Le confinement en résidence étudiante, témoignage
Propos recueillis par LAURENCE SIMARD au printemps 2020
Illustration: Virginie Larivière
Quelques semaines après le début du confinement, j’ai rencontré A, étudiante à la maîtrise, qui habite, travaille et étudie sur le campus de l’Université Laval depuis près de cinq ans. L’entrevue a été éditée dans un souci de concision.
L : As-tu un permis d’études qui te donne un permis de travail ici? Comment ça fonctionne?
A : Les étudiants étrangers qui ont un permis d’études peuvent travailler 20h à l’extérieur du campus et un nombre d’heures illimitées sur le campus. Comme je travaille sur le campus, je peux travailler à temps plein pendant mes études.
L : Avant la COVID, comment ça se passait? C’était beaucoup d’heures de travail, j’imagine?
A : Honnêtement, oui. Surtout que, dans ma cohorte, je suis une des seules à travailler. Y’a une autre jeune fille qui travaille, c’est vrai. Mais je suis débordée par le travail, parce que je cumule deux emplois sur le campus. Je finance mes études, je finance tout, en fait, donc je n’ai pas le choix de travailler beaucoup. Avant qu’il y ait cette histoire de COVID, j’étais déjà dépassée, je m’excusais sans cesse à mes profs parce que je trouvais que je faisais juste le minimum, je me sentais en dessous du niveau de la cohorte. J’étais un peu triste, j’ai rencontré mes profs pour leur expliquer. C’est sûr que par rapport aux autres j’ai beaucoup moins de temps, alors ça se ressent un peu que je n’étudie pas autant qu’eux. Mais sinon, outre ça, en résidence, j’étais très bien. Je n’avais pas de problème particulier, j’ai quand même un bon réseau depuis que je suis ici.
L : Est-ce que tu penses qu’il y a beaucoup d’étudiantes et d’étudiants comme toi, qui vont habiter en résidence et travailler ailleurs sur le campus?
A : La majorité des personnes que je connais en résidence ont toutes un emploi. Ça relève de l’exception, une personne qui n’a pas d’emploi.
L : Est-ce qu’en résidence il y a beaucoup d’étudiantes et d’étudiants étrangers ?
A : La majorité ce sont des étudiants étrangers, internationaux. C’est sûr qu’à l’échelle du campus on est une minorité, mais dans les résidences, la minorité ce sont les Québécois. La plupart des étudiants internationaux en résidence viennent d’Afrique, d’Asie, d’Iran, ou parfois même d’Amérique du Sud.
L : Et ça ressemble à quoi, l’ambiance dans la résidence ?
A : Avant la COVID, les résidences, c’était un espace communautaire, et beaucoup de personnes se regroupaient en fonction des ethnies, ou parfois même de la religion. Il y avait parfois des tensions entre les groupes. Par exemple, certaines personnes musulmanes font leurs ablutions dans le lavabo de la salle de bain. En réaction, certaines personnes du Québec, ou même de France, vont se plaindre en disant « mais c’est dégueulasse, pourquoi ils font ça dans le lavabo des salles de bain ». Il y a aussi le fait que ceux qui viennent d’Afrique sub-Saharienne cuisinent avec beaucoup d’huiles. Alors ça fait du bruit, des petites explosions, il y a des épices et tout, et il y a des personnes qui ne veulent pas trop être proches d’eux parce que ça sent trop fort, ou que c’est trop chaud.
Et il y a toujours le fait que quand on vit en communauté, on n’a pas tous les mêmes rythmes, ni les mêmes habitudes. Par exemple, il y a des groupes qui sont un peu plus disciplinés que d’autres… et ce n’est pas relié à une ethnie, c’est juste des habitudes qu’on a apprises chez nous. Par exemple, il y a des gens qui prennent leur douche avec de la musique très forte, et d’autres personnes vont s’en plaindre.
