Chloé Savoie-Bernard

Au travers de ses cheveux

 

nous habitons dans le scalp de ta dernière ex
je brasse la soupe avec ses cheveux raidis de larmes
tu l’aimes toujours alors je l’aime aussi

les clefs de toutes les pièces ont été avalées
les portes s’ouvrent d’elles-mêmes
pourtant je ne sors plus dehors

tu cherches sa peau blanche
dans celle des filles de youporn
ses décalcomanies ouvrent grand leurs jambes
elles sont vastes et nous entrons en elles

des ombres crient oh crient ah ah ah
pareilles les unes aux autres et s’embrassent entre elles
sortent de l’écran pour s’asseoir sur les étagères
côte à côte s’alignent puis s’emmêlent

sortie de la farandole je les époussète
me borde de leur peau le soir
et durant le jour me promène dans le musée intime
de tes amours jamais mortes

lorsque les tapisseries s’animent pour me parler de toi
les organes des femmes claquent au vent
raidie d’arthrite statue de sel
castagnettes mes genoux déchirent
mais ce n’est pas grave
tu aimes la musique

 

 

Ça glisse bien

 

je l’ai mis pour dormir
le coton usé de tes dessous
partie avec aller voir ces filles
que tu fourres et les fourrerai aussi
les ferai mieux jouir que toi

 

deux doigts de distance entre toi et moi
trois dans leur sexe et un peu d’huile de coco
pour faire passer la pilule

 

dans la fourche de tes sous-vêtements
ma mouille se mélangera à celles des autres
je lirai l’avenir dedans
et comme dans le marc du café
la vérité se dégagera
cyprine cyprine qui m’aime me suive

 

 

 

Dans l’after du Salon du livre

 

un critique me dit que je suis cute
mais que bien qu’il aurait voulu l’aimer
mon premier recueil constitue un ratage

 

c’est un compliment sans doute non
rater demande de beaucoup trébucher
tomber immobilise le corps donne le temps
aux défaites de s’agglomérer dans les veines

 

à quiconque le veut j’ouvre les bras
mirez mes jugulaires mirez
creusez mon sang creusez
voyez mes échecs qui carburent au vide
avec grâce et vélocité

 

en regardant les seins de mon amie un poète
lui dit tu as sorti tes boules ce soir
par ricochet bondissant sur l’écho de lui-même
s’enorgueillissant chère voudrais-tu
publier mon prochain recueil

 

vrai je dis vrai retournez notre peau
dans le continuum des regards se perlent et se tannent
des demandes accrochées à nos mamelles
nous les balançons chaque fois
que nous tournons la tête
pour nous regarder dans le miroir

 

on dit que j’écris trop avec mon vadge
pas assez de travail sur le langage
trop narratif par chez vous
on dirait des chansons
Chloé Savoie-Bernard écrit avec une oralité
qui s’approche du slam
connais-tu Roland Giguère
as-tu lu Miron
Gauvreau Vanier Turcot
as-tu lu des livres ma belle petite
connais-tu ton alphabet miss
tu es de quelle origine
as-tu déjà été en Haïti
c’est qui ton chum déjà
ah oui c’est lui
c’est intéressant
je savais pas

 

je plie ma haine
des origamis de crachats
dans chaque vingt-quatre heures
de la délation à la petite semaine

 

avec le soyeux de la morve
je continuerai à vous serrer la main
mais sachez que mes dents sont croches
à chacun de mes sourires
quelque chose de l’ordre de l’univers
achoppe et crève


Chloé Savoie-Bernard a fait paraître Royaume scotch tape (poésie, L’Hexagone, 2015) et Des femmes savantes (nouvelles, Triptyque, 2016). Elle a participé à différentes lectures publiques, projets collectifs, blogues et revues. Elle travaille sur une thèse qui traite de la poésie québécoise féministe des années 60-80. Elle aime parler de la mort et de l’entretien des cheveux frisés.