Compte-rendu critique du documentaire Maman? non merci!

CapturemamanMéi-Ra St-Laurent

 

 

Avant j’avais des principes, maintenant j’ai des enfants.

(citation lue à plusieurs endroits sur le web)

 

« Et toi, dis-moi, pourquoi as-tu des enfants? » Voici le genre de réponse que toutes non-mères dans la trentaine souhaiteraient répliquer à l’éternelle question : « Pourquoi n’as-tu pas d’enfant? ». Il semble toutefois que cette réponse ne soit pas considérée comme recevable, comme si rien n’était plus naturel que de vouloir se reproduire… et rien de plus contre nature que de ne pas vouloir s’y soumettre de plein gré. Pourtant, ceux qui font le choix de ne pas avoir d’enfant ne le font pas forcément parce qu’ils sont contraints par la vie : ils pèsent les pour et les contres et décident, sciemment, que cette vie de famille n’est pas pour eux. C’est sur ce thème, encore fortement contesté, que la jeune cinéaste et blogueuse Magenta Baribeau a réalisé son plus récent documentaire intitulé, Maman? Non merci! (2015).

À Québec, la première ciné-rencontre organisée autour de ce documentaire fort attendu s’est déroulée dans une salle bondée le 28 janvier 2016 au cinéma Cartier[1]. La cinéaste a d’abord pris la parole pour nous présenter « son bébé », soit le fruit de 7 ans de travail acharné et réalisé sans financement. Le documentaire est centré autour d’une dizaine de femmes et d’hommes âgés de 35 à 77 ans, de diverses classes sociales et en provenance de la France, de la Belgique et du Québec. C’est à travers leurs différents témoignages que les intervenants portent un regard critique sur cette société obnubilée par la procréation. Ils expliquent aussi les raisons qui motivent leur absence de désir d’avoir des enfants, le jugement qu’ils subissent par leurs proches, par la société, tout en abordant le mythe de la famille heureuse. La participation très pertinente de Lucie Joubert (professeure de critique littéraire à l’Université d’Ottawa et auteure de l’ouvrage L’envers du landau : regard extérieur sur la maternité et ses débordements, 2010) et d’Isabelle Tilman (psychothérapeute familiale et auteure de l’ouvrage Épanouie avec ou sans enfant, 2008) permet aussi d’apporter des mises en contexte historique et social entourant cette problématique.

 

Le jugement d’une société pronataliste

À travers son documentaire, Baribeau fait avant tout émerger la pression sociale qui pèse constamment sur les non-parents. Ainsi, comme l’avance Joubert, l’éducation que l’on reçoit dès le plus jeune âge présente la vie de famille comme étant l’expression parfaite du bonheur. Cette valorisation vient de notre entourage, mais aussi des médias qui s’adressent presque uniquement aux familles. Il ne suffit que de regarder les publicités à la télévision, dans les journaux ou sur Internet pour réaliser que les produits de consommation sont d’abord destinés aux familles, en excluant souvent les non-parents. D’autres exemples flagrants de ce discours médiatique se retrouvent dans les magazines à potins (où on s’extasie devant le poupon de telle personnalité), ainsi que dans les séries télé ou les films. Comme le souligne si justement Joubert, n’avez-vous jamais remarqué que les personnages principaux de ces séries ont tous un ou des enfants et que s’ils n’en ont pas, ils en veulent coûte que coûte? Encore ici, les non-parents sont laissés pour compte, puisqu’ils n’ont aucun modèle (réel ou imaginaire) auquel s’identifier.

Joubert, appuyée par différents intervenants, poursuit en expliquant que la pression pour entrer dans la moule de la conformité familiale provient aussi de l’État : en offrant des montants d’argent supplémentaires aux familles, le gouvernement s’assure d’avoir une nouvelle génération de contribuables. Le meilleur exemple, selon Joubert, demeure les politiques familiales du gouvernement Harper, qui ont fait pression de manière indirecte sur les femmes en valorisant le départ du marché du travail pour un retour au foyer lors de l’arrivée de bébé. Cette situation, ajoute-t-elle, demeure préoccupante dans la mesure où la femme ne se valorisera que dans le rôle de mère, qui sera considéré comme la seule alternative valable pour son bonheur et celui de sa famille. Ce type de pression pronataliste a non seulement pour conséquence d’isoler les non-parents (qui ne se sentent interpellés d’aucune manière par ce discours social), mais aussi de les dévaloriser en leur faisant savoir qu’ils n’ont pas la même importance que les familles au sein de la société. Joubert renchérit en expliquant que ce point de vue est loin d’être exagéré. En effet, qui n’a pas entendu dire en apprenant le décès soudain de quelqu’un : « Au moins, elle/il n’avait pas d’enfants… » Alors, suivant cette logique, la mort d’un non-parent serait moins dramatique. Ces propos de Joubert font réfléchir.

