De secousses en tempêtes ou la vie d’une historienne tourmentée
MICHELINE DUMONT
J’ai envoyé récemment un texte au blogue Je suis féministe. On m’a poliment répondu que le blogue était réservé aux jeunes féministes. Il est vrai qu’à près de 80 ans, je suis plutôt passée date! Quand même! Puis-je encore écrire (ou parler, c’est selon), sans crainte de radoter? Il est vrai que cela m’est difficile : on me demande toujours la même chose. Que de bilans je trouve dans mon CV!
« Est-ce que vous craignez de vous affirmer féministe dans votre milieu? », me demandait candidement un étudiant belge venu m’interroger à l’été de 2013? « Mais le monde entier sait que je suis féministe! » lui ai-je répliqué un peu témérairement. Et pourtant, j’ai mis tant de temps à réaliser que j’étais féministe. Je l’étais depuis mon adolescence, mais je ne le savais pas[i]. En 1953, il y a 60 ans, j’envoyais à Vie étudiante un article, « Ta ta ta ma fille! », pour protester contre le fait que Vie étudiante ne s’intéressait qu’à l’orientation professionnelle des garçons. Je piaffais contre l’interdiction de poursuivre mes études, de faire du pouce, de rentrer tard.
« Tu ne dois pas téléphoner à un garçon! Ça ne se fait pas! »
« Tu ne dois pas travailler durant l’été, puisque nous payons pour tes études. »
« Tu ne devrais pas lire tant que ça. Ça éloigne les cavaliers! »
« Tu dois apprendre à faire la cuisine. »
« Avec un diplôme universitaire, ce n’est pas facile de se trouver un mari. »
Et puis j’ai lu Le Deuxième sexe, en 1959. J’écrivais dans mon journal : « Poser en termes d’altérité la situation de la femme est très éclairant : cela met en évidence toute l’opposition de l’individu et de la féminité, deux réalités selon la conception actuelle de la femme et entre lesquelles la synthèse paraît plutôt irréalisable. » Car au fond de moi, je refusais la solution de Beauvoir de dire non au mariage et à la maternité pour être un individu et finalement je m’étais résignée, contre mon gré, à devenir une femme de carrière… célibataire. Les jeunes femmes d’aujourd’hui ne peuvent pas comprendre la force des prescriptions sociales, morales et familiales dans le Québec de la fin des années 1950. Jusqu’à ce que finalement, je me marie, j’aie des enfants et je brise très rapidement ma promesse futile, que tant de mères faisaient à l’époque, de ne retourner sur le marché du travail que lorsque la plus jeune de mes filles, née en 1969, serait à la maternelle.
En 1968, la commission Bird[ii] m’avait commandé une « histoire de la situation de la femme dans la province de Québec », travail que j’avais préparé dans une sorte de vide documentaire et idéologique[iii]. J’avais fait le travail durant ma troisième grossesse. Je relis aujourd’hui la dernière phrase avec consternation. « La dernière génération de femmes arrive à l’âge adulte sans même remettre en question son droit aux études universitaires, au salaire égal, à la participation à la vie politique et économique. Dans une société désormais transformée, elle songe davantage à agir qu’à revendiquer : au fond elle ne demande que de meilleurs moyens d’action. » Ma lorgnette était si étroite. Mon ignorance tellement grande.
L’étude n’a été publiée qu’en 1971. Et je découvrais alors avec stupéfaction que ce texte était nouveau, mobilisateur. Il m’a valu de nombreuses invitations à prononcer des conférences. Je terminais la première d’entre elles, en 1971, par ces mots, soigneusement mis en manchette par la journaliste de La Tribune : « Les associations féminines et féministes sont une perte de temps et d’énergie! » Seigneur!
