Kuei, je te salue ou le point de départ d’une réflexion essentielle sur le racisme
MARIE-MICHÈLE RHEAULT
Comment reprocher à quelqu’un de ne pas maîtriser notre langue quand on ne peut rien dire dans la sienne?
Juliana Léveillé-Trudel, Nirliit
2015. Salon du livre de la Côte-Nord. Natasha Kanapé Fontaine prend la parole, depuis la foule qui assiste à une table ronde, pour répondre à une auteure (Denise Bombardier, puisque je refuse de ne pas la nommer) qui a affirmé sur son blogue du Journal de Montréal que la culture autochtone était « mortifère » et « antiscientique ». Kanapé Fontaine voulait lui lire une lettre. Une simple lettre pour lui dire que ses propos sont blessants et racistes. Une lettre pour ouvrir le dialogue ou, du moins, essayer de l’ouvrir, une fois de plus. Même si ses ancêtres ont tenté de le faire depuis des centaines d’années, sans succès. Bombardier a pourtant pris son micro, coupé la parole à la jeune autochtone et parlé plus fort qu’elle. Elle l’a enterrée. Comment ne pas voir ici le mot PRIVILÉGIÉE flasher en gros néon fluo au-dessus de la tête de cette septuagénaire, blanche et friquée? Comment être témoin de cette scène sans écarquiller les yeux, rougir de colère, avoir envie de bondir, de sortir de ses gonds?
Mais bondir et sortir de ses gonds, c’est mon type de réaction. Certains, plus posés, choisissent la réflexion et la discussion. C’est ce qu’ont voulu faire Natasha Kanapé Fontaine, poète, artiste, militante innue, et Deni Ellis Béchard, auteur québéco-américain, lorsqu’ils ont commencé une correspondance qu’Écosociété a publiée ce printemps sous le titre Kuei, je te salue. Rapidement, le thème du racisme s’impose, universel et criant d’actualité. Les deux correspondants tentent de s’exprimer sans tabous ni censure sur une réalité qui les touche de près et qu’ils ont le désir de comprendre. D’entrée de jeu, Béchard le mentionne dans sa première missive :
Je t’écris cette lettre pour ouvrir un dialogue entre nos peuples et non pour culpabiliser les Allochtones de cette culture raciste. Aucun d’entre nous ne l’a inventée. Nous en avons hérité. Toutefois, nous sommes responsables de la comprendre et de la changer.
D’un côté, Béchard parle de préjugés, du lourd silence du dominant qui choisit de ne pas prendre position devant l’injustice ou de se fermer les yeux faute de savoir comment agir. Il tente de s’expliquer les préjugés qui empêchent d’être conscient des similitudes fondamentales entre les peuples, mais aussi tout ce qui fait la richesse de la multitude des spécificités. De l’autre côté, Kanapé Fontaine prend la parole pour les siens et demande qu’on l’entende, qu’on ouvre enfin les oreilles. Elle aborde sans gêne le mépris des Blancs par rapport aux Autochtones, la souffrance et la colère des siens devant les blessures millénaires qu’ils ont subies. Son écriture est troublante, comme empreinte d’une sagesse qu’on sied rarement et malheureusement, disons-le, aux femmes de son âge.
Ce livre est loin d’être moralisateur. Il est, à mon avis, une saine réflexion sur notre rapport à l’autre et un efficace point de départ pour une prise de conscience des conséquences du racisme systémique dans notre société. Kuei, je te salue est aussi une discussion ouverte sur la façon de commencer une réconciliation entre les nations :
Alors comment peut-on faire pour reconstruire la confiance? Reconstruire la parole brisée, trahie? Parfois, tout commence avec une simple réflexion. Qui en amène une autre, qui en amène une autre, et ainsi de suite… Les questionnements sont nécessaires. En ce moment, je me remets en question. Je remets en question ma relation avec l’« homme blanc ».
À la lumière de l’importance que prennent des mouvements comme Idle No more ou Black lives matter, la lecture de ce livre me semble essentielle. L’heure de la réflexion sur le racisme est commencée depuis longtemps. Maintenant, il faut passer à l’action en commençant par prendre conscience de ses propres privilèges et en reconnaissant la souffrance de l’autre.