Mais il y a aussi des activités, par exemple des cuisines collectives, où tout le monde se rassemble, s’aide. Les Africains sont des personnes très généreuses, pour eux c’est normal de partager ce qu’ils ont. Et ça, ça rapproche les personnes. Il y a des Québécois qui vont en résidence parce qu’ils recherchent ça, le brassage des ethnies, ils veulent apprendre à connaître sur d’autres milieux. Des fois quand les parents viennent visiter avec leurs enfants, ils nous disent « c’est impressionnant, c’est beau, vous avez toutes les cultures, ça sent les épices dans la cuisine… » Ils sont toujours impressionnés, parce que les résidences c’est vraiment un genre de microcosme de ce qui se passe sur la planète.
L : Qu’est-ce qui s’est passé quand y’a eu l’éclosion de COVID?
A : Au début de la COVID, les résidents ont commencé à se parler entre eux, y’a des gens qui faisaient des groupes Facebook pour dire « ah, j’ai entendu mon voisin, il se mettait à tousser…». On recevait plein de courriels de gens qui dénonçaient d’autres personnes… Des savons ont été mis sur les étages, puis du désinfectant, installé un peu partout. Le nombre de personnes qui nettoient a augmenté, on a reçu des courriels pour dire de respecter les consignes, de bien se laver les mains, etc. Et là on a commencé à entendre parler des autres campus qui commençaient à fermer.
Entre résidents on se posait des questions, on se disait « Hey, vous pensez que ça va fermer, est-ce que ça va fermer? » Et puis, un jour, j’étais là, dans mon lit, et je reçois un appel de mon boss qui me dit qu’on va recevoir un courriel de l’université pour dire qu’on demande aux résidents de partir. Là j’ai commencé à paniquer, j’ai commencé à pleurer devant lui, il m’a rassurée… Il m’a dit que l’université allait trouver une solution pour tout le monde, que ça allait aller, que personne ne serait mis à la rue. Mais sur le coup ça a été un vrai choc pour moi.
Là, on a tous commencé à s’appeler, à paniquer entre nous, et… c’était l’apocalypse, tout le monde est allé au comptoir pour leur dire « vous nous mettez dehors! Vous nous mettez dehors! » Après il y a eu une vague massive de départs. Et avec mes ami.e.s on a commencé à se poser des questions.
Moi j’ai un groupe de cinq ami.e.s. Il y en a une qui est partie parce qu’elle a de la famille à Montréal, il y en a une autre qui veut partir, les deux autres veulent rester, et moi je ne sais pas ce que je veux faire. Et on a commencé à regarder pour des colocations, j’ai commencé à appeler des propriétaires. Mais la plupart disaient « non, le bail commence le premier juillet, j’ai des occupants, je ne peux pas leur demander de partir. » Alors j’ai commencé à faire des cartons, et j’ai vraiment stressé, j’ai angoissé aussi par rapport à mon emploi. J’en ai perdu un des deux, et pour l’autre, on a diminué radicalement mes heures de travail. La semaine prochaine j’aurai seulement 5 heures, alors qu’en temps normal j’ai environ 30 heures par semaine.
Et puis ils ont fermé les salles d’étude ; dans la cuisine ils ont laissé les plaques de cuisson, mais on ne peut plus s’asseoir pour manger, ils ont enlevé les chaises. Ils ont fermé les salons… En gros tout est fait pour qu’on ne sorte pas de notre chambre. Et même si on sort de notre chambre, il y a des équipes de sécurité qui s’assurent qu’on respecte une distance de sécurité et qu’il n’y ait pas de rassemblements, même entre deux-trois personnes.
Moi, je ne sors jamais de ma chambre. Même pour cuisiner j’essaie d’acheter des conserves, et je mange du thon, du riz que je peux faire cuire au micro-ondes… J’évite de descendre parce que généralement il y a encore du monde dans la cuisine, des gens ne respectent pas la distanciation, et moi ça me frustre quand je vois ça. Ça me fait mal au cœur. Et en même temps, je n’aime pas trop cette ambiance où les gens se surveillent. Tu ne sais pas ce que les gens peuvent dire sur les autres, avec la sécurité qui tourne… ce n’est pas sain comme ambiance. Donc je préfère éviter et rester au maximum dans ma chambre. Parfois je commande, parfois je ne mange pas. Il y a des fois où je me couche tôt pour ne pas manger. Ça arrive que je descende dans la cuisine, comme hier je suis descendue à 2 heures du matin. Je voulais vraiment éviter de croiser le maximum de personnes, mais il y avait quand même des gens.