Comme le texte de l’étude de la commission Bird avait été traduit en anglais, les invitations sont venues également du ROC. En 1973, je participais à un documentaire du National Film Board sur « La Québécoise[iv] », documentaire qui a beaucoup circulé au Canada anglais. À la fin, le réalisateur me demandait ce que j’aurais fait si j’étais née plus tôt. Je lui avais répondu avec un beau sourire : « I think I was born in the right time! »
La réalité allait me rattraper. Devenue professeur (sans e muet) en histoire à l’Université de Sherbrooke, une collègue d’alors me fait remarquer que les femmes n’ont droit qu’à la moitié des assurances collectives de nos collègues masculins. Vite, on rejoint les 34 femmes enseignant alors à l’université (nous étions un petit 3 %) et nous obtenons leur autorisation d’entreprendre des démarches « pour être assimilées aux hommes », par rapport aux polices d’assurance. Victoire obtenue rapidement. Le vice-recteur responsable du dossier m’a révélé, des années plus tard, que notre lettre l’avait plongé d’abord dans le désarroi et la culpabilité, jusqu’à ce qu’il apprenne que la politique des compagnies d’assurance respectait une demande des femmes elles-mêmes. En effet, au moment de l’adoption des polices d’assurance collectives (nous sommes dans les années 1950), les femmes à l’emploi de l’université étaient exclusivement des secrétaires qui ne souhaitaient nullement payer pour des assurances (puisqu’elles seraient congédiées au moment de leur mariage) et on leur offrait la possibilité de ne cotiser qu’à moitié… pour la moitié des protections et surtout, une retenue moins importante sur leurs maigres salaires. Personne n’avait prévu que, bientôt, des femmes deviendraient professeurs (toujours sans e muet). Le vice-recteur nous avait répondu que notre demande avait été acceptée avec politesse et élégance. Nous avions rétorqué que dans leur mansuétude, « les responsables de l’université ne devaient jamais oublier qu’ils étaient les héritiers des anciens législateurs ». Et toc!
Je lisais Germaine Greer, Kate Millett, Benoîte Groult, Susan Brownmiller. Je découvrais que j’étais féministe sans le savoir. J’entendais parler des « Women’s Lib » aux États-Unis, du « MLF » en France, de la FFQ, de la création du Conseil du statut de la femme. Et la réalité continuait de me rattraper. Notre syndicat préparait sa première convention collective. De longues assemblées déroulaient le chapelet des revendications, dont celle d’un congé de maternité. Des collègues masculins se sont présentés au micro pour en contester le bien-fondé, voire en ridiculiser les articles. « Pourquoi seraient-elles payées? Elles ne travaillent pas! » Je bouillais. Je me suis présentée au micro, moi aussi, demandant de retirer la demande de congé de maternité puisque nos collègues n’étaient pas assez intelligents pour comprendre la nécessité d’une telle mesure. Mon intervention a mis fin aux protestations et a permis à une collègue plus diplomate que moi de bien expliquer la mesure qu’endossait par ailleurs le comité de négociation. Et le congé de maternité a été adopté.
En 1976, j’ai offert mon premier cours sur l’histoire des femmes (intitulé malheureusement Histoire de LA femme au Québec), et j’ai réalisé rapidement que mes connaissances étaient un peu trop minces. J’ai donc demandé une subvention de recherche pour étoffer ce cours. La réponse est revenue du CRSH, négative, assortie de commentaires lapidaires sur les lacunes théoriques de mon projet, me fournissant même la liste des ouvrages que je ne connaissais pas. Mes pairs avaient frappé dans le mille. Je me suis donc mise à l’ouvrage. Le monde s’ouvrait à moi avec la lecture de Berenice A. Carroll, Liberating Women’s History. Theoretical and Critical Essays[v]. J’ignorais alors le sens de l’expression « rupture épistémologique » et ce n’est pas dans ma formation universitaire déficiente (1957-1959, Université de Montréal; 1961-1962, Université Laval) que j’aurais appréhendé un tel concept. Mais comme on dit, il n’est jamais trop tard pour apprendre! «Placing Women in History» (Gerda Lerner) : une vie ne serait pas suffisante pour y arriver! Cours (recherches), conférences (recherches), articles (recherches), colloques (recherches), participation à l’ICREF/CRIAW; à l’aventure exaltante du Collectif Clio de 1979 à 1982 (merci à Marie, Michèle et Jennifer);projets de recherche avec Nadia Fahmy-Eid et direction de mémoires en histoire de l’éducation des filles : mes journées n’étaient plus assez longues et mes trois filles, devenues de studieuses adolescentes, avaient moins besoin de moi. Le trajet Sherbrooke-Montréal n’avait plus de secrets pour moi. Mon CV s’allongeait dangereusement.
Sur les entrefaites, j’ai accepté la direction de mon département de 1983 à 1986. Voulant dynamiser la recherche, j’ai créé une nouvelle tradition : l’organisation de séminaires de recherche où les professeurs étaient invités à venir présenter leurs travaux. J’en ai ainsi organisé six, deux par année. Étudiants et professeurs fraternisaient dans un climat d’ébullition intellectuelle autour de « la marginalité en Nouvelle-France », des « ouvrages interdits à la Renaissance », de « l’histoire régionale des Cantons de l’Est », de « la venue au Québec des congrégations religieuses françaises entre 1880 et 1920 », de « la politique étrangère des États-Unis », de la « violence en Louisiane », etc. Mon successeur a voulu maintenir l’activité et m’a proposé de tenir à mon tour un séminaire. J’ai accepté avec enthousiasme. Les étudiantes et les étudiants étaient nombreux, mais un seul de mes collègues s’est présenté. Je réalisais soudainement que mes recherches n’intéressaient nullement mes collègues. Je pense que j’ai été profondément blessée et j’ai commencé à comprendre que l’histoire des femmes n’était pas considérée sérieusement. Et j’ai réalisé que mes véritables alliées se trouvaient non pas en histoire, mais dans le champ nouveau des « Études sur les femmes », des « Women’s Studies ».
