La ruée vers le financement
MICKAËL BERGERON
Avoir une super idée, mais ne pas avoir les fonds pour la sortir de notre tête et ne pas pouvoir compter sur les banques ou sur un héritage d’un vieil oncle inconnu. À une certaine époque, dans cette situation, les choix se limitaient à rêver de gagner à la loto ou cogner à la porte du Don Corleone de notre bout de pays. Aujourd’hui, il y a une solution de rechange de plus en plus populaire: le sociofinancement.
Aussi appelé «financement participatif» ou «crowdfunding», le sociofinancement utilise un principe qui se décline en plusieurs formules. Une personne ou un collectif propose un projet, du petit café de quartier au prochain album en passant par un documentaire ou une invention révolutionnaire. De l’autre côté, des gens acceptent d’aider ou de donner un coup de main à ce projet, que ce soit par un don, par l’achat d’un forfait ou par un investissement. Celui-ci peut être de 5$, de 100$ ou plus, selon les moyens et l’intérêt du contributeur.
Le concept est né bien avant l’invention du Web, mais a pris de l’ampleur (c’est un euphémisme) avec Internet. Bien que le Québec ait été plus tardif à embarquer dans ce mouvement, quelques sites Internet québécois facilitant ce type d’entraide ont vu le jour, comme Haricot ou La Ruche, qui, pour ce dernier, ne propose que des initiatives de la Vieille Capitale.
Quand on sait qu’un Américain a réussi à amasser plus de 60 000$ pour la préparation d’une salade de patates (qui était au départ une blague, une parodie de certains projets que l’on trouve sur Kickstarter, populaire site de sociofinancement), on pourrait croire que c’est un nouveau Klondike pour les projets alternatifs, un Eldorado pour les jeunes entrepreneurs, un Plan Nord pour les artistes méprisés par les géants du showbizz. Françoise Stéréo est allée à la rencontre de trois femmes qui ont proposé leur projet aux mécènes du dimanche.
Pizza sociale
Pour Pénélope Lachapelle et Lucie Nadeau de Nina pizza napolitaine, dans le quartier Saint-Roch, le sociofinancement aura permis de faire prendre la pâte (oui, on se permet cette image culinaire). «Finalement, le four a été compliqué. Il a fallu construire une structure pour le supporter et une cheminée. La campagne de sociofinancement nous a permis de payer cette surprise-là.»
Leur campagne a été le succès le plus vif de l’histoire de La Ruche jusqu’à maintenant, les nouvelles reines de la pizza ayant atteint leur objectif en 24h! «Les premières heures, c’est comme si on gagnait à la loto», se rappelle Pénélope, avec un gros sourire dans la voix.
Vite comme ça, le sociofinancement semble avoir sauvé le premier établissement de pizza napolitaine de Québec, mais ce serait ne pas souligner le gros travail qui a été fait avant, pendant plus de quatre ans.
«J’ai eu l’idée en 2010, explique la dynamique propriétaire. J’ai mangé une pizza napolitaine à New York et j’ai eu une épiphanie! Je voulais faire ça! J’ai commencé à travailler sur un plan d’affaires. Lucie s’est jointe à moi dans l’aventure. On a travaillé avec le Centre local de développement [CLD] de Québec [qui n’existe plus] qui nous a donné une subvention pour jeunes entrepreneurs, puis on a reçu de l’aide du SAGE, des fonds de la FCJE [Fondation canadienne des jeunes entrepreneurs, maintenant Futurpreneur Canada] et de Femmessor.» Ajoutons à ça que les filles avaient leur mise de fonds pour lancer l’entreprise, soit environ 30% du montant nécessaire.
Les 7800$ récoltés pendant leur campagne sur La Ruche n’est donc qu’une pointe de l’iceberg financier. Mais le sociofinancement, ce n’est pas que des sous. «Les gens qui ont contribué à notre campagne sont fiers de Nina», note Pénélope. Comme elles veulent être le plus près possible de leur communauté, la campagne aura donné un élan à cet ancrage sur la rue Saint-Anselme.
