Le droit au logement : un droit féministe
MARIE-ÈVE DUCHESNE
Comité populaire Saint-Jean-Baptiste
Illustration : Virginie Larivière
Avoir un toit sur la tête. Six mots qui semblent aller de soi pour une grande partie de la population. Avoir un toit sur la tête, c’est la base des besoins essentiels, c’est un sentiment de sécurité. Mais pour plusieurs personnes, ce fameux toit vient avec son lot de problèmes. Logements trop chers, insalubres, qui n’apportent pas la sécurité souhaitée… Tant d’obstacles au quotidien pour les locataires. Et quand ces obstacles se conjuguent avec d’autres systèmes d’oppression, le fameux toit sur la tête, ce nid douillet auquel toute personne devrait avoir droit, peut devenir une source de tensions, de violences, de discriminations.
Des logements, si y’en a, y sont chers
Se loger devient de plus en plus difficile. Nous sommes dans un contexte de pénurie de logements. Pour qu’il y ait un certain équilibre dans le marché locatif, on considère que 3 % de taux d’inoccupation de logement est un seuil raisonnable. Or, le taux de la région métropolitaine de recensement (RMR) de la ville de Québec se situe maintenant à 2,4 %. Et la situation est bien pire dans les quartiers centraux où sont concentrés la majorité des locataires : on parle d’un taux d’inoccupation de 1,8 % pour la Basse-Ville de Québec et de 1,7 % pour la Haute-Ville. Dans cette conjoncture, il n’est donc pas rare de voir des propriétaires profiter de l’occasion pour demander des hausses abusives de loyer.
Parce que se loger coûte très cher. Toujours pour la RMR de la ville de Québec [1], entre octobre 2016 et octobre 2019, le loyer moyen pour un 4 ½ est passé de 808 $ à 862 $, une augmentation de près de 7 %. Pour la Haute-Ville de Québec, le loyer moyen pour le même 4 ½ est de 1065 $. Quand on connaît les écarts de revenus entre les hommes et les femmes, il est facile d’imaginer le défi supplémentaire que peut avoir sur un budget un logement à ce prix.
Dans son dossier « Femmes, logement et pauvreté [2] », lancé en 2019, le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) dresse le portrait des femmes locataires et de leurs réalités. C’est sans surprise que l’on constate que le revenu médian des femmes locataires est moins élevé que celui des hommes. Selon les données de 2016 de Statistique Canada, on parle d’un revenu médian de 34 392 $ pour les femmes locataires au Québec, contre un revenu médian de 40 470 $ pour les hommes. Bien que les femmes de la ville de Québec soient légèrement plus aisées, l’écart demeure : 36 390 $ comme revenu médian pour les femmes, contre 42 885 $ pour les hommes. Une pauvreté expliquée en partie par le travail invisible des femmes, que ce soit la charge mentale familiale, les soins aux enfants ou parce qu’elles sont proches aidantes. Bref, la pauvreté des femmes persiste et complique la vie de celles qui souhaitent se loger convenablement.
Au-delà du prix : discriminations et violences
Le logement est une denrée rare. Et à cette réalité s’ajoutent les possibles discriminations que peuvent vivre les femmes ou les personnes vivant aux intersections des systèmes d’oppression. Quand les propriétaires ont le gros bout du bâton, il devient facile pour eux de « choisir » les locataires. Exit les mères monoparentales, les personnes racisées, les personnes non-binaires ou celles recevant de l’aide sociale ! De quoi faire vivre beaucoup d’insécurité pour les locataires.
Et cette insécurité fait aussi partie de la réalité de nombreuses femmes locataires avec l’arrivée massive de l’hôtellerie illégale dans les quartiers centraux. Déjà, le phénomène Airbnb pose des problèmes quant à la protection du parc locatif dans un contexte de pénurie de logements. En effet, malgré que ce soit illégal, plusieurs propriétaires préfèrent louer la totalité de leurs logements à des touristes sur du court terme, plutôt que d’assurer un maintien dans les lieux à des locataires à long terme. L’appât du gain financier est majeur. Mais pour plusieurs femmes locataires, ce phénomène amène aussi son lot d’insécurité. Voir autant de va-et-vient dans son bloc d’appartements, ne plus connaître ses voisins ou ses voisines, vivre du « harcèlement de corridor » ne sont que quelques exemples que l’on entend quand il est question de ce nouveau phénomène qui met à mal le droit au logement.
À la lumière de tous ces éléments, il est facile de comprendre le véritable casse-tête que devient la recherche d’un logement. Et parfois, ce besoin est urgent, voire vital : pensons aux femmes qui doivent quitter une situation de violence conjugale ou qui vivent du harcèlement ou des violences dans leur milieu de vie actuel. Quand notre toit sur la tête n’est plus un milieu sécuritaire, c’est notre vie et notre santé physique et mentale qui deviennent également un enjeu. Le droit au logement est officiellement un droit féministe.
[1] Toutes les données sont tirées du rapport de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL): https://www03.cmhc-schl.gc.ca/hmip-pimh/fr?fbclid=IwAR30FXReho_e8t1Ln__GQBzUomt279TRpVMJ9BaWWRtuv3QuIC1L2i9LAOA#Profile/1400/3/Qu%C3%A9bec
[2] Pour lire le document : https://www.frapru.qc.ca/wp-content/uploads/2019/03/DNFemmes2019.pdf