Je recevais des invitations : Chicoutimi, Calgary, London, Ottawa, Québec, Trois-Rivières, Montréal, Grainau en Allemagne, Aix-en-Provence. Je me devais de croire que mes recherches, après tout, avaient un certain intérêt. J’ai été invitée comme témoin experte dans une cause de discrimination systémique au Tribunal des droits de la personne[vi]. Épreuve redoutable : neuf heures de témoignage (en deux journées), sans notes, sans papiers, notamment face à l’avocat du Conseil du trésor, préoccupé avant tout à me déstabiliser, et sautant du coq à l’âne entre les décennies, les programmes et les analyses, pour discréditer mon témoignage.
Heureusement, j’avais autour de moi les collègues des autres facultés qui étaient mobilisées, elles aussi, par la recherche féministe. Nous étions le GIRFUS (le Groupe inter-facultaire de rencontres et de recherches sur les femmes de l’Université de Sherbrooke). Nous suivions le développement des initiatives dans les autres universités et nous avons décidé de nous lancer nous aussi dans ce créneau. Avec l’appui de l’une de nous, Marie Malavoy, devenue doyenne de la Faculté des lettres et sciences humaines, nous avons lancé un programme multidisciplinaire de trente crédits en « Études sur les femmes ». Des cours en théologie, linguistique, histoire, droit, travail social, littérature, anthropologie, science politique, éducation. Une initiative modeste qui ne coûtait que le salaire de quatre chargées de cours. Ce programme pouvait s’insérer dans un baccalauréat multidisciplinaire ou servir de mineure dans un baccalauréat avec majeure. La majorité des cours provenaient des programmes réguliers offerts dans les facultés et figuraient déjà dans les syllabus. Nous avons organisé, dans le cadre du congrès de l’ACFAS, pour une seconde année, la session des études féministes et c’est même à Sherbrooke, à cette occasion, qu’a été lancé le Réseau québécois de chercheuses féministes.
J’avais installé sur ma porte le poster qui annonçait notre programme. J’ai entendu deux étudiants discuter (philo? psycho?).
« Des études sur les femmes? De quoi ça peut parler? »
« Il me semble qu’à part l’ouvrage de Simone de Beauvoir, il n’y a pas grand-chose sur cette question. »
J’ai ouvert ma porte, sincèrement exaspérée par tant d’ignorance, et je les ai invités à venir examiner les rayons de ma bibliothèque. Ils ont bredouillé de vagues excuses et se sont hâtés de décliner mon invitation et de disparaître au bout du corridor. Je venais de faire de nouveau la preuve que nos recherches étaient invisibles dans la majorité des cours dispensés dans l’université. Il était possible d’obtenir une maîtrise ou un doctorat dans toutes les disciplines sans même soupçonner qu’une perspective féministe était venue bouleverser le savoir depuis les années 1970. Une réalité me crevait les yeux : l’inexistence académique de ce qui n’était jamais enseigné à l’université. J’en ai eu de nouveau la confirmation dans les semaines suivantes. Une étudiante de la Faculté d’éducation, en orientation professionnelle, est venue frapper à ma porte. En discutant avec son professeur, elle lui avait confié son désir d’examiner, pour sa recherche de maîtrise, « les problèmes des femmes sur le marché du travail ». Il l’avait dissuadée de choisir ce thème en lui disant que la question n’était pas documentée. Une amie l’avait dirigée vers mon bureau.
« Comment ça pas documentée? Regarde tous ces rayons : tous ces livres concernent les difficultés des femmes sur le marché du travail. Et ce n’est même pas ma spécialité! » Je militais depuis une dizaine d’années au Centre des femmes de l’Estrie, dont l’une des activités principales était de faire fonctionner un centre d’emploi pour femmes. Ce n’était pas « ma » spécialité, mais je connaissais la chanson! C’était à pleurer. J’aurais bien voulu me calmer, décolérer. Mais cette brève rencontre m’a confortée dans ma conviction que nos recherches n’avaient pas beaucoup d’impact sur le savoir.
