Isabelle Dumais
D’os noirs inquiets
Quand j’étais enfant, le luxe, c’était pour moi les manteaux de fourrure, les robes longues et les villas au bord de la mer. Plus tard, j’ai cru que c’était de mener une vie d’intellectuel. Il me semble maintenant que c’est aussi de pouvoir vivre une passion pour un homme ou une femme.
Annie Ernaux, Passion simple
I.
Il fallait voir nos visages intermittents.
Des plis bleuâtres et secs apparus ouverts.
Par moments clairs et opportuns.
Le milieu d’une roseraie en plein bar.
Une largeur de siècle étalée au jardin
où poussent nos coudes écornés
déployée pareillement sans réserve.
C’était neuf des coches rapportées
dans nos cahiers. Comme déserts
frustres calcinés. Fusain. Nos mots.
Nous dessinions opaques nos os superposés.
Personne ne voyait. Pas même nous.
Ou si. Peut-être. Perplexes.
II.
Il fallait voir nos épaules lancées derrière.
Nos frôlements défaits répétés.
(C’était au ralenti que nous aimions.
Image par image.)
Précautions des cœurs machines
à broyer les vouloirs.
Efficace folklore effronté vermeil.
Les petitesses dorées des choses
dans les mains closes trop vieilles pour
rapiécer ensemble nos peaux lâches.
J’ai dit : Je n’ai rien de céleste.
Pas même le bleu. Sauf peut-être l’espace.
Tu n’as pas répondu.
J’ai ajouté : Le fleuve est beau
même sans le ciel renversé las.
Tu n’as pas répondu.
Et le fleuve a coulé.
Nos émois dans le chenal
flottant vers la mer.
III.
Il faut voir nos bras dispersés.
Quelques matins peut-être à consigner
des soleils brisés. Devons-nous croire?
(Nous qui sommes douceur.)
J’attends trouble et vérité.
Le temps casse la vitrine perdue.
Je n’ai pas les enjeux tristes.
Tu prédis une catastrophe
somptueuse qui n’arrive pas.
Des peines horizontales fêlées à ras bord.
Rien n’étend les corps.
Les os noirs inquiets seulement
perdurent saccadés.
IV.
Comment aimer ouverts et égarés?
Isabelle Dumais est écrivaine et artiste en arts visuels. Ses œuvres ont été présentées au Québec et à l’étranger, notamment en Italie, en Suède, au Japon et à Taïwan. Elle a fait paraître des textes en revue et participé à diverses lectures publiques au Québec et à Paris. Aux Éditions du Noroît, elle a fait paraître Un juste ennui (2010) et La compromission (2013). Elle enseigne les arts visuels au cégep et vit à Trois-Rivières.