La couleur du temps

VIRGINIE LARIVIÈRE

 

Illustration: Anne-Christine Guy

 

La couleur du temps s’est installée dans mes cheveux. J’ai des cheveux blancs, depuis longtemps. Vers la fin de la vingtaine, je me suis teint la chevelure pour gommer tout ça. Parce que les cheveux blancs se multipliaient plus vite que ma capacité mentale à les accepter. Parce que cette couleur incarnait une trahison – celle du temps – que même les taches de rousseur qui ponctuent mon nez n’arrivaient pas à éclipser.

À maintenant 38 ans, j’ai décidé de renouer avec ma couleur naturelle, un châtain des plus ordinaires, serti de blanc. Il y a quelques mois déjà que j’ai délaissé le rituel mensuel de la teinture. Exit donc « l’expérience sensorielle » chaque mois promise par une « crème veloutée qui ne coule pas » et adieu « confort optimal du cuir chevelu à l’application ». Début janvier 2017, le « châtain-très-clair-doré-100 %-couverture-du-gris » chargé de me rajeunir la frange s’accroche encore aux pointes, mais sa disparition est imminente. Une coupe garçonne est venue accélérer le processus.

Mettre fin à cette cérémonie intime – et pourtant très collective si on évalue l’espace considérable qu’occupent les teintures sur les tablettes des pharmacies – peut sembler un geste banal. Et à trop voguer sur Internet, on pourrait effectivement penser que retrouver sa postiche naturelle, c’est à la mode, fastoche, négligeable et tout à fait superficiel.

D’un côté, on y expose par mille clichés comment rester sexy malgré des cheveux gris, notamment en proposant d’adopter le rouge à lèvres foncé pour créer un contraste intéressant avec la nouvelle tête de jeune-vieille. De l’autre, la mode nous apprend que « les jeunes aussi veulent des cheveux gris! [1] » Ainsi, des filles de 20 ans se décolorent l’ébène ou le carotte de la moumoute pour adopter le poivre et sel.

Mais, sur l’autoroute de l’information, on trouve aussi des sites [2] dédiés à cette démarche du « retour au naturel ». On y trouve soutien, témoignages, photos, trucs et conseils pour arriver à se défaire de sa vieille couleur, et ce, en privilégiant l’estime de soi plutôt que le regard des autres sur soi. Une approche plus engagée et mobilisatrice.

Une approche nécessaire aussi, parce qu’il faut bien admettre que la détestation culturelle pour le temps qui passe et surtout pour les indices qu’il sème ici et là, autour des yeux, dans les cheveux, sur la peau, est difficile à vivre et est, parfois, cher payée. En effet, la trahison du temps est bien réelle. Et elle se vit surtout au féminin.

Parlez-en à Louise Arcand ou à Michèle Viroly, toutes deux d’anciennes lectrices de nouvelles de la télé nationale. En 1984, voulant « rafraîchir l’information », Radio-Canada remerciait Louise Arcand, 40 ans, et la remplaçait par Marie-Claude Vallée, 28 ans. En 2001, Michèle Viroly vivait à son tour cette injustice, remplacée par la plus jeune Michaëlle Jean.

Des histoires d’un autre siècle, pourrait-on penser. Sauf qu’elles se poursuivent librement aujourd’hui, peu importe les ondes que l’on choisit de syntoniser. On se félicite bien sûr de voir des cheffes d’antenne comme Céline Galipeau et Sophie Thibault assurer l’animation du téléjournal. Mais, soyons honnête, l’idée même de les imaginer livrer les états du monde avec une chevelure naturelle apparaît loufoque.

Pourtant, les têtes blanches et les pattes-d’oie de Simon Durivage ou de Pierre Bruneau ne provoquent pas d’émoi dédaigneux. Mieux encore! On dira d’elles qu’elles inspirent sagesse, maturité et expérience.

Bien sûr les cheveux blancs ne sont qu’un des « éléments de preuve » de vieillissement, dont se trouve à être coupable toute femme qui… prend de l’âge. Et évidemment, il existe des secteurs d’activités professionnelles où l’âgisme est plus flagrant. Les femmes artistes [3] par exemple, sont, au Québec, en 2016, victimes d’un âgisme indéniable. Tellement indéniable que cette double discrimination, basée sur l’âge et sur le genre, porte un nom : le syndrome Georges Clooney!

Le moindre signe de vieillissement des femmes est sous la tutelle d’une culture qui ne tolère que la jeunesse – et encore! Il ne faudrait pas que cette jeunesse se présente à un gala en jean et t-shirt sous peine de virer le Québec à l’envers [4]. Un fabuleux double standard qui se conjugue au féminin de tous les temps, quoique surtout à l’imparfait.

On vit une époque formidable. Une époque moderne, comme en fait foi Isabelle Maréchal qui demande à ses auditeurs et auditrices, sur les ondes du 98,5 : «Jusqu’à quel âge une femme peut-elle porter une minijupe, un bikini ou les cheveux longs? [5]»

Une époque merveilleuse où le visage ridé d’Hillary Clinton, 68 ans, première femme à devenir candidate pour l’élection présidentielle américaine, ne peut être exposé en une d’un magazine [6] sans créer une controverse, tant ce vieillissement trop apparent dérange.

Dans cette époque sclérosée par le Photoshop et momifiée par le Botox, refuser ou cesser la gymnastique esthétique de la coloration demeure un acte de résistance plutôt radical, qui va, littéralement, à la racine des choses. Arrêter de dépenser de l’argent sur des teintures et gagner en estime de soi, c’est radical!

Et puis, il ne faudrait pas négliger le côté pratico-pratique du retour au naturel capillaire : se détester le follicule pileux et se tapisser la crinière pour se rajeunir la perruque, ça prend du temps. Et arrêter d’en perdre pour dissimuler ses traces, ça libère un agenda!


[1] https://www.schwarzkopf.fr/skfr/fr/accueil/coloration/cheveux_gris/conseils_coloration/cheveux_gris_jeunes.html

[2] https://50nuancesdegris.canalblog.com/

[3] https://plus.lapresse.ca/screens/42e513f2-d715-4fdb-9dff-c98445e7c6aa%7C_0.html

[4] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/812110/safia-nolin-adisq-critiques-tenue-replique

[5] https://fr.canoe.ca/divertissement/celebrites/nouvelles/archives/2016/08/20160823-095818.html

[6] https://www.lactualite.com/societe/les-rides-au-pouvoir/