On est toutes des Françoise… David

FD

VALÉRIE GONTHIER-GIGNAC

 

Le 10 juin dernier, l’Assemblée nationale adoptait la Loi modifiant le Code civil afin de protéger les droits des locataires aînés. Une loi d’à peine trois articles tenant sur une seule page, mais qui remplit celle qui l’a déposé de fierté.

— Écoutez, c’est rarissime, rarissime qu’un projet de loi déposé par un parti de l’opposition se rende jusque-là, se réjouit Françoise David.

On sent la fin de session parlementaire : Françoise David est en blitz d’entrevues, il y en aura au moins deux autres après la nôtre. Son attachée de presse nous a averties : « Pas plus de trente minutes! » Pourtant, l’atmosphère est détendue dans le grand bureau de l’Assemblée nationale. Françoise David peut respirer, elle a la garantie que ce projet de loi, qui l’a habitée pendant près de quatre ans, sera adopté le lendemain.

Retour dans le temps. « Moi, la question du logement dans mon quartier me préoccupait. Dans Rosemont-La Petite-Patrie, je voyais qu’il y avait des augmentations de loyer, qu’il y avait des transformations en condo, je soupçonnais qu’il y avait de la spéculation… »

Proche du milieu communautaire par sa formation, son expérience et sa sensibilité, elle a déjà tissé comme députée des liens naturels avec les organismes de sa circonscription. Des liens qu’elle veut empreints d’autonomie et de transparence : dès son entrée en fonction, elle a établi et diffusé une liste de critères pour l’attribution du fond de soutien à l’action bénévole dont elle dispose en tant que députée. « C’était très important pour moi d’établir qu’un organisme communautaire, c’est autonome. Oui, vous pouvez dire des affaires qui ne me font pas plaisir, c’est votre job. »

Quand elle contacte les principaux intervenants concernés par la question du logement, tous acceptent son invitation : les élus de l’arrondissement, le comité logement, quelques autres groupes communautaires… De réunion en réunion, le dossier avance — une étude juridique est même commandée à des professeurs de l’UQAM —, et, au bout d’un an, Françoise David commence à voir l’ampleur du projet : « S’attaquer de plein fouet à deux députés, au problème de la spéculation dans Rosemont-La Petite-Patrie et les autres quartiers centraux de Montréal et de Québec : gros contrat… »

Heureusement, Sylvain Gaudreault, alors Ministre des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire sous le gouvernement péquiste, se montre ouvert à sa préoccupation : il annonce même qu’il prévoit en tenir compte dans la politique nationale de l’habitation sur laquelle il travaille. Cet engagement satisfait la députée David, qui entend profiter de l’opportunité d’une collaboration : « Lui, il avait beaucoup plus de moyens que moi. »

Mais les élections sont déclenchées au printemps 2014, et Françoise David s’inquiète de devoir tout recommencer si les libéraux prennent le pouvoir. La suite tient un peu du hasard : au cours de recherches autour de la spéculation et de la crise du logement, l’équipe de Québec solidaire tombe sur une loi française de 1989 qui protège de l’éviction les locataires à faible revenu de 70 ans et plus. L’idée chemine : « Parmi les gens qui venaient au comité logement ou dans mon bureau, parmi les locataires évincés, y’avait des aînés de 80, 85 ans… c’était juste épouvantable. Alors je me suis dit, commençons par là. »

À partir de ce moment, sa stratégie se précise : « Je pense à la chose suivante : on va essayer d’aller chercher un engagement au débat des chefs! »

Son équipe n’y croit qu’à moitié, mais elle tient son bout. « Moi, j’ai un peu une tête de cochon, pis j’ai dit, ça coûte pas cher, on essaie! » Deux jours avant le débat, elle convoque un point de presse où elle annonce son intention, au retour en chambre, de déposer un projet de loi pour protéger les locataires aînés, ajoutant qu’elle espère obtenir un appui de toute la classe politique sur cette question.

Le soir du débat, elle explique à nouveau son projet, prenant les autres chefs à partie : « Êtes-vous d’accord avec moi? » Tous acquiescent. Après les élections, remportées par les libéraux, la députée David dépose donc son projet de loi tel qu’annoncé. « La plupart du temps, quand les oppositions déposent un projet de loi, il ne se passe rien du tout. Mais là, le ministre Moreau, ou peut-être Couillard, je ne sais plus, s’est levé pour dire : “Oui, nous en avons pris l’engagement durant la campagne électorale, nous voulons travailler de concert avec les oppositions, nous allons donc, oui, nous allons traiter ce projet de loi.” »

Forts de ce premier succès, Françoise David et son équipe se remettent au travail en collaboration avec celle du ministre Moreau. Un an et plusieurs amendements plus tard, le projet de loi est déposé. Mais après l’étude en commission parlementaire, le ministre, sans faire marche arrière, annonce néanmoins qu’il faut en retravailler certaines dispositions. L’équipe se retrousse les manches et trouve, à force de consultation, une manière satisfaisante d’intégrer les précisions et les assouplissements demandés. Le projet est enfin prêt.