 

La pression des proches

Baribeau met aussi en lumière les conséquences qu’a eu le mouvement féministe des années 1970-1980 sur cet enjeu. En effet, plusieurs non-parents ont eu l’impression que la maternité était enfin devenue un choix de vie valable. Toutefois, force est d’admettre que la pression sociale est toujours présente et c’est ce que l’ensemble des intervenants du documentaire parvient à démontrer. Les nombreux commentaires et critiques auxquels ces derniers se sont heurtés reflètent tous ce même inconfort envers ce qui est différent et anormal. Or, chacun des intervenants parvient à « répondre » de manière posée et réfléchie aux nombreux commentaires, souvent blessants, qui leur ont été adressés. En effet, le choix de ne pas avoir d’enfant, expliquent-ils, est souvent une des décisions les plus importantes de leur vie et demeure le fruit d’une réflexion approfondie. Ce n’est donc pas quelque chose « qui va finir par passer », comme ils se le font répondre fréquemment. Les femmes sont particulièrement la cible de remarques très acerbes. Par exemple, leurs proches iront jusqu’à leur dire qu’elles ne seront jamais « de vraies femmes » si elles ne sont pas mères. En plus d’être particulièrement blessante, cette remarque renvoie une fois de plus à la vision de la femme comme ayant un rôle exclusif de mère, et évacue tous les autres aspects qui définissent aussi la féminité.

 

Les non-parents sont aussi accusés d’être égoïstes en refusant de faire entrer un enfant dans leur vie. Toutefois, les intervenants du documentaire rétorquent d’emblée que le besoin de faire des enfants sert habituellement à satisfaire des pulsions individuelles, donc peut aussi être compris comme un geste égoïste. Toutefois, cela ne signifie pas que les non-parents refusent toute interaction avec les enfants ou qu’ils les détestent. Au contraire, cela signifie qu’ils planifient les moments qu’ils souhaitent dédier aux enfants et ceux qu’ils consacrent à d’autres activités. Quant à l’argument concernant l’absence de descendance, les intervenants du film répondent unanimement qu’ils ne ressentent pas « le besoin d’éternité » dans la descendance et qu’ils peuvent très bien léguer quelque chose d’appréciable (des connaissances, des œuvres d’art, etc.) aux générations futures sans procréer pour autant. La question de la solitude qui pourrait les assaillir en vieillissant est aussi un argument central exposé aux non-parents. Ainsi, ces derniers expliquent qu’avoir des enfants n’est pas un gage de vieux jours heureux. En effet, les enfants grandissent, ont un emploi du temps très chargé et ont à leur tour une famille. Ils n’ont donc plus autant de temps pour aller visiter leurs propres parents qui ressentent souvent un sentiment de solitude. Par contre, comme l’explique bien une intervenante âgée de 77 ans et n’ayant pas eu d’enfant, puisque les non-parents vieillissants n’ont jamais orienté leur vie autour de la famille, ils ne souffrent pas de cette situation. Ils organisent leur réseau social de manière différente et vivent très heureux de cette façon. Malgré tout, Joubert et Tilman expliquent que lorsque les non-parents expriment leur souhait de ne pas avoir d’enfant, ils n’obtiennent peu ou pas de compréhension de leur entourage, comme si revendiquer une vie sans enfant revenait à agresser la maternité/paternité de ceux ayant fait ce choix.

