de suite accepté. Aimee, qui est très impliquée dans la communauté Disability Justice, possédait déjà un bon réseau et a donc rapidement commencé à rencontrer des personnes vivant en situation de handicap pour leur parler du projet et recueillir des témoignages pour le blogue.
Le but d’ACSEXE+? Créer un espace sain de discussion et d’échange où les personnes vivant avec un handicap peuvent trouver de l’information et des réponses aux questions qu’elles se posent concernant leur sexualité, ou encore partager des points de vue ou des situations vécues en lien avec le sujet. Le blogue a donc pour but de faire de l’éducation sexuelle, de sensibiliser la population à l’accessibilité des personnes handicapées et de briser les stéréotypes envers ces dernières, stéréotypes qui viennent autant de la société québécoise en général que des personnes handicapées elles-mêmes, précise Aimee.
Selon Marie-Hélène, ACSEXE+ est le premier projet majeur portant sur la question du sexe et du handicap. Depuis quelques années, la FQPN a adopté une approche en intersectionnalité et antioppressive, ce qui l’a amenée, il y a deux ans, à entreprendre une grande réflexion sur la justice reproductive. La Fédération souhaite ainsi aller plus loin que le simple fait d’être inclusive, elle chercher à créer des alliances avec différents groupes pour faire en sorte qu’ils se sentent interpellés sur les enjeux de justice reproductive et de santé sexuelle.
Aimee travaille donc depuis plusieurs mois déjà, en collaboration avec la FQPN, au développement de ce blogue. Elle souhaite y aborder une foule de questions comme la contraception, les rendez-vous amoureux, la santé sexuelle, les contraintes et préjudices liés à la maternité et autres. Comme elle le mentionne cependant, la démarche en est une de longue haleine puisqu’elle doit d’abord obtenir la confiance des gens pour qu’ils acceptent de témoigner sur le blogue, en raison de la nature très personnelle des sujets traités.
Une des questions abordées sur le blogue est le concept de date et le capacitisme, « la discrimination systémique basée sur la situation de handicap » [1]. Les témoignages traitent beaucoup de la difficulté à rencontrer lorsqu’on est une personne en situation de handicap, des situations inusitées qui peuvent survenir lors d’une date, des défis rencontrés lorsque vient le temps d’aller plus loin dans l’intimité, mais également de toutes les questions que peuvent se poser les personnes handicapées en lien avec leur sexualité. Pour quelqu’un qui vit avec un handicap physique, ce n’est pas toujours évident de savoir précisément ce qu’il est en mesure de faire et de ressentir dans le cadre d’un acte sexuel. Mais lorsqu’on a des questions liées à la sexualité et au handicap, vers qui peut-on se tourner? Aimee souligne qu’il existe très peu de ressources au Québec sur ce sujet, ce à quoi Marie-Hélène ajoute que la FQPN ne peut malheureusement pas répondre directement aux questions des personnes vivant en situation de handicap puisqu’elle ne fait pas d’intervention psychosociale. Le rôle de la Fédération est vraiment de donner de l’information et de rediriger les gens vers les ressources compétentes, notamment S.O.S. Grossesse, un organisme qui, bien qu’il n’offre pas de services spécialisés sur le sexe et le handicap, demeure une des seules ressources québécoises vers qui les personnes handicapées peuvent se tourner, au moins en ce qui a trait aux interrogations en lien avec la grossesse. Bien souvent, la première réaction de l’entourage d’une personne handicapée qui souhaite avoir un enfant ou qui tombe enceinte est de la mettre en garde contre les difficultés et défis auxquels elle fera face, quand ce n’est pas carrément de lui suggérer d’interrompre la grossesse. Mais dans beaucoup de cas, les personnes qui vivent en situation de handicap ne savent même pas à qui s’adresser pour obtenir des réponses à leurs questions afin de prendre une décision éclairée par rapport à une éventuelle grossesse.
ACSEXE+ souhaiterait également aborder la question de l’assistance sexuelle. Certaines personnes vivant en situation de handicap ont recours à cette méthode, qui consiste en l’accompagnement par un professionnel de gens en situation de handicap dans l’accès à la sexualité. L’idée est de permettre aux personnes handicapées d’obtenir une pleine liberté sexuelle et d’avoir tous les conseils et outils nécessaires pour le développement d’une sexualité saine. La question est toutefois très complexe et tous ne s’entendent pas sur les biens fondés de l’assistance sexuelle. Un autre débat entoure les chambres d’intimité qui sont présentes dans certains centres de soins et qui permettent aux résidents d’y avoir des rapports sexuels. Anaïs Barbeau-Lavalette et André Turpin se sont d’ailleurs intéressés à ces questions dans leur court-métrage Prends-moi, présenté notamment dans le cadre des Rendez-vous du cinéma québécois 2015.
Le projet ACSEXE+ n’en est donc qu’à ses débuts, mais connaît déjà une grande popularité auprès des personnes vivant en situation de handicap, qui se voient enfin offrir une plateforme qui se concentre sur des enjeux qui les interpellent et les impliquent. Aimee Louw et Marie-Hélène Tremblay précisent que pour le moment, nous en sommes encore à l’étape de l’éducation sexuelle, mais ACSEXE+ participera certainement à briser certains tabous et à diffuser plus largement la question du sexe et du handicap.
Pour des témoignages et des collaborations, n’hésitez pas à contacter Aimee Louw au aimee@fqpn.qc.ca.
[1] Définition tirée du blogue ACSEXE+