Mais, en février 2016, nouvel écueil : le ministre Moreau, malade, est remplacé par Martin Coiteux. Françoise David s’alarme : « Je me dis, tout est à recommencer… »

Pas tout à fait : Martin Coiteux se présente à la première rencontre, accompagné de sa directrice de cabinet qui se montre réceptive au projet de loi. « Je pense qu’elle a joué un rôle très important là-dedans. C’est intéressant, les solidarités entre femmes et féministes. Elle est libérale, clairement, et je suis solidaire. Ça, on s’entend elle et moi là-dessus. Mais elle a trouvé qu’il y avait quelque chose là. Au fond, on a beaucoup travaillé ensemble. »

Des rencontres et des discussions ont lieu, avec la Régie du logement notamment, qui s’oppose à l’idée d’introduire un déséquilibre entre les droits des propriétaires et ceux des locataires. Mais, de fil en aiguille, on aboutit à une entente qui se formule simplement : un locataire de revenu faible ou modeste, qui a plus de 70 ans et qui vit dans le même logement depuis au moins dix ans ne peut en être évincé. Françoise David a tout de même concédé trois exceptions à cette règle : un propriétaire peut reprendre un logement, pour lui-même ou un proche aidant s’il a plus de 70 ans, ou, s’il a moins de 70 ans, pour loger un membre de sa famille âgé lui-même de 70 ans ou plus.

Des exceptions qui la tiraillent, mais pour lesquelles elle a obtenu l’appui des groupes d’aînés et de son comité logement. Ils lui disent : « Écoute, on aurait mieux aimé qu’il n’y ait pas d’exception, mais la règle est intéressante et c’est un gain réel pour les locataires aînés. »

Un gain qui compte, même si, au final, il ne résout pas l’ensemble du problème auquel aurait voulu s’attaquer Françoise David. Depuis le début de l’entrevue, nous avons à plusieurs reprises noté son côté pragmatique, très concret, opposé à l’image d’idéaliste qui colle à Québec solidaire. Notamment sur la question de la charte de la laïcité, présentée en 2013 en réponse à la fameuse charte des valeurs du Parti québécois : « J’essayais de prendre les éléments les plus consensuels qui venaient à la fois de tous les partis politiques, mais aussi d’une majorité de gens dans la population pour dire : “Regardez, déjà, si on faisait tout ça, on aurait avancé, laissons de côté l’histoire des signes religieux, parce que c’est ça qui déchire tout le monde, avançons donc sur le reste.” »

On retiendra aussi de Françoise David ce goût pour le consensus et pour la cohésion, cette capacité de voir ce qui rassemble les gens pour pouvoir s’en servir comme base pour avancer. Une attitude partagée dans le parti, qui explique un peu comment Québec solidaire a pu émerger, dix ans plus tôt, de la fusion des petits partis qui composaient la gauche parlementaire : « Parce qu’au-delà de nos différences de milieux, de militance, etc., on partageait sur le fond des idées de gauche, féministes, écologistes, indépendantistes (ça c’est important aussi). Même si, mettons, pour certaines femmes, le féminisme venait d’abord, et que pour certains autres, les idées de gauche venaient d’abord. Mais tout le monde était quand même capable de dire : “On partage tout ça.” »

 

L’entrevue s’achève, on est même venu cogner deux fois à la porte du bureau pour signaler que les trente minutes qu’on nous avait accordées étaient terminées. Nous félicitons encore Françoise David pour son projet de loi. Elle hoche la tête : « Mais ce qui est le fun, là, c’est qu’on va avoir un super bilan. Manon a travaillé très, très fort pour un changement de règlement à l’état civil pour les enfants trans. » Elle mentionne aussi la participation d’Amir Khadir au projet de loi sur Pharma Québec, qui balise l’achat groupé de médicaments par le gouvernement pour en réduire les coûts.

Québec solidaire prendra-t-il un jour le pouvoir? Sans doute que Françoise David y croit. Mais, pragmatique, elle se concentre sur des objectifs concrets : « Dans la même session parlementaire, on va être capable de dire aux gens : “Regardez, regardez à trois ce qu’on arrive à faire. Imaginez-vous si à la prochaine élection on était, je sais pas, 25!” »