Marjolaine Beauchamp

Rue Plessis

 

Marie-Ève empilée
Sous un tas d’enfants
À génétique variable
Bonheurs soudains
Trop bref pour supporter le vide
Ça aurait pris du duct tape pour tenir ta tête

 

 

 

 

La DPJ manichéenne
Envoyait des espions en suit d’intervenants
Cherchant des signes
Sur la table de cuisine
Pour leur confirmer ton déficit parental
Pendant que s’estompaient les bleus sur tes bras

 

 

 

 

À chaque boîte de céréales
Toute excitée tu déchirais
Comme une fillette cherchant la surprise
Un sifflet
Un bijou
Un plaisir immédiat
Pour la suite des choses
Quelqu’un qui te tendrait la main
Sans la serrer trop fort
Deux minutes
Le temps de trouver le courage
Faire une brassée
Appeler ta mère
Peut-être lui dire
Viens me chercher

 

 

 

 

Les mots que tu hurlais
Se diluaient dans le grind core
Et les pills avaient leurs synapses favorites
Pour se creuser un chemin

 

 

 

 

Marie Ève tes enfants
Ont tes yeux de métal froid
Des noms de films cultes
De notre adolescence
Je me rappelle tes papillons en tribal
Et tes chums cordés à Pâques
Sur le sofa de la cave
C’était toi la plus belle
C’est probablement pour ça
Qu’ils ont extrait le nectar
Jusqu’au dessèchement

 

 

 

 

Tout le monde était un loup
Avril fondait sur toi
Drapée dans ta psychose
Même la douche était trop chaude
Sur les plaies de l’hiver
Sur les pieds châtiés
À coup de pinces à booster

 

Les Hells sont créatifs
Dans leurs dissuasions

 

 

 

 

Val-d’Or était une bouche
Et la rue Plessis l’aorte
Une botche de smoke suffisait
Pour s’introduire chez toi
Parce que des restes
C’était tout de même mieux
Que le cri strident de tes organes vides

 

 

 

 

Couchés sur une montagne de linge
Où ils te fourraient en position fœtale
Un utérus où tu renaissais chaque fois
Avec la chance d’être une meilleure mère
Pour les quatre orphelins
Qui sucent encore leur pouce
Pour se souvenir de la chaleur
Du temps où ils te suffisaient

 

 

 

 

Avais-tu vu par la fenêtre
La patience de tes parents
Qui veillaient dans leur auto
Jusqu’à ce qu’un appel
Trouve son chemin jusqu’au seuil de ta bouche

 

 

 

 

Parkés en double indélogeables
De l’autre côté de la rue
Pour être là
Quand tu crierais « Papa »

 

 

 

 

Le son du loquet résonne encore des fois
Quand ils s’endorment ou qu’ils te pleurent
Ils n’ont pas défoncé
Même s’ils te sentaient très fort
Dans le silence de ta plainte
Pour qu’il te reste un endroit sûr
Où tu pourrais barrer la porte

 

 

 

 

C’est ce moment exact
Ou l’enfer a overlappé le réel
Et qu’un homme sans nom valable
A serré de ses mains sales
Ta gorge qui ravalait un cri

 

 

 

 

Devant ta porte d’appartement
Un locker
Ton tombeau
Des présents funestes                  du stock d’hiver
Peut-être que tu t’en sers là-haut
Qu’il y a un aréna gigantesque
L’amphithéâtre Vidéotron
Des morts de faits divers
Du popcorn au caramel
Et des petites filles
Qui tombent sur les fesses
Qui pleurent même pas pour vrai
Et qui te rappellent les tiennes

 

 

 

 

Ton nom a l’air d’un mot d’amour
Quand je pense à toi
Marie-Ève
En conduisant mon char de soccer mom
Dans le silence du parc
On pourrait croire à des atomes

 

 

 

 

 

La série de poème suivant est en hommage à Marie-Ève Charron, ma cousine, mère de quatre enfants, assassinée le 9 mai dernier (2016) à Val d’Or, par Lévis Landry, aussi soupçonné d’être en lien avec la disparition de Cindy Ruperthouse une femme autochtone de Val D’or. Elle était en psychose, elle avait 34 ans. Marie-Eve a été assassinée et son cadavre laissé dans un locker, devant son appartement.

 


Autodidacte, Marjolaine Beauchamp a commencé son parcours au sein de la Ligue de Slam de l’Outaouais pour remporter le titre de championne du Québec en 2009 et vice-championne mondiale en 2010. Ses textes et poèmes ont été diffusés et performés à la Première Chaîne de Radio-Canada, dans le cadre du projet PIB avec l’ONF, au Festival Voix d’Amérique et en première partie de Richard Desjardins entre autres.