Le temps du féminisme
CAROLINE BÉLISLE
Illustration: Anne-Christine Guy
Longtemps j’ai cru que « féministe » n’était pas une caractéristique que j’avais, ou que j’avais besoin d’avoir. En bonne génération Y, j’ai grandi avec l’idée acquise que les garçons et les filles étaient égaux et que tous et toutes pouvaient faire ce qu’elles et ils voulaient. J’ai aussi eu des modèles de femmes fortes dans les deux générations qui me précèdent.
En 1970, ma grand-mère paternelle travaillait comme dessinatrice de plans dans une mine de fer. Dans un monde d’hommes, dur, prêt à tout pour la faire tomber. Ils se sont heurtés à une femme intelligente, compétente et qui n’avait pas l’intention de s’excuser d’être au poste qu’elle occupait.
Ma mère a quitté la ferme familiale pour aller étudier l’aéronautique à Montréal. Encore un monde d’hommes. Encore la seule ou une des premières femmes. Et encore une fois, ils se sont retrouvés face à une femme brillante, qui excellait dans son boulot et à la langue bien pendue, déterminée à gagner le respect et la reconnaissance de ses collègues.
Leurs histoires, on me les a racontées souvent depuis que je suis petite. Alors j’ai toujours cru que je n’avais pas à mener de combat féministe. Le cliché de la femme enragée qui brûle son soutien-gorge dans la rue, ma grand-mère et ma mère l’avaient incarné pour moi, à leur manière, il ne me restait qu’à vivre en tant que femme égale à l’homme dans cette société qu’elles avaient façonnée pour moi. Bien sûr, j’ai vécu les commentaires sexistes, les regards pas toujours dans les yeux (mais bien 30 cm plus bas), les blagues douteuses, mais je mettais de côté ces évènements du revers de la main et continuais à avancer.
Puis, 2016 s’est pointé le nez. Déjà maman d’un petit garçon de 3 ans, j’ai donné naissance à ma fille. Tout en pensant à son éducation future et au modèle de femme que je veux être pour elle, les nouvelles dans les médias se sont chargées de donner un solide coup de pied au derrière de ma fibre féministe.
Brock Turner, la culture du viol dans les universités, Donald Trump et Hillary Clinton, Safia Nolin, les journalistes sur le tapis rouge des Oscars qui s’efforçaient de questionner sérieusement les actrices au lieu de parler de leurs tenues. Je regardais tout ça en me disant « c’est injuste ».
Je crois que l’idée de l’égalité des sexes est bien installée dans notre société, mais est-elle franchement appliquée ? On répète aux petites filles qu’elles peuvent faire ce qu’elles veulent, le rose n’est plus un automatisme dans leurs vêtements, elles jouent au hockey et au soccer. Mais il est encore tellement difficile de briser les plafonds de verre, de se faire une place comme femme dans un monde d’hommes sans qu’on reconnaisse notre véritable talent (j’entends trop souvent « elle couche avec un tel pour avoir cette position »). On apprend donc aux jeunes filles qu’elles sont les égales des garçons et on trouve tellement adorable qu’elles fassent comme eux. On leur laisse les petites victoires, les grosses, comme diriger une entreprise par exemple, sont encore réservées aux hommes, blancs de surcroît.
Je n’irai pas brûler mon soutien-gorge dans une manif féministe, mais j’apprendrai à mon fils à traiter les femmes avec respect. J’élèverai la voix pour défendre une consœur quand un commentaire déplacé se fera entendre. Je soulignerai le sexisme d’un propos, même ceux de chéri lorsqu’il regarde la télé. Surtout devant fiston. J’arrêterai de rire jaune quand on me racontera une « joke de mononcle » et je répondrai « ce n’est pas drôle ».
Ces commentaires, ces blagues sont tellement ancrés dans notre quotidien qu’on n’y voit même plus le sexisme. Perso, dans le domaine où je travaille, 10 %-15 % des employé(e)s sont des femmes. Si vous saviez combien de fois, au début de ma carrière, je me suis fait siffler par des collègues de travail, combien de fois on m’a raconté des « jokes de blondes ». J’ai commencé par rire jaune, puis j’ai répliqué « ce n’est pas drôle » sans sourire. Le comique qui pensait faire rire la galerie a eu l’air un peu con quand les autres ont réalisé que je ne trouvais pas ça drôle et que personne n’a ri. Souvent, ces mots sont dits par des gens qui se disent pour l’égalité des sexes. Ils y repenseront ensuite à deux fois avant de répéter leur propos. Pour quelque chose qui est si profondément ancré dans notre mentalité, c’est seulement petit à petit qu’on pourra changer.
Avec un peu d’espoir, fiston jugera une consœur de travail pour son talent et non pour la profondeur de son décolleté, il ne racontera pas de blagues de « blondes » plus tard et il respectera une fille qui lui dit « non ».
Et fillette sera jugée pour ce qu’elle a dans la tête et non pour son t-shirt.