L : Et quand tu dis que tu ne manges pas, c’est par manque de revenu ou parce que tu n’as pas faim?
A : Pour l’instant ça va, mais j’anticipe. Je n’ai pas payé mon loyer ce mois-ci, et j’anticipe les effets de la diminution des heures. Cinq heures par semaine je ne vais pas pouvoir survivre. Surtout que l’été, pour nous les étudiants internationaux, c’est la période la plus importante parce qu’on peut travailler un nombre d’heure illimité. L’été passé je travaillais 70 heures par semaine, j’avais trois jobs. Là je vais me retrouver avec juste 5 heures, encore s’ils m’accordent les 5 heures, et c’est épouvantable, c’est un casse-tête. Parce que l’argent que je fais durant l’été c’est ce qui me permet de survivre durant l’année. Et encore je suis chanceuse que la job qui me reste soit considérée comme un service essentiel, sinon je serais comme mes camarades qui sont désespérés, qui n’ont plus de revenu depuis deux semaines.
L : Est-ce que vous êtes éligibles à la PCU?
A : J’ai cru comprendre qu’on est admissibles, mais pour ça il faut ne plus avoir travaillé depuis deux semaines, il faut avoir gagné 5000$ minimum… Mais sinon, oui on a droit.
L : Et est-ce que tes cours ont recommencé en ligne?
A : Ça c’est un autre gros morceau du problème, c’est d’ailleurs mon plus gros problème en ce moment… Continuer les cours dans une période de pandémie, personnellement je n’y arrive pas. D’ailleurs je suis dans une merde innommable par rapport à mes travaux, parce que mes cours continuent. Il y a un professeur qui n’a pas accepté de mettre le contenu en ligne, mais qui a dit « Finalement, pour remplacer le test que vous deviez faire en classe, rendez-moi le résumé d’un livre. » Le livre imposé se trouvait à la bibliothèque, et moi je lui ai dit « On ne peut pas y accéder », et il a dit « Bon ok, trouvez quelque chose en ligne ».
Donc bref, le premier avril j’étais censée rendre un travail que je n’ai pas rendu, et le problème c’est que les autres l’ont rendu, je ne sais pas comment ils font… Mais je me sens vraiment à part par rapport à ma cohorte, je suis la seule étrangère, je suis la seule qui travaille, donc je me sens en décalage complet.
Mais sinon on doit continuer à rendre nos travaux, on en a beaucoup beaucoup, et j’ai accumulé un retard énorme. J’ai parlé avec tous mes professeurs en leur expliquant que je n’arrive pas. Je suis dans mon lit, j’arrive pas à me mettre sur mon ordinateur et à me concentrer comme si de rien était, alors que j’angoisse… J’angoisse à mort pour mes parents, parce qu’au pays ça commence à devenir très problématique ce qui se passe, et mes parents sont seuls et sont âgés, ils sont très à risques, ils ont des problèmes respiratoires… et ma mère à chaque fois que je lui parle elle me dit « j’ai eu une très belle vie, j’ai eu la chance d’avoir des enfants, je sais que si j’ai ce virus… » et moi dans ma tête je me dis « non non non non non arrête de me dire ça… » Et je regarde les nouvelles et ça m’angoisse encore plus, et après je parle avec des gens, on angoisse tous ensemble, et je n’arrive pas à être productive.
