Roxane Desjardins
je détourne la tête
misère tes beaux yeux saouls : assez qu’ils renversent la foule.
faux, saouls, sans objet pourtant (la beauté est immonde
si dépourvue de cils et de soies) or il y a de quoi se démettre,
ravaler les poisons, je n’ai plus rien à donner et s’il faut couper mes extrémités caressantes pour dire
« je n’ai plus rien à donner »
(femme chaude femme émue monnaie lourde vainqueure
aux ligaments essentiels) non je n’ai pas de manières, tiens : mes seins sont vides.
ce n’est pas ta faute, tu débordes, c’est bien malgré toi,
j’encaisse (surtout l’ironie) :
je serai là,
je te consolerai.
*
rien ne vaut un poème pour rabattre sur toi le couvercle (ciel) (cercle) (valse ignoble des rimes ramassées dans les obliques millénaires, mon ventre, millénaire et glapissant)
ronde, tu dis « fidèle et vierge et fière, tu dois être fière », elle s’obstine : aucune raison d’en douter,
je me fatigue plantée là à tenir les poutres
au cas où l’horizon se scellerait.
c’est vrai, il faut ces féroces et ces allumeuses,
catins scintillantes au large de mon sourire pastel,
les leçons depuis longtemps englouties : demande pardon, demande grâce, supplie, fends-toi, trouve ton agilité, ta césure –
je me tiens tranquille, je montre à qui le demande mes mutilations
et lorsque tu avances pour toucher, j’acquiesce : je dégénère.
Roxane Desjardins est née à Montréal. Elle a publié Ciseaux (2014, prix Émile-Nelligan, prix Félix-Leclerc de poésie) et Moi qui marche à tâtons dans ma jeunesse noire (2016) aux Herbes rouges.