Femmes d’Afrique : entre colère et résilience

L’importance du rôle de la femme dans le développement de l’Afrique n’est plus à démontrer. Devant les défis rencontrés sur le continent tels que la famine, la mortalité maternelle ou l’éducation, les spécialistes du développement sont unanimes pour attester que l’autonomisation des femmes est une des clés majeures du développement du continent africain.

Toutefois, de nombreuses inégalités et discriminations subsistent à l’égard des femmes. L’excision, le mariage forcé, le droit à la propriété foncière et la sous-représentation dans le domaine politique sont des problématiques qui sont toujours d’actualité et qui font l’objet de revendications de la part des femmes.

Devant ces défis de taille, les femmes africaines, mues par une colère légitime et un désir de justice et d’égalité, sont déterminées à ne pas se complaire dans une posture victimaire dans laquelle beaucoup voudraient les enfermer, mais plutôt à faire entendre leurs voix et à peser de tout leur poids dans la vie économique, politique et sociale de leurs pays.

a)     L’implication en politique

En effet, durant l’année écoulée, on a pu constater une forte mobilisation des femmes sur des questions politiques, notamment au Burkina Faso où le 28 octobre 2014, des centaines de femmes burkinabées étaient dans les rues de la capitale Ouagadougou, spatules en main, afin de manifester contre le changement de l’article 37 de la Constitution qui aurait permis au président Compaoré de briguer un nouveau mandat. Elles furent le fer de lance d’un mouvement citoyen qui finira par entraîner la démission du président quelques jours plus tard.

En Centrafrique également, les femmes sont décidées à s’investir dans le champ politique. En janvier dernier, elles ont organisé une marche sous l’autorité de la présidente de la transition Catherine Samba-Panza. Le but de cette manifestation était d’inciter tous les signataires de l’Accord de cessation des hostilités de Brazzaville à un réengagement total. Dans le contexte de violence qu’a vécu le pays, les femmes voulaient exprimer leur inquiétude par rapport à une situation qu’elles savent fragile et conscientiser leurs compatriotes sur l’effort de paix.

Enfin, au Congo Brazzaville, de milliers de femmes ont marché pour la paix le dimanche 1er mars 2015 dans la capitale. Le but de cette marche fut d’exprimer leurs inquiétudes concernant le changement de la Constitution dans la perspective de la présidentielle de 2016.

b) L’indignation par rapport à l’horreur et l’injustice

Outre la politique, les femmes se mobilisent aussi contre l’injustice. En effet, le 17 novembre 2014, des milliers de femmes ont manifesté dans les rues de Nairobi afin d’exprimer leur colère par rapport à l’agression d’une jeune femme dans la rue en raison de sa tenue vestimentaire. Quelques jours plus tôt sur les réseaux sociaux, un hashtag #MydressMychoice créé afin de revendiquer la liberté vestimentaire des femmes avait fait le tour du monde.

Les femmes sont également sur le pied de guerre lorsqu’il s’agit de s’insurger contre la cruauté et la barbarie. À la suite de l’enlèvement des 223 lycéennes de Chibok au mois d’avril 2014 qui avait bouleversé le monde entier, les femmes nigérianes ont manifesté à plusieurs reprises pour exprimer leur douleur et leur indignation par rapport à ce drame horrible et leur colère devant l’inaction de l’État nigérian face à Boko Haram.

Devant l’ignominie et les horreurs infligées par la secte islamiste dans le nord du pays, l’indignation des Nigérianes ne fut pas seulement circonscrite à des manifestations. En effet, au mois de mai 2014 les femmes des villages d’Attagara et Kawuri dans l’État de Borno firent preuve de bravoure et de courage en repoussant et en désarmant une douzaine d’assaillants de Boko Haram qui tentaient d’envahir leurs villages. Sept d’entre eux furent arrêtés et exécutés.

c) L’implication dans les résolutions des conflits

Nonobstant les turpitudes qui traversent le continent, les femmes d’Afrique veulent une plus grande implication dans les processus de résolution des conflits conformément à larésolution 1325 des Nations Unies qui demande l’implication de la femme dans le processus de règlement de conflit et de la consolidation de la paix. Cette problématique fut discutée au Forum de Bamako qui s’est tenu dans la capitale du Mali du 19 au 21 février 2015 et qui a mis en exergue le rôle majeur des femmes dans les conflits. Ce fut également le cas en Centrafrique où le 2 mars 2015, en prélude du Forum de Bangui, les femmes se sont réunies afin de définir les grandes lignes de leurs priorités, de leurs besoins et des manières pour elles de s’impliquer dans le processus de réconciliation nationale.

d) Une continuité historique

Ces évènements sont révélateurs de la combativité, de la pugnacité et du volontarisme dont les femmes africaines font preuve devant l’adversité. Cet état de fait n’est pas neuf et s’inscrit dans une continuité historique. De tout temps, la femme africaine a joué un rôle fondamental et déterminant dans les sociétés africaines. Les femmes subsahariennes d’aujourd’hui ne sont que les dignes héritières de grandes figures héroïques telles que Ndetté Yalla, la reine Pokou , la reine Anne Zingha , la reine Aminatou de Zaria, Aline Sitoé Diatta, les Amazones du Dahomey et bien d’autres qui ont marqué d’une empreinte indélébile l’histoire de leurs nations respectives, et au-delà, celle du continent africain.  Les femmes d’Afrique s’inscrivent donc en faux contre cette idée étriquée et misérabiliste selon laquelle elles seraient de perpétuelles victimes des drames et injustices qui traversent leur continent.

Animées par un sentiment de colère et dotées d’une résilience extraordinaire, elles sont les initiatrices des grands bouleversements d’ordres sociaux et politiques dans leurs pays et participent à l’essor de leurs sociétés. La colère, salutaire et salvatrice, est le moteur qui leur permet d’agir, de se mobiliser, de revendiquer et de monter au front pour défendre les injustices. La résilience, quant à elle, permet de continuer le combat en dépit des obstacles et des difficultés rencontrées.

Il y a quelques années, un président français avait eu l’audace de déclarer en terre africaine que « l’homme africain n’était pas assez entré dans l’histoire ». En plus d’être inexacte, l’idéologie sous-jacente à cette phrase est mise à mal au regard des faits énoncés plus haut. En effet, en plus d’être entrées dans l’histoire, et ce, depuis le commencement de l’humanité, les femmes africaines font l’histoire, elles créent l’histoire, elles bouleversent l’histoire et elles SONT l’histoire!

 

Aïchatou OUATTARA