Les femmes à l’université
MARIE CURÉ
Quand j’étais petite, j’avais très hâte de commencer l’école : j’irais enfin à la maternelle. J’ai demandé à ma mère ce qu’il y avait ensuite, puis ce qu’il y avait après la première année, après le primaire, après le secondaire, après le cégep, après l’université. Je nous vois très clairement toutes les deux; j’étais debout dans l’entrée et on s’habillait pour sortir, et dans mon souvenir, on allait justement chez le médecin pour mes vaccins préscolaires. Ce jour-là, j’ai dit à ma mère que je voulais faire l’école jusqu’au bout et que je ferais un doctorat.
En deuxième année, j’ai voulu être curé, puis j’ai appris que je n’avais pas le droit parce que j’étais une fille. C’est un peu là qu’a commencée mon histoire avec le féminisme, moi qui venais d’une famille où chaque enfant pouvait suivre ses envies et ses intérêts sans autre contrainte que le budget familial et la volonté de mes parents (tout à fait admirable) de nous accompagner à nos dix mille activités. J’ai d’ailleurs une magnifique photo où on nous voit mon frère et moi portant chacun un justaucorps fait d’un tissu bien lustré, fin prêts pour le ballet jazz, et puis une autre avec notre équipe de balle molle. Vous voyez le genre. Puis, en troisième année, j’ai voulu être paléontologue. En cinquième année, je voulais être astrophysicienne. Je ne vous dirai pas ce que je fais maintenant, mais c’est pas mal le fun et je travaille dans un domaine plutôt mixte. Je suis donc allée au bout de l’école. Je termine un stage postdoctoral, j’ai des charges de cours, je publie et j’ai commencé la ronde des entrevues dans l’espoir d’obtenir un poste. Et je suis féministe, mais ça, il ne faut pas toujours le dire tout haut, surtout pas AVANT d’avoir un poste.
Pour quiconque veut enseigner à l’université, un poste de professeur menant à la permanence constitue le Saint-Graal. Pour celles qui après de longues années d’études, un parcours sans faute marqué par des bourses et diverses reconnaissances, réussissent à être embauchées, il devient presque tabou de se plaindre de son sort. Le salaire et le capital symbolique encore associé à la profession placent incontestablement la professeure dans une position de privilégiée. Pourtant, le milieu universitaire ne fait pas exception : les inégalités s’y reproduisent, là comme partout ailleurs, pour des raisons à la fois organisationnelles et culturelles. Je le constate autour de moi, tout comme des femmes déjà en poste. Il y a même des chiffres et des études pour le prouver.
Salaire, statut et prestige
Prenons la question du salaire. C’est quantifiable ça, madame. Au Canada, en avril 2014, le salaire horaire moyen des femmes était de 22,85 $ de l’heure, contre 26,57 $ de l’heure pour les hommes, soit un écart de 14 %. Vous pouvez suivre l’évolution mensuelle des salaires canadiens ici. Au Québec, cet écart se rapproche plutôt de 12 %. Selon un rapport de l’Association canadienne des professeures et des professeurs d’université (ACPPU), entre 1986 et 2006, l’écart entre les salaires des professeures et professeurs, tous rangs combinés, est passé de presque 19 % à moins de 11 %. Au sein des rangs d’emplois les plus fréquents cependant, l’écart n’est que de quelques points. Ainsi, en 2006, une chargée de cours gagnait 96,5 % du salaire d’un chargé de cours, une professeure adjointe, 96,2 %, une professeure titulaire, 94,8 %. Au premier coup d’œil, le corps professoral universitaire pourrait donc apparaître comme l’un des secteurs où l’équité salariale serait pratiquement acquise. L’écart est certes petit, mais voilà, il s’accentue à mesure que les carrières progressent. Pourquoi? L’ACPPU s’est penchée sur deux facteurs qui pourraient expliquer ce phénomène : l’âge et la discipline enseignée. En effet, la représentation des femmes au sein du corps professoral ayant augmenté relativement récemment, ces dernières sont surreprésentées chez les jeunes professeurs, ce qui affecte leur ancienneté et leur salaire. Elles ne sont par ailleurs pas présentes dans les mêmes proportions dans chaque discipline, étant par exemple sous-représentées en sciences et en génie (p. 6). L’ACPPU a donc aussi voulu calculer l’écart salarial en tenant compte de ces facteurs. Résultat : l’âge n’affecte à peu près pas l’écart et la discipline ne l’explique que faiblement. L’Association fournit d’autres explications à ce « fossé persistant » et, surtout, croissant. D’abord, les structures salariales des universités désavantagent les femmes. Les nombreux échelons des grilles salariales tendent « à profiter aux personnes qui restent en poste le plus longtemps » (p. 8). Les femmes, qui interrompent plus souvent leur carrière pour des raisons familiales, accusent donc un retard dans la progression dans les échelons, retard qui se répercute davantage à mesure que la carrière progresse. Ensuite, dans l’obtention des suppléments et des primes, attribuées au mérite et au rendement, les femmes font peut-être l’objet de discrimination. De plus, les différences dans le salaire de départ « entraînent un écart important en fin de carrière » (p. 7). Non seulement l’écart salarial se creuse-t-il avec le temps, mais les femmes sont de moins en moins représentées à mesure que l’on grimpe dans les rangs. Elles représentaient 42,5 % des professeurs adjoints, 35,9 % des professeurs agrégés et 20,6 % des professeurs titulaires en 2006 (p. 2). Est-ce que l’arrivée plus récente des femmes dans la profession explique à elle seule ce phénomène? Y a-t-il d’autres obstacles à l’avancement de femmes à l’université?
