Rien que le nom, déjà…
LUCIE JOUBERT
J’ai toujours eu un faible pour les chroniqueuses d’humour, surtout les féministes. Il y a eu Suzanne Jacob pour la Gazette des femmes et Hélène Pedneault pour La Vie en rose. C’était systématiquement leurs textes que je lisais en premier; j’adorais leur façon de prendre à distance les mauvaises nouvelles qui, la plupart du temps, tapissaient chaque numéro à la grandeur. Rappelons-nous : Jacob fermait la Gazette avec Ah…! qui nous racontait les hauts et les bas d’une Suzanne démunie, souvent à côté de la plaque, stupéfaite de ce qu’elle découvrait dans la nature humaine. Un exemple, pour le plaisir :
– Mais enfin, madame! Ça se voit à l’œil nu que vous vous négligez!
Y a-t-il quelque chose de plus laid qu’un œil nu? Évidemment qu’à l’œil nu ça se voit que je ris trop, que je pleure trop, que je me défigure moi-même à toute vitesse[1].
Chez Pedneault, dans La Vie en rose, c’était plutôt la gueularde patentée qui me faisait me tordre avec ses questions improbables. Elles résonnent encore : « Y a-t-il une patate frite dans la salle? Y a-t-il un REER dans la salle? Y a-t-il une banlieue dans la salle? » On retiendra surtout quelques revendications de Zélia, 91 ans, de la F.L.A.Q.U.E, le Front de libération des âgées du Québec, usées, et écœurées :
Dites à vos infirmières et infirmiers d’arrêter de nous parler comme à des arriérées mentales. C’est pénible de les voir se ridiculiser ainsi.
Si vous restez sourds à nos revendications, nous connaissons de très bonnes marques d’appareils auditifs[2].
C’est dire si les bottes seront difficiles à enfiler : je chausse du 9½, mais quand même. Par où commencer? Comment faire pour trouver un ton qui tranche avec ces deux pionnières, imposer un rythme, une perspective, un style, drette là, tout de suite? Comment être originale à côté de Suzanne la pognée et Hélène la revendicatrice? Une idée : je vais être bête comme mes deux pieds… même contre les femmes. Fini le manque d’assurance; finie la harangue. Place au chialage, à la gérance d’estrade.
Et ça commence maintenant.
Rien que le nom de la revue, déjà. Françoise Stéréo! Tant de titres évocateurs, fins, spirituels, tant de possibilités dans l’univers pour en arriver là! À jeun, ça va toujours. Essayez après quelques verres. Et j’imagine le nombre de fois qu’il faudra le répéter au gars du dépanneur :
– Pardon, Monsieur, vous avez le dernier Françoise Stéréo?
– Pour les revues de musique, c’est en bas à gauche.
– Non, non, Françoise Stéréo…
– Françoise qui?
– C’est une revue fémini…
– La déco, c’est l’autre allée.
Ou bien on pensera que Québec solidaire a décidé de se créer un organe de propagande. Ou bien on conclura que les baby-boomeuses (soixante ans et plus) se sont dotées d’une circulaire pour échanger les meilleurs prix de bains à porte à remous à vidange à droite. Qui, non mais qui, fera le lien avec Robertine Barry, la Françoise des Chroniques du lundi? (À part, s’entend, celles qui auront eu la curiosité d’ouvrir le numéro et de parcourir l’à propos. Elles lisent présentement ces lignes et se disent : c’est en plein ce que je pensais moi aussi, tu parles d’un nom.)
Fichue façon d’établir le contact avec le public; aussi invitant que de contourner une camionnette « Exterminateur – discrétion assurée » avant d’entrer dans un restaurant. Marketing, les filles, marketing. C’est vrai que nous, les affaires, on n’est pas douées pour. Même quand on l’est. Ça énerve. C’est le Dragon lui-même qui le dit, l’entrepreneurechippe à grosses lunettes carrées : « Ah! Ah! C’est Madame qui porte la culotte », secondé par le souper presque parfait recyclé qui ajoute : « Toi, tu parles, l’autre écoute », saison 3, épisode 1, revisitez vos classiques. Auraient-ils raison? On ne l’aurait pas pantoute?
En tout cas, on n’attire pas les mouches avec du vinaigre, les filles; nous la femme, pour nous séduire, il faut des préliminaires et c’est très mal parti. Le coït est interrompu avant même d’avoir commencé. On en a la preuve entre les mains. Françoise Stéréo, et ça veut se construire un lectorat…
J’arrête ici : c’est une première rencontre, et je ne vais pas plus loin. Mais voilà qui devrait vous avoir mis au parfum. Parce que je vous avertis : j’en ai long à dire sur le niaisage pseudo féministe de certaines fausses controverses en ce moment, j’en ai gros sur le cœur contre l’angélisme féministe tout inclus, à la Christine Heffner j’ai-été-PDG-de-Playboy-mais-je-suis-pour-l’avortement-alors-je-suis-féministe, exemple révolu, oui, oui, je sais, mais qui fait des petits à une vitesse folle à l’heure actuelle. Ma liste est infinie.
Je n’ai rien à perdre (ce sont les filles de la revue qui devront s’arranger avec la baisse de tirage), je suis, de plus, imperméable à l’ire internaute et aux hoquets de la twittosphère parce que l’expérience m’a montré qu’on ne parle jamais que de soi et très accessoirement du sujet du jour et que, depuis le temps que je me fais traiter d’antiféministe, j’ai compris que c’est l’argument qu’on sort quand on n’est pas d’accord avec moi. Je suis équipée pour râler tard.
Je ne suis même pas indignée; je suis seulement bête comme mes pieds. Ça va saigner, et pas seulement tous les vingt-huit jours.
[1] Suzanne Jacob, « Le suivi », Ah…!, Montréal, Boréal, coll. « Papiers collés », 1996, p. 43-44.
[2] Hélène Pedneault, « Y a-t-il un âge d’or dans la salle? », Les chroniques délinquantes de La Vie en rose, Montréal, Lanctôt, coll. PCL/petite collection Lanctôt, 2002, p. 28-29.