Rencontre avec Julie Artacho

Artacho 600

 

CATHERINE ROBILLARD

Photo: Satya Jack, www.jackraw.com

 

 

21 août 14 h 30

Plein milieu de semaine, un peu nonchalante, je marche sur Hutchison. J’ai rendez-vous avec la photographe Julie Artacho à son studio. Je dois réaliser cette entrevue au sujet de son corps, son poids. Parler du corps, de sa nudité, de la difficulté d’être ronde; intéressant, mais j’anticipe déjà le discours préconçu. Erreur. Julie Artacho c’est un coup de poing au cœur, un regard bourré de lucidité. Une femme brillante, volubile. Un discours franc, assumé et cru.

 

Elle me parle de son corps avec une aisance désarmante. Elle n’est pas mince, c’est vrai. Pour l’entrevue, elle est en mini short, t-shirt noir moulant et mini veste. Elle assume, ça se voit. Elle est bien dans sa peau, probablement plus que vous et moi.

D’ailleurs, plus elle me parle de son corps, plus j’ai envie de le déshabiller du regard, mais je n’ose pas. J’ai l’impression que si je me permets d’observer son corps ce sera perçu comme du voyeurisme. Pourtant je la trouve magnifique. Magnifique et sexy.

 

Julie brise la glace : « Tu sais, les grosses n’ont pas le droit d’être sexy. Mon corps c’est le plus grand cauchemar de la majorité des femmes et c’est aux antipodes de l’idéal masculin. Et les gars qui aiment les grosses, c’est tabou. Pourtant il y en a. On est sexy, on est désirables et il y en a des hommes qui nous le font sentir. »

 

Julie a commencéà aimer son corps le jour où elle a réalisé une série photo pour Urbania. « Je photographiais une femme ronde et je la trouvais vraiment belle. Et puis je me suis dit, mais elle a le même corps que moi. Pourquoi elle, j’aime ses courbes? Pourquoi je n’arrive pas à avoir ce regard envers moi-même? » Puis, de rencontre en rencontre, elle a appris à apprivoiser son corps. « Quand j’ai vu La Pornographie des âmes de Dave St-Pierre, j’ai étéébranlée. Il y a un tableau oùune comédienne ronde porte un sac de papier sur la tête. Elle se fait dessiner des pointillés sur le corps, là oùon devrait découper sa chair. Quand elle enlève le sac, tu penses qu’elle va s’effondrer, mais elle se met à danser avec son ventre de façon sensuelle, sourire aux lèvres. C’est à ce moment que j’ai réalisé que tu peux transmettre ce que tu veux avec ton corps. Que tu sois gros ou mince, tu peux le projeter de manière misérable ou désirable. C’est toi qui as le contrôle de ça. On ne contrôle pas le regard des autres sur soi, mais on contrôle celui que l’on porte sur soi-même. Et plus tu t’assumes, plus tu finis par pouvoir te définir autrement que par ton corps. »

 

Oui assumer, mais à quel prix? Encore faudrait-il que la société dans laquelle on vit assume la disparité des corps, inculque la tolérance. « Tout ce qu’on dit sur les grosses est haineux. Si on disait des trucs aussi haineux sur les homosexuels, les noirs, les juifs, ça ne passerait jamais. Les gros? On peut dire ce qu’on veut. »

 

On vit dans une société de consommation du corps, de consommation de l’image. De plus en plus, on revendique plus de « vrai » dans nos magazines, dans nos publicités. Ça paraît bien. On veut du vrai monde, des vraies grosses, mais pas trop grosses, juste assez grosses. On veut que ce soit naturel, mais on ne pourrait pas juste retoucher la cellulite? En enlever juste un peu? On ne se leurrera pas, on a un immense travail collectif de conscience à faire.

 

C’est ce qui a d’ailleurs motivé Julie à participer à ce projet. « C’est normal et sain d’avoir le corps que j’ai. C’est ce que je veux qu’on retienne. Si je peux inspirer des femmes par mon assurance lorsque je suis nue, même si ce n’est qu’une seule personne, j’aurai l’impression de faire quelque chose de bien pour l’humanité »

 

C’est déjà chose faite et je ne serai certes pas la seule à être inspirée.