J’en ai discuté avec mon amie Sophie. Sophie, c’est un pseudonyme, mais c’est une vraie de vraie personne. Elle enseigne du côté des sciences molles dans une université québécoise et travaille dans un département presque entièrement masculin. Elle croit que les femmes ne sont pas toujours considérées comme des égales, même dans les milieux intellectuels, et que ces attitudes affectent leur carrière. Au Québec, mais aussi en France, en Belgique, ailleurs, elle est témoin d’une situation récurrente : celle de la jeune prof submergée par des tâches dont personne ne veut.
« C’est difficile de faire la part des choses parce qu’il y a des gars qui vivent des choses comparables, mais je suis sûre que tu es mieux d’être un jeune prof qu’une jeune prof. » À un de ses collègues récemment embauché qui manifestait de l’intérêt pour le syndicat, on a vivement conseillé d’attendre, de se consacrer à ses recherches jusqu’à l’agrégation. « Moi quand je suis arrivée, on m’a envoyée au syndicat, au conseil universitaire, dans un comité éditorial et au comité de programme. […] Et quand tu regardes qui donne les cours obligatoires et qui donne les cours gradués; qui dirige les maîtrises et qui dirige les doctorats, là tu as un clivage, et c’est plus qu’une petite tendance. » Le temps qu’occupent les tâches connexes et un enseignement plus éloigné des projets de recherche et des intérêts personnels, qui n’apparaissent pas comme un travail de la plus haute importance (ça l’est pourtant), nuisent sans aucun doute à la progression professionnelle des professeures, qui passe nécessairement par le rayonnement et moins par l’enseignement et l’administration. Selon ce qu’elle voit dans son établissement, dans les unités où il y a plus de femmes, la répartition des tâches semble plus équitable.
La culture départementale, mais aussi la taille de l’institution et des unités pourraient jouer un rôle important dans la division des tâches universitaires. Sylvie (un autre pseudonyme, une autre vraie personne) est professeure de littérature et de création littéraire. Elle raconte s’être sentie submergée par la tâche à son embauche, mais avoir senti que le travail était bien partagé. « C’est peut-être parce que j’ai été engagée dans une université à taille très humaine. Les besoins au niveau des tâches administratives sont intenses, donc tous sont sollicités et il y a beaucoup de collégialité au niveau des répartitions de tâches pour les nouvelles professeures. C’est venu très vite pour moi, mais c’est venu très vite pour tous les collègues que je connais. »
Y’a pas de pouliches
Le temps à consacrer aux recherches et à la création est donc limité et les ressources servant à financer ces activités le sont tout autant. L’université est un milieu extrêmement compétitif où la persévérance et le travail bien fait suffisent rarement : il faut briller, être confiant, croire en sa valeur et le montrer. Le montrer souvent, partout, et ne pas avoir l’air d’en douter, surtout pas dans une demande de subvention. Sur ce plan, la socialisation avantage nettement les hommes et tout commence à se jouer dès le bac. Sophie identifie deux phénomènes distincts, mais liés : la perception des professeurs à l’égard de la performance des étudiants et la perception qu’ont les étudiants de leur propre compétence. « En général, on a des préjugés positifs envers ce que font les gars et pas envers ce que font les filles. On le voit à plusieurs niveaux, ne serait-ce que dans la manière dont les étudiants sont notés. Y’a plein de filles qui sont victimes de ça, qui finissent avec des A pis pas des A+. » Elle l’explique en partie par le fait que les étudiants sont presque toujours plus confiants et qu’ils sont conscients de bénéficier d’une certaine reconnaissance de la part des professeurs; selon elle, ils vont moins hésiter à faire des demandes qui mèneront à un meilleur dossier scolaire. En classe, nous avons toutes les deux constaté que les étudiantes parlaient beaucoup moins que les étudiants. « Les filles sont de manière générale moins sûres d’elles, plus timides. Je pense à une fille en particulier qui, de très loin, était la meilleure de sa cohorte. Elle m’a raconté qu’à sa première session, elle était convaincue qu’elle était pourrie. Elle regardait les autres faire semblant de comprendre et triper. Un moment donné, elle s’est rendu compte qu’elle n’était pas en échec, mais elle avait toujours des doutes. Elle n’était pas capable d’aller s’obstiner avec les autres parce qu’elle n’était jamais sûre d’avoir bien compris. Mais dans le fond, quand je corrigeais ses travaux, c’était elle la meilleure. »
