La constellation des sorcières
DOMINIQUE RAYMOND
Sur Zodiaque, collectif, La Mèche, 2019
Je regarde le dernier livre de La Mèche reçu en service de presse. Je réfléchis. Je n’ai encore jamais fait de Flecture « sur commande » pour promouvoir la sortie d’un livre. Il me faut une raison, l’envie d’un coup de cœur (L’école des soignantes) ou d’un coup de gueule (Les suicidées). Je suis à la fois flattée – c’est signe que Françoise Stéréo est devenue une plateforme incontournable – et craintive – je ne veux pas me sentir obligée de lire et de rendre compte de ce que j’ai lu parce que j’ai reçu un livre gratuitement.
Donc, rien n’est simple. Normal, je suis Cancer ascendant Gémeaux, j’ai ma Vénus en Gémeaux (!) et ma Lune en Balance. C’est Chloé Savoie-Bernard qui me l’a dit. C’est elle qui a mis le point d’exclamation entre parenthèses : « Gémeaux est un signe compliqué ». Je la crois sur parole, elle qui signe un très beau texte dans Zodiaque sur son rapport au corps, ses absences, sur Jung, la psychanalyse et l’astrologie; elle qui est en lice pour le Prix du Gouverneur général pour la poésie de Fastes; elle qui fut ma correspondante ici même dans La Théorie un échange. Quand on fait sa carte du ciel, l’heure de la naissance est une donnée importante qui détermine certaines « maisons ». Je suis née à 2 h 25 du matin, mais je voulais sortir bien avant. Ma mère a dû se croiser les jambes – les infirmières lui tenaient les pieds et bouchaient sa vulve de leurs mains – pour m’empêcher de sortir. Oui, prenez le temps, mesdames, que vous ayez ou non accouché, d’imaginer la scène et de faire une face horrifiée… Le médecin dormait chez lui, il fallait l’attendre. Finalement, c’est à cause du médecin que je suis Gémeaux compliquée bord en bord. Merci Doc, merci beaucoup !
Je me prends au jeu de m’imaginer autrement, plus simple, plus zen, moins obsédée par mes angoisses, moins angoissée par mes obsessions. Une fiction. Plusieurs autrices parmi les douze signataires parviennent à se laisser guider par l’imaginaire que charrie leur signe. Je pense à la sirène d’Anne-Martine Parent, Poisson, évidemment, qui distingue si justement le fait d’être mère et celui d’avoir un enfant. Je n’y arrive pas. Je n’y arrive pas, parce que je suis compliquée et parce que je suis Cancer. Je suis une maladie. Je ne suis pas malade, non, mais le nom de mon signe est maladie et j’en ai honte. En plus, cette année, elle s’est incrustée dans ma famille, dans la gorge de ma belle-sœur et dans les couilles de mon beau-frère. Un Cancer en attire un autre. J’ai lu le texte de Marjolaine Beauchamp en premier, pour savoir comment dépasser le haut-le-cœur cancéreux. Force est de constater que c’est impossible. « La fois où j’ai déboulé juillet » est un texte magnifique, dessiné au stylo et manuscrit, qui illustre l’affliction profonde d’une femme qui veut en finir. Le Cancer n’échappe pas à la maladie.
Les femmes auraient une plus forte attirance pour l’astrologie que les hommes, ce que Zodiaque, en ne colligeant que des textes de femmes pour former « une constellation de nouvelles sorcières », assume et accentue. Comme tout secteur à prépondérance féminine, l’astrologie est regardée de haut par les hommes, boudée, ridiculisée, perçue comme futile ou dangereuse, une arnaque. « Pourquoi les gars hétéros détestent tant l’astrologie ? », je ne sais pas, et ce n’est pas à cette question que répond Zodiaque. Il faut lire l’article du Vice pour cerner quelques pistes. L’intérêt du recueil postfacé par Stéphanie Roussel réside dans cette prise de conscience que l’astrologie a un pouvoir, totalement éloigné du stéréotype de la divination, et beaucoup plus près de la sémiotique (un signe est un signe) : le pouvoir de faire émerger les histoires, qu’elles soient belles ou affligeantes, fictives ou biographiques.