Une petite histoire de la famille Kardashian

ANNE-CHRISTINE GUY

Illustration : Catherine Lefrançois

Une petite introduction

 Tadoussac. On est sur la terrasse du restaurant Le bateau, Clémentine, mon adjointe, Maude Veilleux, et moi. C’est un dimanche gris, fin de festival, tout le monde est un peu fatigué, mais on a le cœur heureux. On parle de tout et de rien. On parle médias sociaux, Instagram, création et legs de notre époque, où l’on peut mettre en scène notre propre vie et en faire un métier.

Maude dit : « Je suis pas down avec le monde qui shame les influenceuses. »
Je suis de son avis.

Ceci et cela me mènent à parler de la famille Kardashian. Je keep up avec le clan depuis quelques années déjà. Je fais mon petit laïus, j’étaye mon analyse sociologique pas trop scientifique sur cette famille et son succès. Je nomme mes sœurs préférées et pourquoi elles le sont. Maude de dire que je devrais écrire un texte là-dessus. Comme je prends les conseils de Maude au sérieux, me voici qui m’exécute.

Une petite histoire de la famille Kardashian

J’ai commencé à écouter Keeping up with the Kardashian un mois de juin un peu chaud. J’avais épuisé ma banque de séries à binge watcher. J’avais besoin d’un nouveau fix. De cette famille, je savais peu de choses. Ne savais pas pour les cosmétiques. Ne savais pas pour Caitlyn Jenner. Ne savais pas pour le père mort qui avait jadis défendu O.J. Simpson. Pourtant, leur nom bourdonnait depuis longtemps autour de moi. J’entendais des personnes pour qui j’avais de l’admiration parler d’eux sans jugements. C’est Jessica Williams, actrice que je trouve si cool (check her imdb girls) qui a fini par me convaincre. Dans une entrevue, elle parlait avec passion de Kim Kardashian, « her queen ». J’avais trouvé ma nouvelle drogue et en prime, j’espérais ben gros grignoter un peu de la vie de Kanye West dans une téléréalité.

En moins d’un mois, j’ai clenché plus de huit saisons de l’incroyable famille Kardashian. Crash course assez intense sur leur univers.

Les protagonistes

Laissez-moi, s’il vous plaît, vous les présenter.
D’abord, tout le monde connaît Kim.

Les mauvaises langues diront qu’elle a réussi à se hisser au sommet des starlettes grâce à un sex tape qui a leaker sur les infâmes interwebs (ces mauvaises langues pourraient ajouter que c’est sa mère qui a laissé couler le vidéo). Kim a été pendant longtemps la préférée de sa maman, Kris Jenner. Sa soif pour la gloire était si grande qu’ensemble les deux femmes ont pu propulser leur famille au rang de famille royale américaine. Kim Kardashian West, c’est KKW BEAUTY. C’est l’ancienne adjointe de Paris Hilton devenue plus populaire que la riche héritière. KKW, c’est la femme de Kanye West. Dans un épisode de la saison 17, sa fille North West lui demande : « Why is there lot of people every day taking picture of us? » Kim lui répond : « Well to get very technical, my name is Kim Kardashian and Daddy is Kanye West and daddy is a singer, performer, “artist”. Mommy as so many talent I can even begin to name them! » Heureusement pour elle, North West pourra un jour visionner l’histoire de toute sa famille à travers une série principale et neuf spin off, sans oublier les médias sociaux, journaux à potins, photos des paparazzis, etc. C’est beaucoup plus que les albums photos de moi chez ma mère et les souvenirs racontés dans les soupers de famille.