Fourchette communautaire
C’est La folle fourchette du quartier Limoilou qui aura donné l’idée à Nina pizza napolitaine de tâter le terrain du sociofinancement. Il faut dire que le projet de Sophie Grenier-Héroux et de Cyane Tremblay avait lui aussi bien fonctionné. En quatre jours, l’objectif était atteint. «On recevait même des dons par la bande, avec des chèques, par des gens ne pouvant pas donner par PayPal», ajoute Sophie.
Pour Sophie et Cyane, le sociofinancement aura consolidé leur financement. «On avait environ 25% des fonds, la campagne est venue compléter nos économies», résume la copropriétaire. La voie des prêts s’ouvrait alors aux jeunes femmes d’affaires, qui ont aussi pu compter sur une aide de la FCJE (qui, on vous le rappelle, est devenue Futurpreneur Canada).
Tout le projet ne reposait donc pas sur la générosité de la communauté. «C’était une belle manière de tester le produit», souligne tout de même Sophie. Comme pour Nina, cette campagne a elle aussi créé une fierté et une curiosité. Les contributeurs et contributrices avaient hâte de mettre les pieds dans cette boutique spécialisée en outils de cuisine de qualité, mais abordables pour laquelle il y avait un peu d’eux. Bientôt, la clientèle pourra aussi visiter l’atelier qui accueillera des cours de cuisine.
Buanderie participative
Jusqu’à maintenant, le sociofinancement n’était pas au cœur du montage financier. Le projet La Buanderie amène un nouvel angle à cet article. Geneviève Vachon, Sarah Bélanger-Martel et Anne-Christine Guy avaient une idée, mais pas d’argent. En fait, elles devaient aussi recevoir une aide financière du CLD de Québec, mais comme le gouvernement l’a aboli, les fonds sont dans des limbes bureaucratiques. Si bien que le projet est en pause, malgré lui.
Café-lavoir-lieu culturel, La Buanderie est un projet particulier. Ce sera un lavoir, comme on en connaît déjà. Ce sera aussi un café de quartier, comme on en connaît également. Mais ce sera aussi un lieu de diffusion culturelle, particulièrement en arts visuels. Quoi de mieux que de regarder des œuvres d’art pendant que ton linge se fait brasser? Lire une revue à potins? Non, sérieusement.
Anne-Christine admet que La Buanderie est un projet à risque. En plus, les filles sont pointilleuses et ne veulent pas faire affaire avec n’importe qu’elle institution. «Le sociofinancement donne de la force au projet. On n’aurait pas pu y aller sans le sociofiancenement. Ceci dit, même devant les voies alternatives de financement, il faut quand même avoir un dossier solide!»
Ce projet qui se définit comme féministe a dépassé lui aussi son objectif, mais pas au rythme effréné de Nina pizza napolitaine ou de La folle fourchette. «On a atteint environ 80% de notre objectif en quelques jours, après, ç’a été petit à petit», relate Anne-Christine.
Mais encore?
Le sociofinancement, malgré sa facilité et sa démocratisation du financement, ne permet quand même pas de récolter des milliers de dollars comme par magie. «On ne peut pas savoir avant de se lancer en sociofinancement, averti Sophie Grenier-Héroux de La folle fourchette. C’est un coup de dés. C’est dur à prévoir. Le réseau que l’on a est très lié au succès, davantage que le produit en soi. Les meilleures idées sans réseau ne passent pas.»
Une observation reprise par Pénélope Lachapelle de Nina pizza napolitaine. «Le sociofinancement, je le conseille aux gens qui ont déjà un réseau. Ce n’est pas magique, c’est entre les mains de ceux et celles qui le lancent. Il faut bien se présenter.» Selon Anne-Christine Guy de La Buanderie, «il faut mousser le projet, on ne peut pas le lancer et le laisser aller sur Internet».
Des avertissements, mais surtout des conseils avant de s’y frotter. Lorsque les prospecteurs se lançaient vers le Yukon en rêvant de devenir riches, plusieurs ne se doutaient pas du défi et du travail qui les attendaient. Le sociofinancement, c’est un peu la même chose, mais moins sale, moins dangereux, moins individualiste… Bon, c’est pas mal différent, mais ça ne se fait pas tout seul, quoi!
Si ce n’est pas magique, ça demeure, selon les trois femmes, un important outil. «J’espère que le sociofinancement va grandir et que le public va s’ouvrir à ces projets-là», termine Pénélope.