Se prendre en main

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FRANÇOISE STÉRÉO

Depuis le 31 mars, c’est le Défi Santé. Pour y participer, on s’inscrit sur le site du Défi et on consigne ses efforts. L’objectif : manger cinq portions de fruits et légumes par jour, bouger 30 minutes et prendre au moins une pause par jour. Le Défi Santé est une initiative de Capsana, « [u]ne organisation à vocation sociale, propriété des fondations de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont et du Centre ÉPIC, qui est en lien avec l’Institut de cardiologie de Montréal, ainsi que de la Fondation PSI ». On ne saurait être contre la vertu. Mais demandons-nous un instant combien d’argent est injecté dans la promotion des « saines habitudes de vie », tant par le gouvernement que par les fondations privées. Dans le budget 2015-2016 du gouvernement du Québec seulement, ce sont 20 millions de dollars qui sont alloués au « Fonds pour la promotion des saines habitudes de vie » du portefeuille Santé et Services sociaux. On incite la personne à se « prendre en main » (l’expression est partout dans les articles sur le Défi et dans les communiqués de l’organisation).

Le coût des aliments a explosé depuis les dernières années. Les fruits et les légumes sont de plus en plus chers. Mais pour se prendre en main, il faut ce qu’il faut. Dans les « partenaires » du Défi Santé, on compte d’ailleurs Fontaine santé, Oasis, les salades Attitude, les poissons High Liner, le yogourt Astro et la margarine Becel. Ah oui! et IGA aussi, parce que ces produits-là, il faut les acheter quelque part.

Peut-être qu’au lieu de dépenser des millions de dollars pour convaincre les gens de se prendre en main, on pourrait s’attaquer aux facteurs structurels qui causent les problèmes de santé et réduisent l’espérance de vie. Je sais pas moi, la pauvreté? À l’échelle canadienne, les coûts indirects de la pauvreté s’élevaient en 2007 à 24,3 milliards de dollars, tandis que l’écart de pauvreté s’élevait à 12,3 milliards de dollars. Éliminer la pauvreté coûterait moins cher que ce que la pauvreté nous coûte collectivement.

La mesure du panier de consommation (MPC) calcule le montant minimum pour vivre décemment, c’est-à-dire sans détérioration de la santé. On est vraiment dans le minimum ici. La source des chiffres suivants (qui ont le mérite d’être clairement présentés) n’est pas précisée, mais les données ressemblent à celles qu’on trouve dans divers rapports sur le sujet (ici par exemple). Pour une famille avec deux enfants, quelque part au Québec et quelque part dans les années 2000, la MPC est de 26 560 $ par année. Sur ce montant, 28 % sont alloués à la nourriture. 583 $ par mois. 145 $ par semaine. C’est pas avec ça qu’on achète des framboises en hiver et des laitues Attitude.

En 2013, selon Revenu Québec, 40,94 % des particuliers ayant produit un rapport d’impôts gagnaient moins de 25 000 $.

L’organisation du Défi Santé n’est pas la seule à vouloir que les Québécois.es se prennent en main. L’expression « je me prends en main », c’est aussi le nom d’un concours de transformation corporelle d’une chaîne de centres de mise en forme. Un genre de « Biggest Loser » québécois. À l’instar de la populaire téléréalité américaine, la chaîne de gyms n’a pas cru bon de se défaire des clichés de la remise en forme. À lui seul, le titre convoque culpabilité et contrôle. Il incarne la rupture entre le moment où on doit reprendre le contrôle sur une vie faite d’excès qui a mené à un corps imparfait, disgracieux, dont il faut avoir honte. Vous direz : « Oui, mais il faut voir ça comme une décision de se sentir mieux, d’avoir une meilleure santé. Eh bien non ! Le concours est basé sur les photos avant/après la transformation et sur la diminution de l’IMC. Pas de critères sur l’amélioration de la qualité de vie ni sur le plaisir trouvé dans le sport. On n’évaluera pas les participant.e.s sur la diminution de leur stress, sur la qualité de leur sommeil ni sur leur énergie enfin retrouvée. Non. Il n’y en a, comme toujours, que pour la disparition des bourrelets autour de la taille ou pour le raffermissement du gras de bras. C’est comme si dans l’esprit de ces centres sportifs, la seule chose qui pouvait inciter les femmes à faire du sport, c’est de vouloir être plus minces, plus fermes, donc plus belles.

Bon, on chiale, on chiale. Ne pensez surtout pas qu’on n’aime pas le sport. Ben non, on adore ça ! C’est pour ça qu’on fait un numéro sur le sport. On court, on joue au soccer, à la balle molle, on fait du vélo, heille, on va même s’entraîner des fois. On regarde le hockey, on suit l’Impact, on va aux Capitales. On voudrait cependant mettre au clair certains détails.

  1. On va s’acheter un chandail aux couleurs de l’équipe, merci; pas besoin de le faire en rose. Et si vous offrez des chandails pour femme, pouvez-vous s’il vous plaît offrir les mêmes que pour les hommes? Non, on n’aime pas juste les « beaux » joueurs [1].
  1. Plus de Chantal Macchabée s’il vous plaît. Et les filles que vous cantonnez au compte rendu de ce qui se dit sur les réseaux sociaux? Ça vous tente pas de leur faire faire autre chose des fois ? Elles aussi, elles connaissent ça le sport.
  1. On fait du sport pour avoir du plaisir, voir nos amis et s’en faire des nouveaux, se dépasser, se sentir bien, se défouler, se déstresser.
  1. On peut être grosse et en santé, on peut être mince et pas du tout en forme. Certains sports de haut niveau exigent un corps tout sauf mince. Arrêtez de présumer que seules les filles jeunes et minces sont des sportives, que faire du sport peut faire maigrir tout le mode et que l’amaigrissement est le but ultime du sport.
  1. On aime le sport, mais on reste critique sur sa promotion et ses bienfaits sociaux. On a envie d’avoir du plaisir en pratiquant nos activités favorites. Exit l’image d’une salle d’entraînement ou de spinning remplie de petits soldats de bonne volonté, uniformes collés au corps, obéissant de tout leur zèle au caporal qui hurle les mouvements à exécuter…

 

Laissons le mot de la fin à Gaby Gravel. « Si t’as le choix, c’est mieux d’être belle que d’être en santé. Les filles en santé ont des gros mollets, les filles cutes et malades rencontrent des docteurs. »


[1] Nous avions vu passer une discussion sur le sujet dans un groupe Facebook l’an dernier et qui avait provoqué une discussion des plus intéressante. Nous n’avons pas pu retracer l’intervention initiale ni son auteure ; si elle se reconnaît, cela nous fera grand plaisir de la citer ou de lui offrir un espace dans la revue.


 

 

 

Collectif éditorial
Marie-André Bergeron
Valérie Gonthier-Gignac
Catherine Lefrançois
Marie-Michèle Rheault
Djanice St-Hilaire
Julie Veillet

Graphisme: Djanice St-Hilaire
Illustrations: Catherine Lefrançois, d’après les illustrations de l’ouvrage Les jeux et plaisirs de l’enfance (Paris, 1657, Stella); gravures de  Claudine Bouzonnet Stella d’après des dessins de Jacques Stella.
Révision: Julie Veillet