Carole David

Cinq poèmes

 

ROMANCE

 

Si étrangement une odeur de friture mêlée
à l‘huile de bébé; les vacanciers emprisonnés
dans leurs chaises coquille, peu importe
leur condamnation ; jusqu’ici sa courte vie,

 

ce souhait d’avant le sommeil, elle replie ses ailes
sous un coton ouaté noir acheté sur le Pier
pour cacher ce qu’elle n’a pas
supplie un mormon, celui qui se jette

 

à la mer habillé, deviens mon mari, seul
cet homme l’imaginerait chauve-souris
elle lui demeurerait fidèle une nuit entière

 

 

 

 

 

LA FILLE DE JÉSUS

 

Son bébé, les mains attachées aux épaules,
bouche entreouverte, né d’un seul roman,
intrigues flottantes, papillons emprisonnés
dans des flacons de médicaments anti-nauséeux ;

 

la mère, ses bras de renard ornés de breloques
devant le chaos impénitent fume des cigarettes
fabriquées sur sa vieille Singer ; elle défait des robes,

 

ouvre des coquilles, attend l’arrivée du père,
babydoll avant les orages.

 

 

 

NE TE CACHE PAS DERRIÈRE LES BANCS DE NEIGE

 

 

Baby Love approche la mort à genoux, elle creuse
avec sa pelle l’entrée du tunnel, voyageuse opiniâtre,
elle atteint la voûte des cristaux complexes,
une fée qui ressemble à sa mère l’y conduit

 

ficelée dans ses vêtements ; tout se met à briller,
vanité, lustre en cristal, Adamo chante Tombe la neige.
Plus tôt en après-midi, elle a dessiné la tempête,
un premier tunnel mène au magasin de jouets,

 

ses allées éclairées, les yeux clignotants des robots
la guident à sa chambre rêvée, barbe à papa, lit baldaquin
pour un dernier repos; quelque chose de lourd pèse
sur son corps, un bras, une jambe; le ballet des déneigeuses

 

tarde à se mettre en branle, il fait chaud.
Comme elle fut courte, ta vie *

 

 

*Rilke, Requiem

 

 

 

 

L’ENLÈVEMENT DE SABINE

 

 

Ciel couvert, tribus d’hommes et de femmes
végétation luxuriante, ce que l’enfant découvre
le pousse au loin ; les poissons rouges du bassin
l’invitent à dialoguer, la petite monnaie scintille,

 

l’âme noire remonte à la surface donne-moi ta main
friandises, chasse au trésor dans le centre commercial
entre les comptoirs de cosmétiques ; qui aurait pu
savoir, parmi les enfants avec leur mère

 

une seule serait l’élue de son cœur.

 

 

 

LES ADIEUX DE MOÏRA

 

Le chirurgien lève les bras, expose les images du cerveau
devant la famille, les conduits bleus mesurent le passé,
structures nerveuses; une trentaine de filles, le visage rayé
de l’une d’elles, cette ombre, un uniforme, mains jointes

 

dans une langue perdue; des coupures de vingt, de cinquante,
de cent dollars flottent, on la voit minuscule coller les enveloppes
d’argent sous les tiroirs, son visage désarmé, déjà tête de morte,
une autre vocation la guette. Tournis échevelé, le vif de son désir

 

n’a pas réussi à apparaître. On ferme le sarcophage de laine,
on la pleure; elle lisse ses cheveux tout simplement étonnée
d’être absente.

 


Poète, romancière et nouvelliste, Carole David est née à Montréal dans le quartier Rosemont et détient un doctorat en études françaises. Elle a fait carrière dans l’enseignement collégial. Très engagée dans son milieu, elle a été présidente de la Commission du droit de prêt public (2004-2006), de la Maison de la poésie de Montréal (2006-2010) de même que du comité littérature au Conseil des arts de Montréal (2012-2015). Manuel de poétique à l’intention des jeunes filles (2010), a reçu le prix Alain-Grandbois et a été finaliste pour le prix du Gouverneur général. Son dernier recueil, L’année de ma disparition (2015), a remporté le Prix des libraires, le prix Québecor du Festival international de poésie de Trois-Rivières et a été finaliste au Grand prix de la ville de Montréal. Elle se consacre maintenant à l’écriture.