Les faits(ministes) saillants du sport de 2015

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JULIE VEILLET

 

 

Sur les chaînes télés de sport, j’adore écouter les récapitulatifs des meilleurs (ou des pires) moments de la semaine. Les exploits des athlètes, le niveau d’excellence qu’ils arrivent à atteindre, ça me fascine! Mais le milieu sportif, c’est aussi des abus, des tabous, de la discrimination et du conservatisme. On n’a qu’à penser à l’homosexualité chez les athlètes qui demeure un sujet tabou, avec seulement une poignée d’homosexuels déclarés dans les quatre grandes ligues sportives américaines (NHL, NFL, NBA et MLB). Pour mettre en lumière les bons coups, mais aussi toutes les aberrations encore présentes dans le joyeux monde du sport, voici mon top 10 féministe des faits saillants du sport de 2015.

 

  1. Jen Welter devient la première femme entraîneuse dans la NFL

Les Cardinals d’Arizona embauchent Jen Welter, une ancienne joueuse de rugby et de football, comme entraîneuse adjointe, une première dans la Ligue nationale de football (NFL). L’entraîneur-chef de l’équipe, Bruce Arians, mentionne, lors de l’annonce de l’embauche de Welter : « Coaching is nothing more than teaching. One thing I have learned from players is, « How are you going to make me better? If you can make me better, I don’t care if you’re the Green Hornet, man, I’ll listen. » I really believe she’ll have a great opportunity with this internship through training camp to open some doors for her.« 

  1. Holly Holm marque l’univers des sports de combat

La boxeuse et combattante en arts martiaux mixtes Holly Holm fait sa marque en battant l’indétrônable Ronda Rousey, lui infligeant ainsi la première défaite de sa carrière professionnelle et lui enlevant du même coup son titre de la UFC. Ce tour de force permet à Holm de devenir la première athlète, homme ou femme, à remporter des titres à la fois à la boxe et aux arts martiaux mixtes.

  1. Caitlyn Jenner annonce son changement de genre

L’annonce du changement de genre de Caitlyn Jenner, ancienne vedette olympique de décathlon ayant battu de nombreux records du monde, crée une véritable commotion dans le monde du sport en 2015. Après un long processus personnel d’acceptation, une transformation graduelle de son apparence et moult spéculations dans les médias et la population, Jenner, née Bruce, explique, lors d’une entrevue sur ABC News, qu’elle est une femme : « People look at me differently. They see you as this macho male, but my heart and my soul and everything that I do in life – it is part of me. That female side is part of me. That’s who I am. »

  1. La Coupe du monde féminine de la FIFA attire les foules

À l’été 2015, la Coupe du monde féminine de la FIFA se déroule dans diverses villes du Canada. Le 5 juillet à Vancouver a lieu la finale disputée entre le Japon et les États-Unis. Remporté 5 à 2 par les États-Unis, ce match est vu par 25,4 millions d’auditeurs, ce qui en fait la partie de soccer la plus regardée de l’histoire de la télévision américaine.

  1. Le marathon de la musicienne Kiran Gandhi fait jaser

La musicienne Kiran Gandhi, notamment connue pour être la batteuse de la chanteuse M.I.A, court le marathon de Londres durant ses menstruations sans porter de tampon. Les photos d’elle qui circulent dans les médias, où on la voit, souriante, avec une tache de sang sur le devant de ses pantalons, font jaser et lui valent plusieurs critiques. Gandhi explique, dans une lettre publiée sur le Web, que son choix de ne pas porter de tampon est à la fois motivé par l’envie de se sentir confortable durant la course et par la volonté de montrer à quel point les menstruations demeurent un sujet tabou et un enjeu considérable pour un grand nombre de femmes : « Consider how women in developing nations are affected by period secrecy and taboo. Our culture tells them to hide their monthly flow, despite the fact that the ways to clean it up are either unsustainable or unaffordable. Even women who are able to use pieces of cloth to absorb blood don’t always have private places at school or at work to change them out. As a result, they choose skipping school or work as a better, less shameful alternative. […] Periods are here to stay, and our generation has the power to put this conversation on the map today in order to blow through stigma. So let’s open up a world of new possibilities for women everywhere. »

