Roxane Nadeau
Les garçons au vent
les feux bleu rouge des ambulances semées, sur ton poitrail cabossé patinent mes doigts crochus
aux ongles trop courts pour déloger tes souvenirs
qu’efface un à un le champ statique de mon aura
ton mécanisme secret est susceptible
d’irréversibles rayures
sur la plage, veut la légende,
des spirales dessinent la passerelle vers Sainte-Luce
sorcière
à la robe blanche dans les remous
cousus en destins effilochés
je suis superstitieux de voir la sainte lumière
à l’île Canuel, orpheline du Saint-Laurent
nouer les coutures pendantes de nous deux
pour tricher la fissure au long de ton thorax
je me prêterai à la religion et à son envers aussi
le carambolage t’aurait été moins fatal
—
je marche sur le terrain exact de la nature
là où dans chaque espace négligé la mythologie s’épanche
île-appât deux fois par jour
à la marée basse, les sirènes sèches
se font extraire
par les mouettes
le sel durci de leurs mèches
avant que les vagues ne gâchent la besogne
j’aurai surpassé le fleuve, Canuel au corps à corps
très oubliable îlot
l’éternel qui garde les Rimouskois
tu m’as appris un mot que m’évoque la pluie froide perçant la résistance de mon collet pour se glisser sans permission contre ma peau
quel mot?
—
j’ai oublié le mot exact que m’évoque la cage vide du parc Lepage d’où le renard
s’est enfui
je l’attends, tu m’as dit qu’il ne reviendrait pas
—
mes ongles se crispent aux huîtres jusqu’à les ouvrir
ta première photo son flash encore m’éblouit
ma fragilité fait ta gloire
mon sourire reste hors cadre
mon spasme
en allers et retours
l’étrangère plongée en moi
tu attires mon regard sur un foyer en tôle
à son pied un cercle des fées en champignons blancs
maison promise, je choisis d’y croire
le couperet est tombé :
pour une première seconde, le silence règne
je ravale mon cœur méthodiquement
sans chercher, bras tendus, dans le noir
l’homme à l’appareil photo
—
le fleuve approche
j’aimerais briller solitaire
pleurer sur le ventre de la païenne
jusqu’à m’en écouler l’iris du bleu calme
je lui demande d’être disciple de ses yeux secs et brillants
elle me fait promettre de jeûner, de laisser mon ventre creux
d’un trou aboutit au firmament
pour y lire un futur sombre
qu’ont déchiffré tant de femmes plus fortes que moi
je prête serment moi aussi je dois être unique
—
barricadée dans son nid de bois de pèlerinage
j’ai reçu de la porteuse de lumière les habits dévots
qui suspendront mes os dans leur progression
un bandeau étiré sur mes poumons
ma respiration coule aux remous de mon sang
et concentre en caillots deux émulations de sein
mon entrejambe poli par le plastique et la crinoline
préserveront de la rumeur mes organes obsolètes
mes souliers sont tachés rouge des parias avant moi
otages d’une guerre secrète
c’est que les robes font nos armures
sous la bannière des nouvelles filles
notre victoire est improbable
Textes choisis de Les garçons au vent (à paraître aux éditions de La Tournure)
On raconte que le Christ était l’incarnation sur terre d’entièrement et d’uniquement Dieu, tout en étant complètement humain. C’est le genre de paraboles qui furent enseignées à Roxane dans un Rimouski conservateur en pleine transformation. Son imaginaire s’en est vu marqué pour toujours. Même sans avoir la foi, elle croit aux identités paradoxales réunies, à la résurrection par l’art, à l’impossible quête de pureté. Elle récolte le stroboscope de ses identités abandonnées, qui suivent leur parcours rectiligne dans leur dimension parallèle, pour connaître les versions d’elle-même qui ont connu jusqu’au bout le blasphème, la ruralité, la féminité construite sur mesure et la menace des hommes ténébreux fragiles.
En 2017 paraîtra son premier recueil de poésie « Les garçons au vent » aux éditions de La Tournure. En attendant, elle rédige des critiques de premiers auteurs pour La Recrue et tente de mettre à l’honneur l’écriture francophone de femmes trans par des critiques sur blogue Le Fil Rouge.
Son rêve? Faire sa place comme écrivaine en brandissant fièrement son identité trans, mais éviter le piège d’être mise en boîte.
L’écrivaine Ursula La Guin racontait que la réalité est souvent plus difficile à accepter que la fiction la plus inventive. La douleur ou le mal est si insensé et simple qu’on ne pourrait le partager par d’autres avenues que l’absurde ou le pathétique. Roxane tient cette leçon à cœur. Ses œuvres ne sont ni de l’autofiction, ni de la fiction : c’est l’expression d’angoisses assez transformées pour qu’elles prennent une forme appréhensible et gagnent une direction.