Figuré

Figure 600

MARÉCHALE

Photo: Satya Jack, www.jackraw.com

 

 

If I didn’t define myself for myself, I would be crunched into other people’s fantasies for me and eaten alive.

Audre Lorde

Elle s’en était à peine cachée. Comme il se devait. Une insistance dans sa poignée de main et sa tête levée vers moi, scrutant mon regard et le soutenant audacieusement, avait rapidement attiré mon attention. Son bonsoir Nina appuyait trop sur la magnifique soirée pourtant maussade et pluvieuse. Ses yeux irisés louchaient dès que les miens se posaient sur elle. Elle savait.

Je punirais.

Sévèrement.

Voilà qu’elle agonise. Superbe. Bras et jambes déployées. Ficelées. Mon coffret d’orage. Elle supplie la Terre entière. Les temps passés et à venir. Ses plaintes accentuent mon excitation. Je la maintiens fermement là, au bord de son précipice, dans son présent inhabitable. Il n’y a aucune échappatoire, que je lui dis. M’entends-tu? Que toi qui danses au bout de mes nœuds et moi qui dévore chacun de tes mouvements. L’obéissance, le pouvoir. Ton orgasme arrivera au bout de ma langue. Au bout de mes mots. Lorsque tu ne seras plus qu’une averse ardente qui emportera d’un coup tes vêtements puis toute la chambre. Écoute-moi encore. Écoute tout ce que je te fais. Comment je t’empoigne et t’épuise de plaisir sans égard aucun pour tes longs râles qui émeuvent pourtant tout le voisinage.

Élyse m’avait désirée depuis je ne sais quand. Élyse avait su « pour mes penchants » par je ne sais qui. J’étais devenue le projet de sa soirée. Assises côte à côte sur un vieux banc d’Église, adossées sur les murs en bois rond du chalet, elle me cherche impunément à travers mes mots, m’interrompant souvent pour préciser ma propre pensée. Je n’interdis ni ne décourage ses efforts. Je tourne mes bagues autour de mes doigts en lisant très bien dans son jeu dont elle pense détenir l’ultime contrôle. Elle m’amuse. Et puis, l’effort était louable et la constance de son désir allumait ce qui avait été brutalement éteint en moi depuis peu. C’est trop tôt, me disais-je. Quel sens y aurait-il à chorégraphier notre rencontre? Elle est trop jeune, trop crédule, et ma plaie toujours vive. Mais sentir son corps de plus en plus enfiévré et sa ténacité croissant toujours plus dans l’espoir évident d’être matée me bouleversait. Et ses cheveux. Elle me laissait, comme il le fallait, les saisir de plus en plus souvent pour y enfouir mon nez et la respirer à pleins poumons. Une fantaisie à moi. Élyse s’offre. Mais Élyse ne veut que ce que je représente. Une tétralogie à Fifty Shades of Grey. Je connais trop bien l’histoire. Élyse veut me sauver. Il était hors de question de me faire dominer de la sorte.

Elle avait imaginé des coups de fouet. Je lui fais garder tous ses vêtements. Elle avait imaginé des griffures, de la cire, des gifles, des chocs électriques. Je souffle sur sa nuque et sur ses chevilles du bout des lèvres. Élyse me voulait complète, couverte de la tête aux pieds, splendide de latex. Féminine. J’ai bandé ses yeux. Au-dessus d’elle, je suis nue et en bottes de travail. Mon clitoris est gonflé comme un paon et je me coule dessus. Elle ne le saura jamais. Dans ma chambre, Élyse est magnifique. Un réseau complexe de cordes bleues en nylon ceint étroitement son pantalon et son tailleur sur son corps. Ma rhizome. Je ne la touche pas. Elle est à bout. Au bout de mes mots. Comme il se doit. Insolente, va.

Ma décision est prise. Je la plaque soudainement sur le mur de pierre du patio pour tester sa résilience. Sa présence d’esprit. Son verre tombe et éclate. Elle m’envoie chier, elle n’est pas comme ça. Pousse l’audace jusqu’à me gifler avec un timide sourire qu’elle me laisse attraper. Bien. L’alcool ne l’a pas encore trop affectée. Je renverse toutes les consommations qui se retrouvent entre ses mains. J’ai besoin de son consentement éclairé. De ses inhibitions. Élyse tremble. Enfile les cigarettes. Perd magnifiquement le contrôle. Sa lèvre inférieure gigote. Je serai là pour la cueillir à point. La faire venir à moi. C’est mon rôle. Mon plaisir. La contrôler. Élyse, elle ne savait pas jusqu’où ce jeu irait.

Sa tête tourne en tous les sens. Je lui dis qu’elle a épuisé ma sélection de dildos et que mon poing devra maintenant lui suffire. Vert. Je lui raconte les terribles fessées que je lui donne et lui parle de la moiteur de sa peau, du débit de sa salive et de l’onctuosité de sa cyprine. Toujours vert? Vert. Je lui détaille le pointu de ces objets métalliques avec lesquels j’écorce sa chair jusqu’au violet. Je lui précise le tracé de mes dents, incisives affamées, sur l’intérieur de ses cuisses. Vert, vert, vert! Je l’assure que ses mamelons se compressent dans l’étau de mes pinces. Tu en es certaine? qu’elle me dit.

Complètement.

L’imaginaire d’Élyse, au chalet, fonctionne à plein régime. Il s’installe dans la matérialité des choses, le full frontal. Salle de torture. Instruments de sévices. Chaises et bancs inusités en vieux bois de grange. Donjon. Lumière tamisée. Rouge. Pour embellir la couleur que prendraient ses fesses. Pour m’exciter. Élyse me prend pour un taureau. Ou un stéréotype d’homme hétéro très riche, sans retenue et sans cerveau. Élyse se prend pour une sub aguerrie. Elle a beaucoup lu sur le sujet qu’elle me dit. C’est frappant.

J’approche ma langue de son sexe à travers la frontière de son pantalon. Le corps d’Élyse ondule tout autour. La vulve ne forme pas une bouche que je lui dis; c’est un œil dont le clitoris est la pupille qui se dilate à la moindre euphorie. Je ne le touche toujours pas, reste à quelques millimètres à peine de distance, une dernière fois agace, et je lui dis soudainement à bout pourtant tout ce qu’elle veut entendre. Que je touche son œil en plantant solidement mes ongles dans son aine. Que je le lèche et l’aspire et… Jouit Élyse.

Jouis maintenant.

Et j’aurai regagné mon image.