Kris Jenner, c’est la matriarche. Kris started from the bottom and now she is a kick ass business woman, a momager. La plus populaire des momagers d’ailleurs : c’est sa photo qui est apparue en premier sur Google quand j’ai tapé le mot pour en vérifier l’orthographe (que j’avais d’ailleurs écrit correctement du premier coup. Take that, petite dyslexie!) Comment parler de Kris? C’est une femme pour qui la famille est la chose la plus importante, mais qui ne se gêne pas pour nommer ses enfants préférées. C’est une femme qui gère, une femme qui contrôle : enfants / conjoints / amies / mère. C’est une femme dont la beauté lui a permis de sortir de la pauvreté. Chez les Kardashian-Jenner, on prend soin de notre image et tous les moyens sont bons pour entretenir notre beauté. Un jour, parlant de Botox et d’argent, Jenner a dit : « How could I be allergic to the two things that make my world go round? » Ça me semble un bon résumé de la personne.

Khloe. Quand j’ai commencé à écouter les Kardashian, Khloe était ma préférée : personnalité bubbly, au premier abord, elle semble sweet avec tout le monde. (Vous remarquerez que j’ai décidé d’ajouter mon appréciation personnelle des protagonistes Karjenner parce que si je garde ça pour un autre tantôt, ni vous ni moi ne sortirons vivant.e.s de ce texte.) Donc Khloe est la plus jeune des sœurs Kardashian et dans les premières saisons de la série, elle était la « petite grosse » de la famille (bon, je vous expliquerai pas aujourd’hui ce qu’est la grossophobie, mais mettons que la famille fait pas grand-chose pour éteindre ce feu). Pendant plusieurs saisons, Khloe était jalouse du corps de ses sœurs. Elle est aujourd’hui celle qui a overcome ses problèmes de poids. Même si ce n’est pas exactement présenté comme ça dans KUWTK, la chaîne E a quand même diffusé trois saisons du programme Revenge body with Khloe Kardashian. Dans cette série, elle accompagne des participant.e.s vers la perte de poids, un peu comme elle l’a fait elle-même. Moi, personnellement, j’ai déchanté de Khloe au fil des saisons. Sous ses airs de fille smatte avec tout le monde se cache the most intrusive membre du clan Kardashian. Même si c’est une personne avec un grand cœur qui ferait tout pour celles et ceux qu’elle aime, elle se permet beaucoup de jugements, et je dois dire que ses opinions sont dans un spectre opposé aux miens.

Kourtney. Je dois le dire : Kourtney is my queen. À travers les années, Kourtney a su me charmer, mais j’avoue que la raison première qui l’a fait se hisser au top de ma liste est que je la trouve vraiment belle. Aussi superficiel que ça. Kourntey, c’est aussi la sœur qui apporte la portion romantique au programme, surtout à cause de sa longue et tumultueuse relation avec Scott Disick, le père de ses trois enfants. C’est aussi la plus « antistar » de la famille. Elle médite, mange vegan, vit finalement un coparenting chill avec son ex. Pour moi, Kourtney, c’est la cool kid de la famille.

Scott Disick. Lui, c’est un des seuls pas Kardashian ni Jenner qui est dans la série depuis le début. Scott est le père des enfants de Kourtney. Dès la première saison, les deux ont une relation tumultueuse. Les premières fois où on le voit dans l’émission, Kris Jenner est inquiète, car il semblerait que le beau garçon ait embrassé une autre fille que Kourtney, alors qu’ils étaient ensemble. Turn out : le couple était ouvert et Kourtney était totalement au fait de cette histoire. Le couple est toujours on and off : c’est surtout Kourtney qui ne veut pas se marier et on reproche à Scott ses flirts quand le couple est en rupture. C’est peut-être parce que j’aime bien ce bon vieux bougre que je le regarde avec trop de clémence. Pour la famille K/J, Scott a été longtemps le bouc émissaire. Petit Rémy sans famille un peu trop sur le party, il est celui qui s’attire toujours les foudres de la famille, mais qui s’accroche. De mon bord, j’ai souvent plutôt vu un gars qui avait un solide besoin de rencontrer un.e psychologue. Peut-être que c’est arrivé, car Scott est maintenant dépeint comme un père extra, un jeune homme de talent, un membre de la famille, le beauf préf de toutes.

