Émilie Turmel
L’horoscope de la veille
Je n’ai pas su naître et ne saurai pas mourir
certaines choses demandent du temps
qu’il soit autre qu’un ballon
météo à court d’hélium
pris au pylône du poème
Je n’ai pas de prévisions quotidiennes à offrir
que des écrans verts et des gestes barbares
*
Précipitée sauvage à pieds joints dans l’outrance
insolente et puérile étourdie comme fête
pour avoir piétiné l’herbe sous laquelle
pourrissent les avertissements
de mes ancêtres l’herbe
qui couvrira bientôt
mon corps
je vois le garçon méchant la fille étanche
qui déjeuneront sur ma tête sans savoir
qu’elle se putréfie au pied de l’arbre
dont ils croquent le fruit
ils nous ressemblent
J’espère qu’ils aiment les ballons
et les vidéos drôles de gens qui tombent
*
Tomber n’est plus
la seule façon de se faire mal
*
Autant sucer des casse-gueule
dans le stationnement du Couche-Tard
et prier fort yeux fermés bouche ouverte
*
La fille du dépanneur a la tête de Nelly Arcan
et le fusil de Tchékhov sous le comptoir
Ça s’appelle voir venir
*
Blanche Aurore Angélique Félicité la vertu
copiée-collée dans chaque branche du code
source programmée dans une langue
oublieuse des algorithmes
du bien et du mal j’avorte
rêveuse je lis plutôt
mon horoscope
de la veille
en public
*
Les toits qu’on répare en tapant céderont
bientôt place à l’hiver insomniaque
frimas sur les murs meubles souvenirs
on se regardera l’intérieur comme un frigo
plein sans aucune envie précise
*
Les prophéties tomberont à nos pieds
en peaux de lièvres l’hiver s’abattra
sur nos têtes déjà blanches un voile
de mariée échangé sur ebay
contre une bonne pelle
et des traction aids
*
Aucune veille de tempête
sur la ville je ne suis pas
une chienne flairant le séisme
avant son maître c’est le poème
qui me fait signe tache rouge
sur tissu blanc la possibilité
que la vie soit autre chose
*
Suivant cette voie cent fois suivie
vers l’horizon carte postale
l’envie me prend de tracer
des lignes de désir dans le gazon
artificiel pour faire plus vrai
la scarification comme purge
du paysage domestiqué
*
Je voudrais dire la chute seulement
je dois d’abord dénombrer mes phéromones
en apesanteur dans la dernière clarté mon enfance
à rabais entre le vin cheap et
les bonbons en vrac
Je voudrais dire femme seulement
vous voulez fille
facile
*
Fille dégénérée d’ascendance horizontale
je n’ai toujours pas appris comment vivre ni donner
la vie aux filles de mes filles et aux filles
de mes fils l’écume castrée je suis née
au chevet d’une modernité à l’agonie
espérant sauver la beauté du monde
par crédit ou interac
*
J’écris des poèmes au dos de mes factures
pas par économie de papier plutôt pour
me souvenir de combien je dois
à celles qui m’ont faite
*
J’installe ma langue dans la gueule
d’une louve sacrifiée il faut se faire lécher
par la bête qui nous a mordus dit-on
*
Je voudrais dire l’erreur mais
j’enfile l’ordinaire en pliant l’échine
sans regarder devant sans regarder
Je voudrais dire ma face cachée
foncer de nouvelles formes dans nos moules
le sublime ses humiliations
mais je n’ai que de faux orgasmes
et des livres
de cuisine
Titulaire d’une maîtrise en littérature et d’un diplôme de deuxième cycle en création de livres d’artistes, Émilie Turmel a également étudié et enseigné la philosophie. Elle a participé à une dizaine de spectacles littéraires, et plusieurs de ses textes sont parus en diverses revues universitaires. Elle travaille actuellement à la programmation de la Maison de la littérature.