pas vu

EMMANUELLE LESCOUET

Illustration: Catherine Lefrançois

Parce que t’as pas le temps.
Parce que t’embauches dans une heure.
Parce que le loyer, pis le frigo vide.
Parce qu’il faudrait s’y mettre.
Parce qu’il faudrait être présentable.

Ouvre tes yeux
Sur la cour
Sur la ruelle
Sur ce truc, là, d’une drôle de forme qu’on dirait un sourire.

C’est en voyant le point de chute que tu peux faire tomber l’entassement.
C’est en appuyant sur le bon point qu’on verra la bascule.
Nous sommes invisibles, du clan des pas-vues, des pas-si-laides, mais pas remarquables pour autant : il nous revient d’apprendre à voir, pour apprendre à (faire) bouger.
Il nous faut voir l’invisible pour créer l’incréé.

Nous sommes à hauteur de presque rien.
Nous l’avons sous les yeux.
Tout le temps.
Partout.

Il suffit de se servir, et de passer au voisin.

Ce moment ne sera pas rentable.

Ne sera pas utile.

Mais le matin où il ne restera rien,
ce regard, ce morceau de temps vaudra le coût d’être offert.

D’être pris.
D’être volé.

Vois le rien.
Décris le rien.
Transmets le rien.