Être one of the boys… ou pas
MARIE-MICHÈLE RHEAULT
J’ai 33 ans. Je suis attablée devant une pinte d’IPA dans un bar de Québec avec mes dudes du bac. On joue à des jeux vidéo vintages, on se fait des jokes de littéraires. On refait le monde. On parle de nos vies, de nos dates, de nos jobs. On se confie aussi. Beaucoup. On a confiance les uns envers les autres. On se connaît depuis près de 10 ans. On s’aime, on est des buddys. On est des buddys, mais je suis aussi Marie-le-repère-tranquille pour eux. Ces hommes m’aiment pour tout ce que je suis. Je fais partie des leurs. Ils me trouvent drôle, intelligente, fonceuse.
J’ai 22 ans. Je suis avec mes amis « poils ». Ceux qui écoutent du death metal depuis le secondaire. De beaux grands gaillards de l’Abitibi aussi passionnés que généreux. Je les écoute parler de la musique qu’ils font, de leur famille qui commence, de leur nouvelle vie de couple. Je parle de mes études, de mon couple qui bat de l’aile. On boit de la bière cheap, on se taquine, on rigole. On refait le monde d’une autre manière. D’une manière plus sensible, moins intellectuelle qu’avec mes amis de l’université, mais on refait le monde pareil. Je fais partie de leur vie, je suis leur référence quand ça chie, quand ils ne savent plus comment continuer. Ces hommes m’aiment pour tout ce que je suis. Je fais partie des leurs. Ils me trouvent forte, pas couchable, pas sortable.
J’ai 15 ans. On fait un petit party de sous-sol. J’écoute mes boys tenter de jouer du punk-rock avec des instruments de fortune et leur méconnaissance de la musique. Sont beaux à voir! On boit un fond de bouteille de fort que quelqu’un a piquée à ses parents, on fume du pot, on joue à vérité ou conséquence. On vit et on se raconte toutes nos premières expériences. La jeunesse de McWatters dans toute sa splendeur! On est si bien ensemble qu’on se voit tout le temps. On passe des nuits entières à niaiser comme des ados un peu cons, mais on s’en fout, on s’aime. On a, à ce moment, la certitude qu’on passera notre vie les uns avec les autres à être des bums. La fête avant tout! Ces garçons m’aiment pour tout ce que je suis. Je fais partie des leurs. Ils me trouvent folle, game, digne de leur bumitude.
***
Vite comme ça, on dira que j’ai toujours été one of the boys. Certes, j’ai partagé avec « mes boys » plusieurs des meilleurs moments de ma vie. Ces hommes m’ont fait rire et pleurer, m’ont comblée de leur confiance, de leur complicité. Pourtant, je sais que je ne suis pas totalement one of them. Ce sentiment de totale liberté que j’ai ressenti à leur contact a, un jour ou l’autre, été rompu par une main insistante sur la hanche, un « t’es crissement sexe » glissé à l’oreille dans un party, le classique « ça fait longtemps que j’ai envie de toi » ou le blessant « chaque fois que je te vois, je pense juste à ça ». BAM! À partir de là se termine l’illusion. Je descends de mon nuage : je ne suis pas one of the boys, je ne l’ai jamais été. Le fil est immédiatement rompu. Je ne suis plus seulement celle avec qui il fait bon refaire le monde. Je suis devenue objet de désir, une figure sexualisée, je suis la fille qu’ils n’écoutent plus parler puisque je leur fais penser à « ça ». Ils veulent soudainement de moi autre chose que ce qu’ils partagent avec les autres dudes de la gang. Alors que je croyais être à leurs yeux Marie-ma-sœur, l’égale des autres de la bande, j’étais plutôt Marie-a-un-je-ne-sais-quoi. Les perspectives changent. Puis une fois que le chat est sorti du sac, on ne peut plus revenir en arrière. Que faire d’autre que d’aller, moi aussi, au bout de ce désir que j’avais pourtant gardé caché parce qu’il m’importait plus d’être l’une des leurs que l’objet de leur désir? Ne suis-je pas la première à clamer haut et fort que le sexe entre ami.es ça se peut et que c’est fort profitable?
Ça m’attriste d’y penser, même si je sais que j’ai retiré beaucoup de ces relations d’amitié « with benefits ». Qu’on ne se méprenne pas. Je ne veux pas dire que c’est de leur faute si je me suis sentie exclue. Ils n’ont jamais pensé à moi en ces termes. Pour eux, je n’avais pas à me sentir des leurs. J’ai cette différence entre les jambes qui fait qu’on ne se pose même pas la question. « Pourquoi se la poser, de toute façon? Pourquoi ai-je besoin de faire partie du boys club? » diront-ils.
En fait, ce qui m’attriste, c’est de comprendre que, finalement, quoi qu’on soit, quoi qu’on fasse, on n’est jamais vraiment one of the boys si on est une fille ou si on ne partage pas le bagage de virilité construit autour de l’homme hétérosexuel. Mes amis gais pourraient certainement dire la même chose. Il a toujours semblé leur manquer cet élan de virilité pour pouvoir faire partie à part entière du groupe fermé des boys. Pourtant j’ai eu beau avoir les mêmes idées qu’eux, être des mêmes partys, boire ou fumer autant, sacrer comme un charretier, connaître la musique autant qu’eux, coucher avec des filles, je n’étais pas un homme et je n’en serai jamais un. Pas que je voudrais l’être, non. Mais cette différence me scie les jambes. Pourquoi s’enfermer dans cette construction genrée qui limite les gens et qui empêche de créer des groupes ouverts, riches, axés sur le partage des connaissances et des habiletés plutôt que sur une dichotomie malsaine et débilitante?