La main invisible … de la communauté
SOLÈNE TANGUAY
La mère que vous aidez avec sa poussette dans les escaliers, la vieille dame à qui personne ne laisse la place dans l’autobus, la manifestante qui vous crie son slogan à la gueule, deux êtres qui livrent le tango le plus sensuel auquel vous aurez assisté, sans même parler la même langue. Une communauté se définit par ce qui la rend unie, ce qui la distingue, ses besoins particuliers, les codes qui sont les siens, le plaisir de donner. Vous vous sentez appartenir à la même communauté, un lien se tisse. Comme une couverture qui vous enveloppe au bord du feu.
La communauté devient une protection contre la solitude lorsqu’une oppression est vécue, qu’un défi appelle à trop de performance, que s’installe l’épuisement d’allaiter seule un enfant au milieu de la nuit alors que la ville est assoupie. L’apaisement que ressent cette nouvelle mère après l’appel d’une amie, au petit matin, exprime la puissance d’une communauté qui sait effacer ce sentiment d’isolement qui nous parcourt. Cette amie est la chaleur qui fait tomber le frisson.
Une communauté se manifeste, parfois, par de grands mouvements collectifs. Elle sait le faire aussi à travers de petits gestes, des effleurements de l’esprit. Le regard de compassion à la serveuse dont la patronne a la réprimande facile, le remerciement franc à la caissière de l’épicerie, dont on voudrait pouvoir alléger la souffrance de ses pieds meurtris…
Je ne suis ni sociologue, ni anthropologue, mais je me donne la liberté de parler, puisqu’une communauté, avant de pouvoir la définir, il faut d’abord la ressentir et la vivre. Celle des femmes, je la sens puissamment lorsqu’elles distribuent les coups de gueule, alors qu’elles se lèvent pour exprimer leur solidarité, se défendent et s’affirment au moment même où tous les micros n’ont d’oreilles que pour les discours banalisant leur mouvement.
J’ai envie de me lier davantage aux femmes.
Tels des pantins, nous sommes attachées par des fils à cette main invisible, elle qui n’aurait qu’à s’élever pour que nous soyons debout et dansions le tango. J’ai envie de ce jour où les fils vibreront à en faire péter la cloche de cristal. Pour que nous retrouvions ces capacités essentielles à faire de notre humanité un monde meilleur.