La fabrication des mâles

NICHOLAS GIGUÈRE

Illustration : Catherine Lefrançois

 

 

 

le concept du jour : la masculinité toxique

pour se convaincre de la soi-disant grandeur de la nature humaine

il suffit de regarder les jeunes hommes des cavernes

se diriger vers n’importe quelle piste de danse

ils s’approchent de filles et s’époumonent

dans une seconde tu vas devenir ma pute

pour la nuit ou pour la vie

je pourrais même passer te prendre après ta job des fois

ces pseudo-hommes

pour qui le fast food est la nostalgie de la vie

caressent l’espoir que quelqu’un prendra soin d’eux

qu’ils seront aimés

même s’ils font mourir les cactus sur les bords des fenêtres

 


 

the boys are back in town : ils sont brokenhearted et sortent au dooly’s pour se pogner des chicks

pauvres petits novices

nos cœurs ont été brisés

comme ceux de nos pères de nos grands-pères de nos aïeux

ils sont devenus des organes collants et inutiles

qu’on épingle sur les murs et les babillards

personne n’en veut

nous sommes fiers de posséder encore un visage aux traits so charming

nous n’avons que l’aura de la bière pour nous guider

une meilleure vie sexuelle reste un plaisir écrit

un jeu spécial auquel nous nous adonnons

comme si c’était le dernier jour sur terre

 


 

father figures

je suis sans mots

devant les pères radotant des litanies incompréhensibles

asanti habani habani habani

ils crachent sur leurs enfants

qu’ils considèrent comme des étrangers

en qui ils croient à temps partiel

ils dévorent les cerveaux d’autres personnes

pour aller plus loin dans la vie

même s’ils aboutissent inévitablement au même poste :

entraîneur de la ligue de soccer locale

 


 

les conseils du père à son fils (scène digne de la terre paternelle)

fils de l’âge silencieux

trouve-toi une femme chaude et inquiète

tout en lui susurrant vraiment vraiment chérie ?

enferme-la sournoisement dans une conserve de ragoût de bœuf

renvoie ton dernier-né à son test de grossesse

ou attache-le quand il sera endormi

laisse tes enfants se perdre

chante à ceux qui resteront

les ritournelles et les chansons cochonnes que nous avons aimées

ce seront tes principales caractéristiques

 


 

comment le fils met en application les bonnes paroles du père

c’est une nouvelle danse dont je ne connais pas le nom

mais en voici les principaux mouvements :

je t’embrasse

te dis que tu es belle

te demande si tu veux te battre

ou te faire battre

tu es si gentille

avec ton dos arqué

que je peux frapper à volonté

je veux que tu marches

pour que je puisse rester ici

trouver un autre chemin

vers la fange

les égouts

où j’appartiens

en tant que fils du fils du fils

d’une merde

 


 

real men

nous sommes les hommes aux yeux sauvages

prisonniers du labourage du bas du corps

de nos femmes

de la télécommande de la télévision

nous sommes de toutes les époques

nos mensonges s’impriment sur nos visages

nos cerveaux font mal comme des entrepôts

aucun de nos organes n’est épargné

nous ne sommes que des ruisseaux paresseux

seuls des cris de tueurs en série

ou des motocyclettes pétaradantes

peuvent nous sortir de notre torpeur

 


 

boys keep swinging : premier mouvement vers la déchéance

quand on est un gars

on attend que la foule se disperse

avant d’aller faire un tour de machine

au coin de sunset boulevard et de vine street

on allume nonchalamment la télévision

on écoute les matchs de hockey et de football sur les deux chaînes spécialisées : rds et tva sports

on prononce des phrases fétiches comme

je te veux bébé!

tout le temps!

quelqu’un là-bas?

c’est considéré plus suspect si on dit

j’ai besoin de toi!

on est content de baiser une fille (évidemment)

plus âgée que soi (again and again)

parfois être un gars ne mène nulle part

c’est un nowhere paralysant

étouffant

 


 

boys keep swinging : happy ending

quand on est un gars

on est sain d’esprit

comme vous et moi

on ne veut pas vraiment être méchant

même si on le devient inévitablement

on demande toujours

qui?

pas moi?

on reste petit et chétif

il n’y a rien à faire

on vérifie jour après jour si on est devenu

le roi de l’oubli

du néant