Habitante
ANICK ARSENEAULT
Photographies : Nathalie Dion
j’ai parfois dans ma gorge pleine de miel
une poignée d’aiguilles d’épinettes
pour parler des femmes seules en région
les femmes capables de lire la noirceur
apparaissent mobiles en pleine beauté
debout dans l’instant au cœur flexible d’un territoire
parler des femmes capables de gérer les insectes
les petits prédateurs moufettes coyotes les oiseaux
et autres animaux morts sur la galerie
les carnassiers en liberté féroce vorace
qui rôdent autour et se pensent invisibles
des femmes capables d’aiguiser une scie mécanique
mettre le nez dans un moteur
changer une roue vérifier l’huile réparer une marche
sortir les poubelles même les grosses vidanges immenses
grimper dans les rideaux les pieds dans les plats
gérer la suie vider les cendres monter sur le toit
en tâchant de garder un équilibre physique et mental presque tout le temps
des femmes capables de gérer les arbres abattus
débrancher débiter corder rentrer le bois allumer le poêle
maintenir la flamme entretenir le feu dedans dehors
peu importe la température ou la saison
qui brûlent oui attisent enflamment deviennent des reines du foyer
nourrissent les espoirs balaient les angoisses
secouent ce qui est tapi dans l’ombre
capables de courir pieds nus sauter dans l’eau
dériver flotter savourer paumes ouvertes yeux fermés
capables de tenir les rênes de conduire dans le noir dans les rangs
dans la poudrerie dense dans la brume opaque
dans la lumière éphémère
mon village ma tête mon corps sont des espaces sans danger
avec une ligne d’horizon un ciel immense
où me pitcher jusqu’aux genoux
lacets détachés cheveux lousses
dans les odeurs de sapin
Ce texte est un extrait d’Habitante, un projet réunissant des photos de Nathalie Dion et des textes d’Anick Arseneault, et portant sur la force des femmes en région.