Tu n’es pas un allié, Christian

Le chattes sauvages continental women’s club

Illustration: Aussa Lorens

 

Christian,

Désolées d’avoir mis tant de temps à réagir à ton éditorial « Que faire des hommes? » de la semaine passée à l’émission Québec, réveille. C’est que ça nous fait capoter d’avoir – encore une asti de fois – à réagir à des propos comme les tiens. Et le fait que de tels propos soient tenus à Québec, réveille nous trouble profondément.

« Par où commencer, criss? » qu’on se demandait. On en revenait juste pas d’entendre autant d’inepties en une seule chronique, alors on s’est dit qu’on allait commencer par la base, par ta démarche, que tu nous exposes avec l’assurance de celui qui se sent absolument validé. Tu commences par nous confier que tu as lancé un ballon d’essai – une polémique, tu renchéris fièrement – en suggérant sur Facebook qu’un festival de musique pour femmes seulement, organisé en Suède en réponse à de multiples cas d’agression, pourrait constituer une situation de sexisme inversé.

En partant, lancer un ballon, c’est une technique insultante et malhonnête. T’invites tes interlocuteurs et interlocutrices à s’investir de bonne foi dans un débat que toi tu te permets de contempler de haut et d’animer à coups de répliques visant à attiser la polémique. Tout ça, semble-t-il, sans la moindre considération pour ce que ça fait vivre aux personnes impliquées. Lancer un ballon, par exemple, c’est quand un gouvernement opportuniste lance des rumeurs de coupes à l’aide sociale ou aux services publics, pour évaluer ce qu’ils vont être capables de faire avaler au monde, en se crissant de l’angoisse incroyable de celles et ceux qui sont touché.e.s par ces potentiellement fausses nouvelles.

On est allées le voir le ballon en question. Tu y soulèves des questions comme si elles étaient originales, comme si des réponses à ces questions n’avaient pas déjà été pensées, écrites et débattues depuis longtemps. Notamment par des féministes. Notamment en réponse à des « polémiques » identiques à celle que tu soulèves. En commentaires de ton post, des personnes s’évertuent – encore une fois – à marteler que le sexisme inversé, ça n’existe juste pas, et à revendiquer – encore une fois – la pertinence des espaces non mixtes. On salue d’ailleurs ces personnes, on les remercie d’être allées au batte, et on leur souhaite, comme à nous, un futur où ce genre de cul-de-sac drainant n’existera plus.

Les coûts en temps, en énergie et en détresse d’avoir à argumenter et à se justifier, continuellement, sont bien connus. Mais ça, ça te gêne pas deux secondes. Tu n’as aucun scrupule de faire subir ça à tes interlocutrices et interlocuteurs et d’invalider leur point de vue – c’est toutte du bon matos pour ton éditorial.

Et quel éditorial!

En gros, tu nous y expliques que, ben oui, c’était important han, pour les femmes, au moment des #moiaussi, d’avoir un p’tit temps pour s’exprimer librement et, magnanime, tu reconnais qu’à ce moment-là, c’était important pour les survivantes (c.-à-d. une proportion écrasante de femmes que tu connais) de se faire écouter. Mais que là, maintenant, ça commence à faire, et qu’avec ton autorité autoconférée, tu détermines que c’est le temps d’arrêter ça, ces conversations-là entre femmes, sur les vécus des femmes, et qu’il faudrait qu’on commence à penser aux hommes, ces éternels oubliés. Parce que tsé, les hommes vivent de la violence. Pis c’est pas tous les hommes qui sont violents – d’ailleurs tu t’assures bien de la souligner en jaune épais la ligne que t’as tracée entre les méchants – eux autres là – pis les gentils – comme toi là.

On rentrera même pas là-dedans : on ne gaspillera pas nos précieuses minutes à t’expliquer que la violence sexuelle et la violence contre les femmes sont des phénomènes sociaux et systémiques qui dépassent les individus et leurs gestes, et que donc personne n’en est au-dessus. Soit tu sais déjà que ça a pas de bon sens et tu t’obstines à tenir ces lignes classiques masculinistes juste pour troller, soit tu veux pas le savoir (quelles œillères!) et ton cas est sans espoir et ne mérite pas notre attention.

Sauf que quand tu dis que c’est le temps que les femmes acceptent de discuter avec toi et de lutter à tes côtés, d’égal à égales, on aimerait te suggérer quelque chose. Si les femmes expriment le besoin de se réunir, d’échanger, de s’ouvrir, de se rendre vulnérables, de s’organiser, de reprendre du pouvoir – le tout sans toi –, c’est peut-être pas tant parce que t’as « un pénis et des testicules », comme tu te plais à nous répéter tout au long de ton éditorial (puisque dans ton monde, apparemment, homme = pénis et femme = vagin).

C’est peut-être parce que, comme tu nous démontres par cet éditorial, ta solidarité et ton empathie ne sont pas aussi fortes que ton besoin de ramener à toi, de donner des conseils et de gagner de l’importance en avançant des positions de privilégié sous couvert de débat d’idées. C’est peut-être parce que ton manque d’écoute et de respect nous indique – encore une fois – que non, tu ne nous considères pas en égales.

Peut-être que c’est parce que t’es un allié de marde. En fait, on va se le dire franchement, t’es pas un allié pantoute, Christian. Maintenant que tu le sais, on aimerait ça se concentrer sur des choses importantes comme le sort des femmes autochtones et racisées, la culture du viol ou les inégalités encore latentes pour les femmes sur le marché du travail. On n’a pas de place dans notre lutte pour t’accommoder, Christian. On n’a pas d’énergie à perdre à essayer de faire en sorte que tu te sentes important. Prends-le pas personnel, mais on n’a pas besoin de ton aide. La seule chose que tu peux faire, c’est de nous laisser la place, la parole. On sait, c’est difficile à faire quand on a toujours eu le micro pour soi tout seul, mais maintenant, c’est le temps de laisser les autres parler.

Sincèrement,

Le chattes sauvages continental women’s club

(Laurence Simard, Marie-Michèle Rheault, Typhaine Leclerc-Sobry, Karina Hasbun, Marie-Ève Duchesne)