La Muraine, street-artiste

MuraineALICE BEAUBIEN

C’est sous l’îlot Fleurie ou, comme l’appellent les gens du milieu, « la graff zone » que je retrouve Mireille Bouchard, alias La Muraine, une des rares street-artistes féminines de la ville de Québec. Elle a appris à « graffer à la dure », avec les garçons, dès son adolescence. Son parcours permet de découvrir la place des filles dans ce milieu, disons-le, très masculin.

 

 

 

 

L’apprentissage, l’intégration et le respect des pairs

Mireille me dit qu’elle a toujours dessiné. Son père l’a d’ailleurs guidée pour l’aider à parfaire sa technique en lui faisant faire, par exemple, des cercles parfaits à main levée. Ce mentorat et ce perfectionnement, elle les prolongera en côtoyant les writers, ces garçons qui peignent des lettrines, et avec qui elle a commencé à faire ses classes de street-artiste vers l’âge de 17 ans. « C’est des gens qui te montrent un peu la hiérarchie de ce milieu-là, il y a des trucs de base comme un tag au crayon, ça ne va pas par-dessus un tag à la peinture, il y a des lois non écrites, il y a des étapes où tu apprivoises le médium et ce que c’est de faire ça dans les rues. »

 

Au début, elle faisait le guet pendant que les autres taguaient. Rapidement, elle en a eu marre de ce rôle passif et elle s’est prise en main. « Je me suis dit que plutôt d’attendre qu’ils me donnent un nom, je vais commencer à le faire toute seule. » Elle a alors peint son premier portrait à partir d’une photo qui était, selon ses dires et avec son regard d’artiste expérimentée, « pas si mal ». Depuis, elle s’inspire de ce qu’elle voit un peu partout. Elle fouille le magazine urbain Juxtapoz, les comics américains, les mangas japonais et les comptes Myspace d’autres artistes pour parfaire son style. Ainsi, elle prend beaucoup de temps pour l’idéation de ses prochains projets et pour améliorer la qualité de son travail. Puis, elle prend le temps de savoir ce que ses pairs disent de son travail. Dans ce milieu de « voyous au grand cœur », il faut savoir accepter la critique, parfois dure, pour progresser. La pratique du graff est très technique : il faut avoir une bonne rapidité d’exécution (dépendamment du contexte de peinture : vandale ou non), une bonne distance, une bonne pression sur la bombe, une bonne qualité de trait, etc. Le graff se réalise souvent à partir d’un sketch (un brouillon) et s’exécute à l’inverse d’un dessin papier, c’est-à-dire qu’il faut d’abord travailler les masses pour finir par les traits. L’expérience et le talent sont souvent la recette du succès.

 

Rapidement, taguer sur les murs ne suffit plus à Mireille. Avec de la volonté et du culot, elle propose son dossier à la galerie Morgan Bridge, alias La Morgan, qui vend des bombes aérosol et participe à l’organisation de nombreux évènements underground. Elle se fait d’abord recaler, car selon les responsables de La Morgan, elle n’a pas de ligne directrice dans son travail. En persévérant, elle se construit un style artistique très en mouvement avec des thématiques occultes et souvent composé de sujets animaliers. Son travail n’est pas sans rappeler l’esprit du folklore québécois. Depuis, la Morgan Bridge l’a mise en lumière dans sa galerie. Elle admet toutefois que « c’est dur le marché de l’art à Québec. C’est beaucoup de trucs à touristes, des paysages, etc. Le street dans la ville de Québec, ça fait longtemps que ça existe, mais c’est toujours resté tout petit. C’est un milieu de vandales, donc ce ne sont pas des gens qui ont voulu gagner leur vie avec ça. Quand on a vu que ça se faisait ailleurs, on s’est dit, il faut qu’on s’organise pour montrer notre identité. » Mireille présente aussi une exposition solo au Cercle en 2010 et en avril 2014, elle participe à l’exposition Canadian Bacon avec une quinzaine de street-artistes de la ville. Elle participe également à des événements comme Attention : peinture fraîche!, en 2013. Cet événement veut sensibiliser la population à l’art du graff en proposant à des street-artistes de peindre en plein cœur de Saint-Roch. Mireille prend aussi part à des festivals comme AMALGAM, un festival d’art urbain, ou encore Board Dripper qui organise des échanges de street-artistes entre le Mexique et le Québec. Les échanges et les invitations d’artistes à l’international sont quelque chose de très courant. Les street-artistes aiment ouvrir leurs esprits et les voyages offrent de belles inspirations.

 

Par la suite, le collectif EN MASSE de Montréal la recrute. Le travail de cet organisme se distingue par ses projets exclusivement en noir et blanc et qui contiennent beaucoup de personnages. On peut apprécier leur travail dans la salle annexe du Musée des beaux-arts de Montréal. Mireille commence alors des contrats pour des entreprises, comme le magasin Simons de Sainte-Foy, qui l’engage pour réaliser un gros graffiti dans le rayon pour les jeunes garçons. Avec son ami Philippe Doré, du collectif Trompe la mort, elle réalise des murales pour divers évènements ou entreprises, ou encore des illustrations pour la marque de t-shirt graphique Avive. Ce genre d’opportunités lui permettent d’apprendre « à avoir du discernement pour ce qui est de rejoindre le public. Parce qu’on ne veut pas toujours choquer. C’est bien d’avoir quelque chose de l’fun qui se dégage d’une pièce ». Cette expérience d’écoute des besoins du client l’a d’ailleurs aidée à devenir tatoueuse chez Atomik Tattoo (un salon avec une majorité d’artistes féminines, ce qui est rare), même si elle admet préférer « peindre pour elle » puisque ça lui permet une plus grande liberté de création.

 

Les artistes féminines « qui peignent aussi bien qu’un gars »

Mireille tient cependant à me préciser que les bonnes graffiteuses sont celles qui « peignent aussi bien qu’un gars ». Puisque la plupart ont commencé en apprenant le graff avec eux, elles savent que pour être acceptées, elles doivent se plier à leurs standards. Mais on aura compris que les graffiteuses sont des filles de caractère qui ne se laissent pas impressionner par ces messieurs. Elles tiennent à leur identité et à leur spécificité. C’est pourquoi elles se démarquent en adoptant souvent un style qui tient plus du street, c’est-à-dire avec des sujets figuratifs, comme les portraits, les animaux, etc. Mireille argumente en lâchant que « ce n’est pas ton sexe qui t’empêchera de peindre comme tu veux ». Elle reconnaît que « les filles ne sont pas nécessairement attirées par le graff » et elle ne les blâme pas puisque c’est un peu casse-cou et « que c’est très confrontant de se faire dire qu’on aurait pu faire mieux. Ça dépend de ta personnalité ». Finalement, elle avoue se sentir « privilégiée » d’être intégrée et respectée dans cette grande famille. Elle invite les jeunes filles qui veulent faire du street-art à regarder ce que les autres réalisent, à s’en inspirer, à les critiquer et, surtout, à ne pas se laisser impressionner!

 

 


 

Pour découvrir d’autre artistes

Le blog de la galerie Morgan Bridge

« New Joe Cool et Pishier – Le paradoxe du grapheur » – Josianne Desloges, Le Soleil, août 2012

D’autres artistes féminines à Québec et Montréal: Zema, Bianca Dallaire, Lily Luciole, Zola

Et ailleurs dans le monde: Maya Hayuk, MAD-C, Miss.Tic

Le OFF-MuralES à Montréal, présenté par les Hyènes en jupon