Et je ne sais pas comment les gens y arrivent, je les admire, c’est fantastique, mais moi je suis là avec mes profs et je leur dis « mais je ne peux pas ». Hier j’ai parlé avec un de mes profs qui m’a proposé un délai supplémentaire. Ça m’aide, mais je ne veux pas exagérer non plus parce que si tout le monde rend ses travaux à temps sauf moi, ce n’est pas logique par rapport à la réussite du cours…
J’ai signé une pétition qui a été mise en ligne il n’y a pas longtemps : on a envoyé une lettre à Monsieur Roberge en lui demandant pourquoi tout le monde s’arrête et pas l’université… À l’UQAR ils ont décidé de suspendre la session, ou à la rigueur laisser le choix aux étudiants, est-ce qu’ils veulent continuer ou non, mais… Bon déjà la notation qui va être modifié c’est déjà bien, c’est fantastique même, mais… moi je ne suis pas la seule, j’ai plein de mes ami.e.s qui disent « je ne peux pas, je n’y arrive pas, j’ai essayé… ce n’est pas possible. » Il ne faut pas sous-estimer l’ampleur de ce qui se passe. Dans mon esprit j’ai l’impression qu’on est coincés pour au moins un an. Minimum jusqu’en décembre le confinement. J’étais censée partir en échange en Europe en septembre, et on a reçu un courriel du bureau international qui nous dit « on garde le cap, les échanges sont maintenus », et je me dis « est-ce que vous êtes sérieux? »
La situation change tous mes plans, absolument tous mes plans. L’échange c’est la raison pour laquelle j’étais venue faire cette maîtrise, et j’avais un stage aussi prévu pour la fin de cet été, et je ne sais pas si on va pouvoir le faire. Je suis bouleversée dans tout ce que j’avais prévu, tous mes amis sont en train de partir des résidences… On se retrouve tout seul dans ces grands pavillons, et… Ils sont tous avec leurs familles, et tant mieux pour eux, mais nous on est là, on est seuls, on est isolés…
L : Et comment tu parles avec tes ami.e.s?
A : Avec quatre amies, on a fait un genre de serment: tous les jours, au moins une fois par jour on se parle. C’est un moment où on doit être là les unes pour les autres. Et quand on va faire des courses on demande toujours aux autres si elles ont besoin de quelque chose. Et on essaye de s’appeler au moins une fois par jour, le soir, pour se changer les idées, pas parler de la situation, essayer de changer de sujet, parler d’autre chose, et faire comme avant, comme quand on pouvait se voir et que tout allait bien. Donc ça aide beaucoup, ça aide vraiment beaucoup. C’est des périodes où les personnes qui se sentent isolées vont se sentir encore plus isolées. On a une responsabilité vis-à-vis des autres.
L : Qu’est-ce que tu souhaiterais pour l’avenir proche?
A : J’aimerais enlever au moins un poids de mes épaules, les examens et les travaux. En temps normal c’est déjà un stress énorme, mais en ce moment, on a accès à beaucoup moins de ressources, on ne peut pas aller à la bibliothèque, on ne peut pas aller dans des salles d’étude, on n’a pas de cadre propice à l’étude, c’est difficile. Dans ma chambre, il y a trop de distractions, et en ce moment c’est plein de cartons parce que je ne sais pas quand je vais devoir partir. C’est un endroit où je dors, un endroit où je mange, un endroit où je joue, où je regarde des films… Mon esprit est un peu compartimenté, je n’arrive pas à étudier ici. Donc si seulement il pouvait y avoir de la souplesse, si au moins on nous laissait le choix de nous concentrer sur nous.
Et aussi, j’aimerais qu’on nous donne plus de réponses. Est-ce qu’on peut vraiment rester en résidence? Est-ce qu’il y a un risque que les résidences ferment même si on nous laisse rester? Est-ce que si les résidences ferment on nous demandera à tous de partir? On a des communications générales de l’université, mais j’aurais voulu que ce soit un peu plus personnalisé pour certaines catégories d’étudiants.
Le confinement, on n’y peut rien, on est obligé de le vivre, c’est comme ça. Mais en fait, je pense que c’est le poids de l’incertitude qui est lourd. On ne sait pas combien de temps ça va durer.
Après des semaines d’incertitude, les étudiant.es ont pu demeurer dans les résidences pour le printemps et l’été 2020. Cet épisode traumatique n’a pas moins eu des conséquences importantes sur le plan de la santé physique et mentale et sur les situations financières et académiques des étudiant.es étranger.ère.s en résidence. En septembre, on apprenait d’ailleurs qu’une grande partie des étudiant.es internationaux de l’Université Laval verront leurs frais de scolarité augmenter significativement à partir de l’automne 2021.