Home is not home is home

CLÉMENCE GACHOT-CONIGLIO

(texte et photographies)

 

« Maison » en italien se dit « casa », en anglais, « home ».

Lorsqu’on est loin de chez soi, en italien, on peut dire « sento la mancanza di casa », littéralement « je ressens le manque de la maison », en anglais « I am going back home » signifie « je rentre à la maison ». Ces deux phrases disent à la fois le retour au pays, chez les siens, chez soi. Le tout, les autres, moi.

À mon oreille, si je dis « je rentre à la maison », en français, un vide se forme, je n’entends pas le même enveloppement.

« Maison »

Le mot me semble défectueux, amputé d’une pluralité sémantique que je ressens dans les deux autres langues que je parle. Le mot me semble manquant de ce sentiment conjugué qu’est l’appartenance. L’appartenance à un territoire, à une géographie, à un chez-soi culturel et collectif fait de traditions et d’ancêtres; l’appartenance à un chez-soi intime, mémoriel, strictement personnel; l’appartenance à un habitat matériel et strictement physique fait d’objets amassés, d’architectures particulières, de témoins du goût et du vécu.

Je cherche le souffle pour me dissocier de ce vocable imparfait et penser seulement à ce besoin d’unité et de complexité contenues quelque part, là où s’intègrent « toutes les valeurs particulières dans une valeur fondamentale[1] ». Si pas de mot, peut-être l’image peut-elle quelque chose pour moi ?

Depuis 2018, je n’ai plus vraiment « ma maison », « mon coin du monde[2] », ce « non-moi qui protège le moi[3] », ce « chez-moi » qui réunit toutes les facettes de l’habitat. Parfois, la vie prend des chemins de traverse. Depuis deux ans, des lieux et des personnes accueillent ma vie, devenue dans une certaine mesure errante, mais foisonnante alors de « chez-nous » et de cocons temporaires.

Que retenir de ces lieux, de ces espaces-paniers où je me dépose, avec mon corps et mon histoire? Ils interrogent en moi une énergie, l’énergie centrifuge, le mouvement du partir. Je cherche à comprendre ce qui m’agite et qui m’obstine dans le déracinement, la fuite, l’éloignement d’un prétendu centre, d’un terreau où s’enraciner. Pourquoi laisser? Pourquoi revenir? Où aller? Où rentrer?

Lorsque je pense à la fuite, à ces maisons qui m’accueillent, qui me donnent d’elles, où je laisse un peu de moi, je pense à son pendant : le refuge. À ce sentiment qu’est la sécurité. Que garde-t-on lorsque la possibilité du retour perd son repère spatial stable et fixe, quand un refuge qui nous est propre cesse brutalement d’exister physiquement? On en crée d’autres, éphémères, différents. Ces maisons qui croisent ma route sont des retranchements qui accueillent la solitude, qui la protègent à un moment donné et qui l’enrichissent.

Cette série veut honorer ces refuges passagers, mes huttes dans la forêt noire. Car s’il n’y a pas de hutte, pas de refuge, l’envie de mourir remplace l’idée de fuite.

Focalisées sur la magie suspendue dans les instants de bienveillance du jour et des êtres, les images cherchent à communier avec les lieux qui ont fait de la place à mes errances, à travers la France et l’Italie.

 


Photos prises entre l’Italie et la France à Genova, Mestre, Metz, Marseille, Toulon, Lixy, Modena, Paris, Clichy, Bassano del Grappa, Nantes, La Baule; entre 2018 et 2020. Photographies argentiques tirées au format 24 X 36 sur papier fine art.

 


[1] Gaston Bachelard, La poétique de l’espace, Presses universitaires de France, 1957, p. 24.

[2] Ibid.

[3] Ibid.