Les sœurs Jenner. Kylie avait 10 ans quand l’émission a été lancée en 2007 et son aînée Kendall avait 11 ans. Bien qu’elles soient rarement mises à l’avant-plan dans cette émission, il faut dire que d’avoir eu la quasi-entièreté de ton existence documentée à la télévision (accompagné, je présume, d’une bonne rémunération) donne un pas pire kick start à ta vie. Kendall est sûrement la plus discrète du duo et j’avoue avoir peu de choses à dire sur elle. Je ne vais pas m’attarder sur le scandale du Pepsi; cherchez sur Google. (Bon, je me sentais mal, voici un lien) Kylie, quant à elle, est, selon les termes utilisés dans Forbes, « On the youngest woman self-made billionaire ». Vous comprendrez qu’ici un autre petit scandale a émané! Malgré son incompréhension apparente de ce que sont des privilèges, Kylie demeure une de mes sœurs préfs du clan. Une des seules dont j’ai écouté le spin off entier. Kylie, selon la façon dont elle est présentée à l’écran, est une fille ben smatte, pas trop grosse tête et qui se mêle de ses affaires.

Caitlyn (anciennement Bruce) Jenner, Rob Kardashian. Je les présente en duo, car tous deux ne sont pas restés pour l’aventure complète de la série. Bruce Jenner, ancien mari de Kris et père de Kendall et Kylie, est resté dans l’émission jusqu’à ce qu’il devienne Caytlin. Caytlin, elle, est restée une saison. Après, les choses ont tourné au vinaigre avec Kris et elle a été bannie du clan. Alors qu’elle n’avait pas fait sa transition, elle représentait bien le bon vieux patriarche qui laisse la charge mentale à sa femme, slutshame et body shame ses filles. À mes yeux, un gars un peu archaïque dont la pensée ne semblait pas avoir sorti des années 1980. Rob, c’est le jeune frère. J’ai pas gardé énormément de souvenirs de lui, mais ce dont je me souviens, c’est qu’à un certain point, une rupture l’a plongé dans une grande détresse, il a pris pas mal de poids, et après s’être fait dire plusieurs fois de se prendre en main, il a disparu de l’écran. Je serais malhonnête si je ne mentionnais pas qu’après sa disparition, Rob a tout de même eu un spin off avec sa copine du temps, Big Chyna.

A Great American Legacy

Maintenant que vous les connaissez mieux (si vous ne les connaissiez pas déjà), laissez-moi m’attarder un peu plus sur leur succès et sur le legs qu’ils laisseront aux générations futures.

Une chose que je ne comprenais pas avant de me lancer dans la folle aventure Kardashian, c’est pourquoi, criss, autant de gens écoutaient cette émission. Je comprends le culte de la célébrité et ce n’est pas la première famille à ouvrir ses portes aux caméras, mais après tout, les Kardashian, avant d’être cette famille vedette de téléréalité, ne faisaient rien d’extraordinaire de leur vie à part être riches (bon Bruce Jenner était un champion olympique, mais je ne pense pas que ce soit lui qui ait attiré les spectatrices et spectateurs devant leur TV). Non seulement la famille ne faisait pas grand-chose, mais, contrairement à beaucoup d’autres téléréalités, il n’y avait pas de concours ou défis qui rendent les choses excitantes.

