Mesurer le sexisme
Les dernières semaines ont été plutôt éprouvantes pour les féministes. D’abord, on ne saurait passer sous silence le courage de celles qui ont osé dénoncer les agressions sexuelles qu’elles ont subies. On ne saurait ignorer la force de celles qui se sont confiées, qui ont nommé leurs souffrances, qui ont exposé leurs plaies au grand jour et qui ont pointé du doigt leurs agresseurs. Elles se sont levées et ont crié bien fort le nom de ceux qui leur ont fait mal, de ceux qui ont brisé leur tête, leur cœur, leur corps.
Elles ont crié tellement fort que bien des femmes ont senti le besoin de parler à leur tour. Soulignons, entre autres, le courage des femmes qui ont dénoncé les agressions sexuelles survenues dans les résidences de l’Université Laval à la mi-octobre. Pensons aussi à celles qui ont choisi de se taire ou qui se sentent incapables de crier. Elles ne sont pas moins courageuses et leur douleur n’en est pas amoindrie. Que vous criiez votre douleur ou que vous la viviez en silence, sachez que nous vous croyons.
L’Université Laval étant l’alma mater de la majorité des membres du collectif Françoise Stéréo, inutile de dire que cette nouvelle nous a bouleversées. À la veille de la sortie de notre numéro sur la science, nous avons été choquées de constater que l’université, ce lieu où les grands esprits naissent, où les humains qui le fréquentent s’ouvrent à la connaissance et doivent être dotés d’un jugement certain, était encore et toujours un lieu de menace pour les femmes. Nous nous sommes battues pour y entrer, pour pouvoir y étudier, et maintenant, nous devons nous battre pour y être en sécurité? Vraiment? L’université devrait être le lieu de tous les possibles, de tous les savoirs. Elle devrait permettre aux femmes de se dépasser intellectuellement et de repousser les barrières. Pourquoi faut-il alors que des évènements aussi violents qu’une agression sexuelle ou qu’une violation de la vie privée viennent détruire la confiance que les étudiantes ont mis des années à bâtir? Pourquoi les femmes doivent encore et toujours se méfier des attaques possibles sur leur corps alors qu’elles ne voudraient que pouvoir se concentrer sur le développement de leurs connaissances? Puis, les attaques sont insidieuses. Quand on parle d’agressions sexuelles dans une résidence universitaire, c’est criant de violence et tout le monde est d’accord pour condamner ces gestes. Mais qu’en est-il de la misogynie latente dans les laboratoires de chimie? Qu’en est-il de ces chercheuses en sociologie qui se tapent la compilation de données de recherche pour un prof qui va recevoir tous les mérites? Comment démontrer les inégalités qui surviennent dans une assemblée générale étudiante d’un programme de physique où la majorité des étudiants sont masculins et où les femmes peinent à faire valoir leurs besoins et leurs idées? On parle ici du milieu universitaire, mais les milieux de travail liés aux sciences, qu’il s’agisse de sciences appliquées ou humaines, ne sont guère plus équitables.
Pour notre huitième numéro, nous avons choisi de nous intéresser à la science. Le thème a inspiré beaucoup de collaboratrices et nous sommes heureuses de la diversité de sujets et d’approches que cela a engendrée. Naturellement, il y a dans ce numéro des portraits de femmes scientifiques qui n’ont pas eu toute l’attention qu’elles auraient mérité. Nous pensons ici à Margaret Hamilton, une pionnière dans le domaine de la programmation informatique, puis à Rosalind Franklin, qui a contribué à la découverte de la structure de l’ADN. Ce numéro a aussi été l’occasion pour certaines de constater à quel point plusieurs pans de la recherche scientifique spécifiquement liés aux femmes ne sont pas assez développés. Pensons notamment à la recherche sur les SPM, sur l’endométriose ou sur la contraception. Ce numéro abordera aussi l’épineuse question des sciences « molles » que certains considèrent comme moins scientifiques ou légitimes que les sciences dites « pures ».
Le collectif éditorial aimerait remercier Yannick Hervieux et Anthony Charbonneau Grenier de Bicéphale – Solutions graphiques pour l’illustration de ce présent numéro. Dans un concept ludique, les deux illustrateurs ont voulu rendre hommage à quelques grandes scientifiques qui se sont illustrées dans plusieurs domaines tels que l’astronomie, la chimie, les mathématiques, etc. Soulignons aussi l’arrivée d’une nouvelle venue dans l’équipe de chroniqueuses. Eftihia Mihelakis signera maintenant la chronique C’est kif-kif qui portera sur ce qui se trame derrière les échanges les plus banals de notre quotidien, pour enquêter sur les dangers/plaisirs d’une naturalisation des phénomènes culturels. Quelques objets qui y seront étudiés cette semaine : le yogourt grec, Disney Land dans le monde, l’alma mater, etc.
Collectif éditorial
Marie-André Bergeron
Valérie Gonthier-Gignac
Catherine Lefrançois
Marie-Michèle Rheault
Julie Veillet
Illustrations : Yannick Hervieux et Anthony Charbonneau Grenier de Bicéphale – Solutions graphiques
Révision : Julie Veillet