La posture de la bonne victime ou comment fesser encore plus sur ceux à terre
Vanessa Bell
Tu te tiens à mes côtés et risques le rapprochement.
Ton bras fraye sous ma nuque et de toute ta délicatesse du monde, tu caresses mes cheveux.
Je ne sens rien.
Tu me demandes si tu as fait quelque chose, si je suis fâchée.
– Non, que je te dis. Dors.
Je te regarde dormir et me demande comment je pourrais faire pour réclamer mon droit au silence sans me désolidariser.
Il est trop tard.
Je ne suis plus celle que vous croyez, pas même celle que je crois être. Je suis autre.
Je suis une succession de douches dans la nuit, un horaire trop chargé exécuté avec brio, une série de courses qui n’ont rien à voir avec une remise en forme, la mort par le froid en ce que vous croyez être du camping d’automne, une mère qui veille son petit la nuit de peur d’échapper ce qu’il reste de beauté, une alcoolique peu crédible dans sa posture et dans son legs écossais dissonant.
Je suis incapable.
Je cherche le poids de la neige sur ma poitrine, le cru des rivières quand l’été finit enfin par s’évanouir. Mais non. C’est une semaine de viols et de feuilles entêtées qui s’accrochent aux arbres. On appelle à l’air alors que je voudrais me terrer. Il me semble que ce soit la mauvaise saison pour porter mon féminisme inapte, même la nature me crie que je suis à côté de mon corps, agitée en toute chose, égoïste dans mes revendications.
Je ne veux plus de la prise de parole dans l’espace public, ne veux plus de conscientisation, plus de vigiles, plus de tribunes radiophoniques pour déverser vos opinions. Je ne veux plus d’explications, de listes de victimes.
Je ne veux plus de femmes debout; je veux crier que l’on se taise.
Je suis impératrice ordonnant aux victimes de se taire et c’est affreux.
Que l’on ferme les radios, les journaux, les réseaux sociaux. Que plus personne n’ait de tribune, pas même celles qui en ont besoin.
Que tu fermes ta gueule chaque soir où tu tentes de me réconforter.
Je suis une enfant gâtée épuisée de retourner dans les caves où j’ai gonflé les statistiques. Je suis une jeune femme qui retourne chez son agresseur. Je suis ta mère qui te réconforte quand tu pleures, débandé, contre mon corps que tu viens de saccager amoureusement. Je suis un hashtag qui – visiblement – n’a pas assez circulé, une campagne universitaire ridiculisée. Je suis le viol dans le couple. Je suis celle qui a consenti à un, pas cinq. Je porte chaque point de suture qui ne nous répareront jamais, je n’ai que des portes entrouvertes. Je ne suis plus étanche.
Je veux le silence, j’exige le droit de réenterrer ce qui est trop souvent pillé. Je réclame mon droit d’être une victime silencieuse, insensible, désengagée.
Je veux retrouver la nuit, une fuite où le suspendu se déploie.
Je ne veux plus être consciente, je veux baigner jusqu’à ma mort.
je ne crie pas
je vous garroche un silence de plus
au visage
– Il fait un temps de bête bridée, Mathieu Simoneau