Et la réalité politique, elle, continuait de me poursuivre. C’était l’heureuse époque des « programmes d’accès à l’égalité » à la fin du XXe siècle. Dans mon département, cette proposition suscitait grogne et opposition. Je n’oublierai jamais cette réunion qui avait pour objet de débattre de la question. Dans la petite salle, les « gars » s’étaient tous placés sur le même côté de la table hexagonale, me laissant seule, devant leur peloton hostile. Pour eux, cette horrible politique avait pour conséquence de « discriminer les jeunes hommes » : elle était inacceptable. Elle défigurait la soi-disant objectivité des comités de sélection. Un concept tel que « discrimination systémique » leur paraissait absolument incompréhensible. « Ah Micheline, comme tu manques de diplomatie! » me disaient mes amies. Mais je n’avais aucun goût d’être diplomate. Il faut croire qu’elles avaient raison. Car ils ont fini par embaucher des femmes, et ils les ont même laissées partir pour un congé de maternité! Heureusement, d’autres personnes plus habiles que moi avaient tenu le fort et convaincu le département de l’importance d’embaucher des femmes. Il faut dire que les candidates étaient hors pair!
Notre programme d’études sur les femmes attirait peu d’étudiantes. Mais les cours, eux, étaient populaires. Nous avions prévu un séminaire de synthèse. Marie Malavoy, Louise Melançon, Danielle Raymond, Margaret Beattie et moi l’avions préparé pendant un an, et convenu de l’offrir collectivement et bénévolement. Ce fut une magnifique expérience pédagogique. Mais à la fin du siècle dernier, une des nombreuses vagues de compressions universitaires a eu raison de notre programme. Heureusement, les cours, eux, sont restés.
Et puis la retraite est venue. Enfin, j’aurais le temps d’écrire tous les livres qui attendaient d’être écrits. Nous avons fait aménager dans notre maison, désormais presque vide, un vaste bureau avec 49 mètres linéaires de rayonnage. Et je me suis mise à l’ouvrage, convaincue que je ne serais plus dérangée par les réunions, les cours, les assemblées, les comités, le syndicat, les projets de recherche. Je n’ai même pas réclamé le statut de « professeure associée » qu’adoptaient tant de collègues nouvellement retraités.
J’ai travaillé fort.
Découvrir la mémoire des femmes. Une historienne face à l’histoire des femmes. Remue-ménage, 2001.
La pensée féministe au Québec (1900-1985) (Avec Louise Toupin). Remue-ménage, 2003.
Brève histoire des institutrices au Québec de la Nouvelle-France à nos jours (avec Andrée Dufour). Boréal, 2004.
Le féminisme québécois raconté à Camille. Remue-ménage, 2008.
Pendant ce temps, le téléphone a continué à sonner et les courriels à arriver. Conférences. Colloques. Télévision. Radio. Comité de rédaction. Ma foi, ce n’était pas terminé. Mais pouvais-je espérer que ma colère se dissiperait? Eh non! Elle a servi à organiser mon dernier livre :
Pas d’histoire les femmes. Réflexions d’une historienne indignée. Remue-ménage, 2013.
Au demeurant, l’actualité se chargerait de nourrir ma colère. Une critique odieuse sur le film de Marquise Lepage Des marelles et des petites filles. Des insultes à répétition sur Internet. On nous abreuvait du concept de « postféminisme ». L’antiféminisme fleurissait. On accusait les féministes d’être responsables du décrochage scolaire des garçons. Les magazines féminins pervertissaient le vocabulaire de la libération des femmes pour des enjeux frivoles et superficiels. Le culte de la beauté continuait de faire des ravages. « Les magazines féminins sont dangereux pour la santé[vii] », ai-je expliqué aux jeunes gestionnaires des HEC en 1999. Mais surtout, je réalisais que les objectifs de la lutte des femmes n’étaient pas tous aussi « vendables ». Les femmes en politique, oui! Les femmes dans les lieux de pouvoir, oui! Les femmes dans les C. A., oui. Les « premières qui », oui. Mais il ne fallait pas parler de toutes les questions qui soi-disant victimisaient les femmes : la violence domestique, les mères monoparentales, les victimes d’agression sexuelle, la santé des femmes, la discrimination systémique, etc. En décembre 2009, Marie-France Bazzo proposait comme discussion : « Pourquoi les féministes se sont-elles approprié le massacre de Polytechnique? » J’en étais malade. Je n’ai pas résisté : je lui ai écrit une longue lettre. Le débat sur le voile islamique a déferlé sur le Québec. Comment ne réalisait-on pas que la laïcité n’était nullement une garantie de l’égalité des femmes? Depuis quand « l’égalité entre les hommes et les femmes était-elle devenue une valeur fondamentale de la société québécoise »? Un demi-siècle max.