  1. Québec accueille la Conversation 2015 Femmes et sport

Trois passionnées et expertes de sport, Penny Werthner, Marion Lay et Guylaine Demers, organisent la Conversation 2015 Femmes et sport à Québec. Ce colloque de quatre jours, réalisé en collaboration avec l’Association canadienne pour l’avancement des femmes, du sport et de l’activité physique (ACAFS) et Égale Action (l’Association québécoise pour l’avancement des femmes, du sport et de l’activité physique), réunit des athlètes, entraîneuses et entraîneurs, journalistes, chercheuses et chercheur, éducatrices et éducateurs physiques, et autres personnes intéressées par la question autour de conférences, tables rondes et ateliers. On y aborde des enjeux tels la place des filles et femmes dans le sport, la représentation des sports féminins dans les médias, la discrimination sexuelle et l’homophobie.

  1. La danseuse noire Misty Copeland obtient un premier rôle

Misty Copeland, une talentueuse ballerine de 32 ans, est nommée danseuse principale dans la version 2015 du Lac des cygnes de la compagnie American Ballet Theatre. Bien que la compagnie existe depuis 75 ans, Copeland est officiellement la première danseuse noire à se faire confier un premier rôle par l’ABT. Elizabeth Blair mentionne, dans un texte de NPR news : « It’s hard for any ballet dancer to succeed, regardless of race, but a black dancer is up against a centuries-old aesthetic — the idea, for example, that the swan must be feather-weight and snow white, and so does her prince. »

  1. Nancy Lieberman est embauchée comme entraîneuse adjointe dans la NBA

L’Américaine Nancy Lieberman, une ancienne joueuse de basketball très célèbre, est embauchée par les Kings de Sacramento comme entraîneuse adjointe. Lieberman, qui a été joueuse professionnelle pendant plus de 20 ans, entraîneuse durant plusieurs années dans la Woman National Basketball Association (WNBA), puis dans la NBA Development League, devient ainsi la deuxième femme de l’histoire à œuvrer comme entraîneuse dans la NBA, après Becky Hammon, recrutée par les Spurs de San Antonio en 2014. Le journaliste Daniel Roberts souligne : « With a résumé like that, perhaps it’s surprising that it took this long for an NBA team to hire her. » Perhaps, en effet.

  1. Une équipe féminine de bobsleigh à quatre participe au Championnat du monde

Un petit saut au début de l’année 2016, alors qu’on voit pour la première fois de l’histoire une équipe entièrement féminine de bobsleigh à quatre participer au Championnat du monde de la discipline, avec en tête la championne olympique canadienne Kaillie Humphries. L’athlète avait déjà fait une percée importante en 2015 en étant l’une des deux premières femmes, avec l’Américaine Elana Meyers Taylor, à diriger une équipe masculine de bobsleigh à quatre en Championnat du monde. Rappelons qu’il n’existe actuellement pas de division féminine de bobsleigh à quatre, les femmes n’ayant accès qu’au bobsleigh à deux. Humphries et Meyers Taylor militent pour le développement du bobsleigh féminin à quatre, dont l’absence s’expliquerait semble-t-il par le fait que peu de femmes ont manifesté leur intérêt dans le passé pour cette discipline et que certains pays n’ont pas suffisamment d’athlètes féminines en bobsleigh pour constituer des équipes de quatre.

L’équipe féminine d’Humphries savait bien, en participant à l’épreuve de bobsleigh à quatre du Championnat du monde, qu’elle avait peu de chances de gagner, le poids global inférieur de l’équipage féminin jouant en sa défaveur contre les équipages masculins, plus lourds, donc nécessairement plus rapides. «To be the first one is cool, but at the end of the day, I’m not doing it to be the first one», mentionne Humphries. « I’m doing it because it challenges myself to be a better pilot, to have something else to look forward to, something fun. […] It’s something we’ve needed to do and somebody had to take the step forward. Hopefully it starts showing that all-women crews can do this, all-women teams can do this ».