Il a fallu que je me lance tête première dans l’écoute de la série pour finalement apprécier le succès des Kardashian. Je pense que ce qui a permis à la famille d’atteindre les sommets et d’y rester, c’est surtout que l’intérêt principal de ce spectacle est leurs liens familiaux. KUWTK est centré sur les rapports humains d’abord. Bien sûr, la richesse impressionne et en fait rêver sûrement plus d’un. Évidemment, dans la série, on peut voir leurs possessions, leurs grosses maisons, les constants voyages en jet privé, mais ce n’est pas la ligne narrative qui est mise de l’avant pour faire avancer « l’intrigue ». De plus, malgré leur richesse, ils n’agissent pas selon l’image un peu poussiéreuse et élitiste qu’on se fait de gens riches comme, par exemple, la famille de Lorelai dans Gilmore Girls ou les protagonistes de Gossip Girl : des personnages riches de génération en génération, qui fréquentent les ivy league et vont dans des boarding school et dont les liens familiaux ne sont qu’apparence. Quand je pense aux Kardashian, je pense à cette scène de Titanic où un ou une riche héritier.ère (je ne sais plus laquelle, j’ai écouté ce film en secondaire 4) parle de Margarette Molly Brown et la décrit comme une nouvelle riche. Pour eux, ce sont des personnes qui malgré leur fortune n’avaient pas le même raffinement que les riches héritiers. Pour moi, les Kardashian sont l’incarnation moderne de ce concept.

La famille Kardashian représente bien le modèle de famille américaine tel que je me l’imagine dans ce qu’elle a de plus beau et de plus laid. Le plus beau : l’amour, la solidarité, le clan. Quiconque pile sur les pieds d’une Kardashian pile sur les pieds de la famille complète. Les membres se côtoient, partagent leur quotidien et sont dédiés à se créer les plus beaux souvenirs collectifs. Le plus laid : si le clan défend tous ses membres devant le monde entier, entre elleux, la critique est rapide et dure. Tout le monde se permet d’avoir le nez dans les affaires des autres. Je suis persuadée que plusieurs Américains et Américaines se reconnaissent dans cette famille. Même lorsque l’on considère que c’est un divertissement léger, on peut, à un moment ou à un autre, se retrouver dans quelque chose qu’une de ces personnes vit.

Mais ce qui me fascine le plus des Kardashian, c’est à quel point ces gens ont accepté d’offrir leur intimité au vu et au su de tous. On s’entend pour dire que ce n’est pas toujours leur bon côté que l’on voit. Les disputes, les coups bas, les insécurités : on explore beaucoup les vulnérabilités du clan dans l’émission. C’est sûrement aussi ce qui les rend attachants aux yeux du public, quand on sait que Kourtney Kardashian a accouché devant les caméras, que Kylie et Kendall ont passé plus de la moitié de leur vie devant les caméras, que la nouvelle génération est devant les caméras depuis sa naissance, que Caitlyn Jenner a vécu sa transition devant public, un public qui compte un grand nombre de gens ultraconservateurs. Dans la saison 16, Khloe Kardashian, qui vivait une messy séparation, a pleuré devant les caméras en disant : « I’m not just a TV show, like, this is my life », et je crois bien que ceci décrit la réalité de tout le clan.

Pour moi, KUWTK est très représentative de notre époque parce que, de nos jours, ce n’est pas seulement avec les Kardashian que l’on peut keep up. Avec Facebook, Instagram, YouTube, on peut tous mettre notre vie en scène. Plusieurs présentent cela comme une forme de narcissisme, mais je ne suis pas sûre de me rallier à cette ligne de pensée. Après tout, depuis toujours, on a trouvé des façons de raconter notre histoire personnelle aux autres : legs aux générations futures ou tentatives de faire en sorte de ne pas être oublié à travers les époques? Je ne sais pas. Ce que je sais, par contre, c’est que ce type de transmission n’était pas accessible à tous.tes avant et c’est pourquoi nous connaissons principalement l’histoire humaine à travers les yeux de ceux qui avaient le privilège de prendre la parole, soit les hommes blancs et riches. De nos jours, tout le monde a une caméra au bout des doigts et tout le monde, avec des moyens inégaux, je l’admets, peut de rêver transmettre son expérience. Je crois qu’à travers cette cacophonie d’informations, nous léguerons aux générations futures une histoire plurielle de la vie dans les années 2000.