Les intérêts de recherche créent aussi un clivage à l’intérieur même des disciplines. Dans les sciences humaines, par exemple, Sophie observe que davantage d’hommes s’intéressent aux problèmes théoriques, aux enjeux de pouvoir et aux questions d’économie, sujets considérés comme importants, tandis que les chercheuses vont plus souvent se pencher sur des questions touchant la famille, la culture, et adopter une méthodologie plus qualitative. Cette tendance, qu’elle ne considère évidemment comme ni naturelle ni absolue, peut jouer un rôle dans l’accès aux postes. « Il se passe quelque chose aussi, qui est autant dans la définition des postes que dans leur octroi et dans la sélection des candidats qui est complètement genrée, en tout cas dans nos disciplines. Je ne fais absolument pas une lecture essentialiste de ça, le fait est que tu peux prendre 20 projets de recherche écrits par des étudiants, pis 9 fois sur 10, je ne vais pas me tromper et pouvoir dire si c’est celui d’un gars ou d’une fille. Évidemment, les sujets de filles, ça apparaît toujours comme des choses mineures, sans envergure, pas importantes, secondaires, anecdotiques, ça apparaît jamais comme intéressant. » Du début des études à l’embauche, il y a donc, dans certains secteurs, un continuum de pratiques qui désavantagent les femmes. Ajoutons à cela le népotisme galopant qui, de manière peu surprenante, favorise le plus souvent de jeunes chercheurs pris sous l’aile de professeurs prestigieux, publiant dans les meilleures revues, se présentant dans les meilleurs colloques. On les voit souvent ces poulains, mais on dirait que les pouliches, y’en a pas.
« Une belle femme brillante »
On souhaiterait le milieu universitaire tout habité d’esprits supérieurs et rationnels, ne jugeant un collègue que sur la base de son intellect. Or, là comme ailleurs, le sexisme bête et ordinaire se porte assez bien, merci. J’ai personnellement passablement déchanté quand une amie m’a raconté avoir entendu mon directeur de thèse commenter la tenue trop voyante d’une conférencière, suggérant qu’elle voulait se faire remarquer. Oh malheur, elle portait du blanc. Rassurez-vous, c’était un tailleur-pantalon; on est à l’université tout de même, pas dans un night club. Ces commentaires, toutes mes collègues les ont entendus maintes et maintes fois. Rien pour espérer qu’on nous écoute plutôt qu’on nous regarde. En plus de l’angoisse de ne pas avoir l’air de ce qu’on attend de nous, ce grand pilier de l’aliénation féminine (lire Mona Chollet vous éclairera sur la question), il y a l’angoisse de ne pas être à la hauteur comme intellectuelle. Les études puis la carrière universitaire, un parcours marqué par la quête constante de reconnaissance et la distribution très parcimonieuse de celle-ci (dixit Sophie) sont un terreau fertile pour ce type de préoccupation. On nous signale très souvent que nous ne sommes pas des égales. Malgré un dossier scolaire éclatant, on a souvent remis en question ma capacité à réussir et ma motivation, tant en raison du cursus que j’ai choisi et de mes intérêts multiples (théorie et pratique, interdisciplinarité) qu’à cause de choix relevant de ma vie personnelle. Les remarques sont parfois très indirectes, mais n’en sont pas moins démotivantes. Sophie raconte la fois où un de ses collègues en fin de carrière s’extasiait sur une certaine chroniqueuse qui fait plutôt dans la démagogie. Mais voilà : c’est une « experte » dans un domaine à prédominance masculine. « Il a dit mot pour mot : “C’est donc une belle femme, et puis brillante à part ça.” Ça serait un homme, il ne dirait pas qu’il est brillant, il ferait le tour de l’argumentation pour en penser quelque chose, être d’accord, être pas d’accord. J’ai entendu quelque chose d’à peu près semblable d’une étudiante. “C’est donc une belle femme.” » Bref, pour être pris au sérieux, que vous soyez une personne ou encore un ouragan, mieux vaut être un homme.
