« droits » des femmes?

Zishad Lak

 

À travers les annonces de célébration et de mobilisation du 8 mars dans mon réseau féministe, j’ai remarqué que la Journée internationale des femmes a été, pour reprendre les mots de Laurence, bulldozée en Journée internationale des droits des femmes. J’ai senti d’emblée un malaise devant ce changement de nom – de l’expression « des femmes », qui semblait permettre des rencontres multiples et imprévisibles d’une pluralité d’horizons féministes, à  celle de « droits des femmes », qui évoque une version du monde et des luttes beaucoup plus circonscrite. Suis-je possessive du 8 mars? Ai-je l’impression que quelqu’une me l’a volé et l’a changé sans mon consentement? Or, plus je pense à cette re-désignation, à ma réaction originale et aux questions que soulève ce nouveau nom, plus mon malaise s’accroît.

On en a discuté avec Laurence, un jour avant le 8 mars, c’est-à-dire un samedi où on était, chacune de notre bord, prises avec les enfants, et avec peu d’espace mental pour réfléchir de façon plus profonde à ce qu’entraîne ce changement. J’ai donc décidé de poser simplement quelques questions qui me préoccupent dans le cadre d’un court texte. Un texte qui se veut plutôt le début d’une conversation parce que les mots importent et il faut être critique et sensible envers eux.

Je comprends l’importance d’insister sur l’aspect politique du 8 mars. Or, il est tout aussi important de repérer le politique et l’agencéité politique dans les pratiques quotidiennes, dans l’intime et dans tout ce qui, à première vue, nous paraît apolitique. Un changement de paradigme n’arrive que quand on s’ouvre aux épistémologies différentes et aux autres compréhensions de l’agencéité.

Le discours qui se centre sur les droits privilégie l’épistémologie hégémonique des démocraties libérales, et tente de valoriser une définition particulière de l’agencéité. Un tel discours réclame des réformes dans la forme des droits octroyés aux groupes minoritaires et dans l’inclusion de ces groupes dans l’ordre du monde actuel. Ce discours ne cherche pas nécessairement à « fuck shit up » pour reprendre les mots éloquents de Jack Halberstam. Loin de moi l’idée de minimiser l’importance des droits. Cependant, une approche fondée sur les droits n’est qu’une forme de résistance au patriarcat, et elle n’est pas la plus radicale. En orientant la lutte féministe vers une telle approche, ou en la monopolisant, comme lorsqu’on change le titre même de la Journée internationale des femmes, on crée une hiérarchie dans nos luttes alors que nos luttes cherchent justement à détruire toute hiérarchie, à rendre notre ordre du monde incohérent et insensé.

Mes questions visent donc les féministes pour qui j’ai un énorme respect, mais qui ont adhéré à ce nouveau nom : de quoi parlez-vous quand vous parlez « des droits » ? Quels sont les enjeux de relation, de citoyenneté et de collectivité dans leurs formes multiples (car la Journée internationale des femmes est multiple) qui relèvent d’une approche fondée sur les droits? Qu’est-ce que « des droits »? Quels sont les principes d’attribution et de distribution « des droits », et qui les détermine et les accorde? Qui a droit à « des droits »? Ces questions gagnent en importance surtout en ce moment historique où l’État de droit et les droits des Canadien.ne.s allochtones à la mobilité et à l’accès à la marchandise (abordable) sont instrumentalisés pour supprimer les droits et les titres fonciers des peuples autochtones à leurs territoires. On peut aussi rappeler les violences impérialistes commises par les démocraties libérales, notamment au moyen orient, au nom d’une logique de droits.

Plutôt que de centrer cette journée importante autour d’une idéologie et d’une éthique hégémonique, on pourrait aussi penser aux façons dont les pratiques quotidiennes et même les manifestations consuméristes à la Hallmark de la Journée internationale des femmes sur les réseaux sociaux pourraient se politiser.

En guise de conclusion, j’aimerais citer un extrait de la préface qu’a écrit Jack Halberstam pour l’ouvrage de Fred Moten et Stefano Hareny, The Undercommons. Fugitive Planning and Black Study :

« If you want to know what the undercommons wants, what Moten and Harney want, what black [sic] people, indigenous [sic] peoples, queers and poor people want, what we (the “we” who cohabit in the space of the undercommons) want, it is this – we cannot be satisfied with the recognition and acknowledgement generated by the very system that denies a) that anything was ever broken and b) that we deserved to be the broken part; so we refuse to ask for recognition and instead we want to take apart, dismantle, tear down the structure that, right now, limits our ability to find each other, to see beyond it and to access the places that we know lie outside its walls. We cannot say what new structures will replace the ones we live with yet, because once we have torn shit down, we will inevitably see more and see differently and feel a new sense of wanting and being and becoming. What we want after “the break” will be different from what we think we want before the break and both are necessarily different from the desire that issues from being in the break. » (p. 6)