 

Le mythe de la famille épanouie

Se faisant dire sans arrêt qu’elles se priveront d’une étape formidable de leur vie, les femmes exprimant le désir de ne pas procréer en viennent à se remettre en question. Vont-elles passer à côté de LA chose la plus importante de leur vie? Ainsi, comme Tilman l’indique, même si la maternité et la vie de famille sont souvent présentées comme la seule manière d’être heureuse et épanouie, il importe de se rappeler que l’arrivée d’un enfant comporte aussi son lot de bouleversements tant pour la future mère que pour le couple. En outre, comme une intervenante (elle-même mère) l’explique, être enceinte n’est pas l’expérience épanouissante qui nous est présentée; le corps subit d’importants dérèglements hormonaux et devient alors l’hôte d’une vie qui mobilise toutes les ressources pour se développer, laissant la femme impuissante et complètement exténuée devant ces changements. Par ailleurs, elle poursuit en expliquant les nombreuses concessions que le couple doit faire à l’arrivée de bébé, au point de s’oublier. En effet, l’enfant a besoin de soins, et ce, nonobstant l’horaire ou la volonté des parents. Ces derniers doivent donc souvent mettre leur propre vie entre parenthèses afin d’élever leur enfant. Ne regrettant pas son choix d’avoir eu un enfant, cette mère n’en demeure pas moins amère quant aux bienfaits promis de la vie familiale qui est souvent trop remplie pour être épanouissante.

 

Un non-désir assumé

Enfin, à travers les témoignages du documentaire, Baribeau nous partage aussi le grand désir de liberté ressenti par les non-parents. Ainsi, en vieillissant, ces femmes et ces hommes réalisent non seulement qu’ils ne ressentent pas le besoin d’avoir des enfants, mais qu’ils n’en sont pas obligés. En outre, cela leur donne beaucoup d’occasions leur permettant de se consacrer pleinement à ce qu’ils aspirent vraiment : le travail, la création artistique, le sport ou les voyages. Par ailleurs, certaines distinctions très pertinentes sont aussi données à propos de l’appellation « non-parent ». En effet, comme l’expliquent les intervenants, ce terme fait référence à trois catégories : les childfree (le couple qui n’a pas envie d’avoir d’enfant pour des raisons personnelles), les dénatalistes (ceux qui se basent sur des raisons majoritairement écologiques pour justifier leur non-désir d’enfants) et les antinatalistes (ceux qui ne veulent pas donner la vie, puisqu’elle ne vaut pas la peine d’être vécue)[2]. Malgré que ce choix de vie demeure toujours un phénomène non conformiste, il gagne toutefois en popularité. Ainsi pour faire contrepoids aux nombreuses fêtes familiales qui ne s’adressent pas à tous (fête des Mères, fête des Pères), une Fête des non-parents a eu lieu à Bruxelles, à Paris (entre 2009 et 2011) et à Montréal (le 6 juin 2015). Ces rassemblements sans prétention permettent aux non-parents de se retrouver dans un cadre où ils ne sont pas jugés et où ils peuvent célébrer ensemble leur choix de vie.

 

En somme, ce documentaire permet de faire un tour de table approfondi sur ce sujet encore tabou avec une bonne dose d’autodérision et d’humour. La diversité des interventions et des points de vue partagés confère aussi une grande qualité à ce discours toujours marginal. La séance de questions qui a suivi cette ciné-rencontre a aussi permis de mieux comprendre certains choix de Baribeau quant à sa manière de traiter le sujet. Par exemple, malgré le fait que la cinéaste ait cherché des intervenants en provenance de différentes cultures et ethnies, aucun n’a répondu à l’appel. Est-ce par désintérêt ou peur d’être jugés par leur communauté? Difficile à dire. Toutefois, il aurait été très pertinent de voir de quelle manière la société fait pression sur les femmes en provenance de différentes cultures. De plus, les couples présentés sont tous hétérosexuels et le point de vue de la communauté LGBT n’est pas exploré. Or, comme l’a expliqué Baribeau, le désir d’enfants chez les couples homosexuels aurait été suffisamment vaste pour faire un autre documentaire. Pour conclure,Maman? Non merci! s’adresse à tout adulte averti; que vous ayez des enfants ou non, que vous en vouliez ou non, ou que vous soyez toujours en questionnement, ce documentaire changera à coup sûr votre perception des non-parents.

 

Références

Joubert, Lucie. 2010. L’envers du landau : regard extérieur sur la maternité et ses débordements. Montréal, Triptyque.

Tilman, Isabelle. 2008. Épanouie avec ou sans enfant. Paris, Éditions Anne Carrière.

 

[1] Le documentaire a été projeté du 28 janvier au 3 février 2016 au Cinéma Cartier à Québec. Pour savoir quand et où le film sera présenté, veuillez consulté la page Facebook du film. le lien suivant : https://www.facebook.com/mamannonmercilefilm/?pnref=story

[2] De l’autre côté du spectre, on retrouve les childless, soit ceux qui auraient voulu un enfant, mais dont le projet ne s’est jamais concrétisé.