Paradoxalement, selon Sophie, les femmes professeures peuvent être perçues par certains collègues comme une menace. « Dans mon expérience, passer d’étudiante à prof, ç’a été une révélation parce que le rapport que les autres ont à toi est complètement différent. Tant que tu es étudiant ou chargé de cours, ils sont dans un rapport un peu paternaliste, on peut te donner une tite tape sur l’épaule et te dire “c’est bien ce que tu as fait”, parce que tu n’es pas un vis-à-vis, et que tu n’as pas une prétention de vis-à-vis. La barrière à l’entrée, elle n’est pas fluide : tu es un prof ou tu ne l’es pas, il n’y a pas de degrés là-dedans. Tant que tu n’y es pas, tu n’es pas une menace. T’es pas dans leur monde, t’es à côté. C’est quand tu passes de leur côté que le rapport change complètement. Pour certains, c’est comme si tu devenais [comme femme] une menace ou une concurrente pour la reconnaissance. Tu as la prétention d’être un vis-à-vis, un égal, donc un interlocuteur, qui peut avoir la prétention de faire des travaux valables, des choses aussi importantes. Et ça, ça va pas. » Sophie y voit un lien clair avec l’assignation à l’enseignement des cours de premier cycle et aux tâches administratives. « T’es à la même place que les hommes, mais ils ne vont pas te laisser faire la même chose. Tu es à la même place, mais tu ne vas pas pouvoir jouer le même rôle. »
Encore la conciliation travail-famille
L’université est un lieu d’excellence. Pour arriver à décrocher un poste, puis pour obtenir son agrégation, il faut publier, faire de la recherche subventionnée, et s’impliquer dans la vie départementale ou facultaire. Un universitaire pourrait consacrer un temps infini à ses diverses tâches, il y en aurait encore toujours à faire. D’après Sylvie, pour les jeunes mères, la situation devient extrêmement exigeante. « À mon sens, la différence importante va se jouer au moment où les jeunes professeurs entrent en poste et ont des enfants – entre 35 et 40 ans –, de sorte que tout (cours, étudiants dirigés, publications, enfants) demande en même temps. C’est le moment où la pression des pairs est la pire et où les enfants sont aussi petits et nécessitent beaucoup de soins et d’attention de la part de la mère et où il devient difficile d’“arriver” en santé, mentale et physique. » Virginia Woolf nous l’avait bien dit : « Pour penser, écrire, lire, réfléchir, créer, il faut du temps – du vrai temps de soi à soi. Pour une jeune prof qui veut des enfants, c’est comme un double-bind, et pour une prof qui veut enseigner et avoir des enfants et créer, c’est un défi titanesque. […] J’ai souvent entendu de jeunes et brillantes consœurs au cours de mes études qui me disaient qu’elles auraient pu penser à devenir profs si elles pouvaient travailler à mi-temps; or, à ma connaissance, ce n’est pas possible. »
Si le travail potentiel est illimité, les ressources mentales et physiques, elles, ne le sont pas. Avant et après la journée de travail rémunéré, il y a le travail à la maison. Le Wall Street Journal publiait en janvier dernier un extrait du livre de la journaliste Jennifer Senior, All Joy and No Fun : The Paradox of Modern Parenthood. L’auteure y aborde notamment l’expérience du travail domestique des hommes et des femmes et les différences dans le rapport au temps que celui-ci génère. Aux États-Unis, selon le American Time Use Survey, les hommes et les femmes travaillent grosso modo le même nombre d’heures par semaine, les hommes travaillant cependant un nombre plus élevé d’heures de travail rémunéré et les femmes effectuant davantage de travail non rémunéré. Cela ne surprendra personne : les mères américaines consacrent beaucoup plus de temps que les pères aux soins apportés aux enfants. Et, cela ne surprendra aucune mère qui travaille, il s’agit de la tâche domestique créant le plus de stress. Pourquoi? Senior cite les sociologues Annette Lareau et Elliot Weininger qui parlent de « pressure points », ces gestes quotidiens qui ont une heure de tombée et qu’on ne peut remettre à plus tard.