 

  1. Des plaintes pour harcèlement sont déposées contre Marcel Aubut

L’événement dont on a le plus parlé dans le milieu sportif québécois et canadien en 2015 est malheureusement le scandale entourant les allégations de harcèlement sexuel visant Marcel Aubut, président du Comité olympique canadien (COC) jusqu’alors, avocat et homme d’affaires, et ancien propriétaire et président-directeur général des Nordiques de Québec. Une première plainte déposée par une employée de la Fondation olympique canadienne est mise au jour dans les médias le 30 septembre, déclenchant un flot d’autres plaintes formulées dans les jours qui suivent, venant d’employées du COC, d’anciennes collègues de son cabinet d’avocats, de diverses collaboratrices du milieu sportif et d’athlètes l’ayant côtoyé. Les diverses plaignantes évoquent des propos offensants et vulgaires à leur endroit, des gestes d’attouchement, des blagues déplacées et des tentatives de les embrasser contre leur gré. L’une des plaignantes, l’avocate Amélia Salehabadi-Fouques, affirme qu’Aubut lui aurait un jour lancé, alors qu’elle était accompagnée de son fils de 15 ans : « Quand est-ce qu’on couche ensemble? » Une autre femme, ancienne adjointe d’Aubut dans son cabinet d’avocats, affirme qu’elle aurait déjà trouvé son patron en boxeur dans son bureau après qu’il l’eut convoquée.

L’ancienne plongeuse québécoise Sylvie Bernier confiera, au début 2016, avoir elle aussi été victime du comportement de Marcel Aubut, évoquant notamment des commentaires sur son apparence. Profondément bouleversée de n’avoir à ce moment rien fait pour le dénoncer, Bernier souligne du même coup que la structure du COC n’encourageait pas les victimes à le faire : « Quand on est une femme face à une personne en situation de pouvoir… il n’y a pas grand monde qui pouvait dire non à Marcel. J’ai parlé à des filles qui travaillent au COC et qui m’ont dit qu’elles ne pouvaient pas porter plainte parce qu’il n’y avait pas de structure. Si on déposait une plainte, elle arrivait sur le bureau de Marcel et ça s’arrêtait là. La seule façon pour une employée de s’en sortir était de démissionner. »

On apprend d’ailleurs le 2 octobre que le COC était au fait depuis 2011 des comportements déplacés de Marcel Aubut et qu’il lui aurait déjà fait parvenir une lettre d’avertissement, l’intimant notamment de « cesser de toucher les gens », de « cesser les baisers (hormis les bises en l’air en guise de salutation) » et de « cesser toute allusion sexuelle de tout ordre ». Quelques rappels fort à propos, il va sans dire, mais aucune sanction et surtout une volonté de la part du COC de ne pas ébruiter l’affaire. Marcel Aubut déclare par communiqué le 3 octobre qu’il donne sa démission au COC, puis annonce dans une déclaration publique le 9 octobre qu’il quitte également son cabinet d’avocats, la firme BCF. Un rapport déposé par le COC en janvier 2016 indique que plus de la moitié des employés de l’organisme a affirmé avoir été témoins ou victimes de harcèlement sexuel de la part de Marcel Aubut.

Et en boni, un aperçu de ce qui nous attend en 2016 :

  1. Le port du casque pour les boxeuses aux Jeux de Rio crée une polémique

Lors des prochains Jeux olympiques d’été, qui se dérouleront du 5 au 21 août 2016 à Rio de Janeiro, les boxeuses seront tenues de porter un casque lors de leurs combats, tandis que les boxeurs, eux, n’auront plus à le faire. Alors que certains dénoncent les dangers accrus pour la santé auxquels seront dorénavant exposés les athlètes masculins, d’autres soulignent le fait que les femmes risquent d’être désavantagées par ce règlement inégal. Dans un article du Huffington Post, Vanessa Courville explique que le fait de ne pas porter de casque rendra les combats des boxeurs plus spectaculaires, et donc plus attrayants pour les médias, avec pour résultat de freiner l’accession des boxeuses au niveau professionnel. L’auteure met également en lumière une foule d’inégalités qui règnent au sein de l’Association internationale de boxe amateur (AIBA) : différences dans le nombre et la durée des rounds des matchs masculins et féminins, nombre inférieur de catégories chez les femmes, volonté de l’AIBA d’imposer le port de la jupe aux boxeuses, etc. « Nous le savons : ce qui dérange est la brutalité désormais associée à des femmes censées reproduire des schèmes de douceur. Ce qui dérange est la déformation du corps féminin supposé plaire au regard masculin. Ce qui dérange est la force physique qui se trouve aussi dans l’autre camp et qui menace les acquis des dominants, en rappelant que les boxeuses font preuve d’autant d’acharnement, de cœur et de talent que les boxeurs. »