J’écris ces lignes au moment de l’« affaire Ghomeshi ». Les femmes journalistes sont fébriles.
« Mais ce n’est pas ça l’égalité! » s’exclame Anne-Marie Dussault. L’égalité, l’égalité! Tout le monde (même moi) n’a que ce mot à la bouche. Et pourtant, la philosophe Françoise Collin explique depuis longtemps que « l’égalité est un principe d’assimilation et non pas un principe de transformation sociale. Elle ne recouvre pas seulement des inégalités de fait, mais favorise la constitution d’un modèle unique ou du moins exemplaire d’humanité, extensible et exportable. Historiquement, celui de l’homme blanc, occidental sinon européen, concept clef des temps modernes qui en justifie l’ethnocentrisme et le phallocentrisme. C’est par rapport à ce modèle qu’on peut être égal (ou inégal)[viii]». Le paradigme de l’égalité vient de haut. L’ONU[ix] a lancé la campagne « He for She », avec comme porte-parole Emma Watson, l’héroïne de Harry Potter, qui a fait un plaidoyer vibrant pour inviter les hommes à endosser le combat pour l’égalité. Son discours a été tweeté 6 000 785 fois! Elle a reçu un « standing ovation » dans l’enceinte de l’ONU. Marie-France Bazzo (encore elle![x]) discute de l’entreprise[xi]. Sur le plateau, Martine Delvaux fait remarquer que cela fait longtemps que cette invitation a été lancée par les féministes. Pascale Navarro suggère que ça peut être une stratégie utile, mais qu’il y a tellement d’autres combats à mener. Paul Saint-Pierre Plamondon confesse sa réticence à se dire féministe : il se croit plutôt « égalitariste ». Il confesse que le sexisme est accepté « entre gars ». Isabelle Maréchal, qui se trouve là, fait une sortie passionnée… contre la Fédération des femmes du Québec. Elle ne peut plus les voir! Et moi, dans mon salon, je me désespère…
Cela fait plus de 150 ans que les féministes veulent changer le monde; cela fait plus de 40 ans qu’elles veulent renverser le patriarcat. Or, le combat pour l’égalité passe complètement à côté du patriarcat. Quand les féministes tentent d’y référer, ça dérange. On aimerait qu’elles se taisent. Mais comme le dit si bien Christine Delphy, « la révolte des dominés prend rarement la forme qui plairait aux dominants ».
[i] « Comment je suis devenue féministe », dans Feminist Journeys, Voies féministes, Ottawa, Feminist History Society/Société d’histoire féministe, 2009, p. 123-127.
[ii] Commande venue du service de la recherche dirigée par Monique Bégin, secrétaire générale de la commission.
[iii] «Doing Feminist Studies without knowing it», dans Minds of our own. Inventing Feminist scolarship and Women’s Studies in Canada and Québec, 1966-1976, (W. Robbins, M. Luxton, M. Eichler and F. Descarries, eds.) Waterloo, Wilfrid Laurier University Press, 2008, p.106-113. La version française de ce texte a paru dans LABRYS, études féministes/estudos feministas, juillet-décembre 2007 « Un savoir à nous… des pionnières des études féministes au Québec retracent leur expérience » : « Faire des études féministes sans le savoir. » (C’est une revue virtuelle brésilienne.)
[iv] Une série de dix émissions pour expliquer le Québec nouveau au ROC en 1973 : Adieu Alouette.
[v] University of Illinois Press, 1976. Voir mon livre Découvrir la mémoire des femmes, pour la suite de cette aventure intellectuelle : 13 pages de références!!!
[vi] Micheline Dumont, « L’histoire à la barre », dans Recherches féministes, vol. 4 no 2, 1991, p. 131-138.
[vii] Conférence aux HEC en octobre 1999.
[viii] Françoise Collin, « La condition natale », dans Égalité et différence des sexes, Cahiers de l’ACFAS, no 44,
p. 37. Ce texte devenu introuvable a été repris par Marie-Blanche Tahon dans L’anthologie québécoise de Françoise Collin, parue au Remue-ménage au printemps 2014, p. 47-67.
[ix] On devrait se méfier de ce qui vient de l’ONU. Annick Druelle nous a bien averties dans Recherches féministes, vol. 17 no 2, 2004, p. 115-170. « Célébrer 30 ans après l’année internationale de la femme : une crise au sein des mouvements internationaux de femmes. »
[x] Décidément Micheline, tu ferais bien de ne plus regarder son émission!
[xi] Le 23 octobre 2014.