Toutes les mères qui travaillent font face à ce stress. Le problème avec le travail universitaire, c’est la forte pression pour être disponible en dehors des heures de bureau, pour siéger à des comités, répondre aux étudiants, et effectuer tout le travail nécessaire à l’avancement des recherches qui ne peut être effectué pendant les heures d’enseignement et de réunion. D’ailleurs, selon Sophie, le corps professoral est un secteur d’emploi où se retrouve une concentration particulièrement élevée de pères avec une conjointe à la maison à temps plein. « Au début, c’est toujours la même histoire : y’a un poste de prof, la femme est étudiante, le couple mise tout sur le poste de prof, y’a des enfants, faut s’occuper des enfants, le début de carrière de prof, c’est dur, faut s’investir, se consacrer. Tu ne peux pas être à la maison trop souvent. Pis ça finit comme ça. Y’en a plus à l’université qu’ailleurs. J’imagine qu’il y en a plus en bas de l’échelle sociale et en haut de l’échelle sociale. J’ai pas vu de milieux dans la vie où il y a autant de femmes à la maison, de tous les âges, et même de 30-35 ans. » Margaret Betz le dit aussi ici, en citant Judith Sanders, docteure en littérature et collaboratrice au collectif Mama PhD : « The academic model remains one of « men-with-wives.« » Pourtant, selon Sophie, il serait tout à fait possible de changer nos attentes envers les modalités de présence au travail. « C’est sûr que le gars dont la femme ne travaille pas, sa vie est plus facile. Mais ils ne sont pas obligés de faire ça. Ils pourraient aménager leur vie autrement, mais ils ne le font pas. L’histoire qu’ils se racontent c’est « c’est temporaire, je viens d’avoir mon poste, ma blonde doit finir sa thèse ». Mais la blonde, elle la finit pas sa thèse, parce qu’elle est à la maison avec les enfants. Et la dynamique va être prise à la maison, et elle va rester. » Sylvie, elle, a entendu plusieurs collègues souhaiter un changement. « J’ai souvent entendu de belles choses, de collègues masculins et féminins qui disaient justement que c’était important de créer des conditions de travail pour que les femmes qui veulent être profs puissent aussi faire le choix d’avoir des enfants. »
Essayer de répondre à toutes ces exigences, familiales et professionnelles, conduit souvent à l’épuisement. The Guardian publiait récemment un article sur la prévalence alarmante de problèmes de santé mentale chez les professeurs. Certes, le phénomène répond à une augmentation dans la société, notamment à cause de l’augmentation des heures travaillées, mais à des taux plus alarmants que dans la population en général. Sylvie et Sophie ont d’ailleurs toutes deux fait un burn-out.
Conclusion
Tous ces problèmes, les étudiantes graduées les perçoivent assez rapidement et y font face. Les universités commencent sérieusement à réfléchir au problème. Le recrutement des femmes semble toujours poser problème, mais aussi leur rétention et leur progression professionnelle, comme le souligne cet article du Yale Daily News. On nous rebat les oreilles sur les statistiques concernant le supposé avantage des femmes dans le milieu de l’éducation; en 2009, 34,3 % des femmes de 25 à 35 ans avaient un diplôme universitaire, contre 26 % des hommes; en 2008, les femmes comptaient pour 60 % des diplômés universitaires. Ça nous avance bien quand « le revenu moyen sur 20 ans d’une femme détenant un baccalauréat (973 000 $) est légèrement inférieur à celui d’un homme détenant un diplôme secondaire (975 000 $) ». Les femmes ont de la difficulté à envisager la carrière universitaire comme souhaitable, à y rester et à y progresser. Il est également difficile pour plusieurs de témoigner de la dureté de ce milieu pour les femmes. Sophie et Sylvie tiennent à rester anonymes, moi aussi, et pratiquement personne n’a répondu à mon appel à témoignages. La question revient souvent dans mes conversations avec des collègues. Certaines ont des choses à dire, des changements à suggérer, mais peu en parlent ouvertement. D’autres réduisent ces obstacles à des situations singulières, niant la trame structurelle sous-jacente à plusieurs des problèmes auxquelles elles font face, remettant souvent en question leur propre compétence, leur motivation, l’intérêt de leurs recherches et de leur parcours. Sylvie insiste sur l’énorme richesse et sur le potentiel de l’université : pour sa part, elle sent avoir été très soutenue en tant que jeune « prof-femme-mère » et elle y voit un signe prometteur. Quant à moi, c’est toujours la carrière que j’envisage. Finalement, c’est un peu comme être curé : je ne compte ni mes heures ni ma charge, j’absous les fautes et je pardonne beaucoup à mon prochain.