« Bienvenue aux dames » : Réflexion féministe sur le hockey cosom amateur mixte

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JULIE DUFORT

STÉPHANIE DUFRESNE

ANDRÉANNE MARTEL

STÉPHANIE MAYER

CAROL-ANNE VALLÉE

Illustratrice : Cyndie Belhumeur

 

 

Ça s’est passé dans le vestiaire. On attachait nos souliers, on mettait nos gants, on pliait notre palette. On savait que l’on était adversaires sur le terrain, mais on était aussi conscientes que quelque chose d’autre nous liait profondément : on faisait partie des rares femmes à jouer dans la ligue de cosom amicale de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). L’esprit de compétition s’est effrité et on s’est mises à partager nos expériences, à s’encourager et même, à jouer ensemble. Puis des questionnements ont émergé : pourquoi, comme femmes, sommes-nous toujours en sous nombre dans les ligues de cosom mixtes? Pourquoi les comportements, commentaires et blagues sexistes, telles que « T’es bonne pour une fille » ou encore, « Pis, comment a été ton match de ringuette hier », sont-ils si fréquents? Est-il possible de concevoir que la participation des femmes au hockey, ce sport de tradition masculine, permette de transformer les dynamiques marquant les rapports de genre dans cet espace et, potentiellement, les normes dominantes de féminité et de masculinité?

Notre premier réflexe comme hockeyeuses [1] a été de consulter les statistiques pour « admirer » l’écart entre les hommes et les femmes. Au plan professionnel, la pratique et la notoriété du hockey sont largement dominées par les hommes. Alors que le club des Canadiens de Montréal a un plafond salarial de 71,4 millions de dollars américains en 2015, les joueuses des Canadiennes de Montréal (anciennement les Stars) doivent encore payer leur « tape de hockey » (Breton-Lebreux, 2015). Comme elles ne sont pas rémunérées pour jouer au niveau professionnel, elles doivent non seulement avoir un emploi en parallèle, mais certaines ont déjà dû prendre des congés sans solde afin de participer à la finale de la Coupe Clarkson, le pendant féminin de la Coupe Stanley (Poulin, 2011) [2]. La disproportion est telle que le salaire annuel du joueur le moins bien rémunéré de la Ligue nationale de hockey (LNH) en 2013 (525 000 $) équivalait au budget annuel de l’ensemble de la ligue canadienne de hockey féminin (LCHF) (Baril, 2013 : 200). De façon générale, nous assistons à une invisibilité médiatique des sportives professionnelles. Par exemple, ESPN SportsCenter, la plus grande chaîne de télévision sportive aux États-Unis (qui rejoint plus de 94 millions de foyers américains), a dédié 2 % de son temps d’antenne aux sports pratiqués par les femmes en 2014 (Cooky et al., 2015). De plus, elles sont systématiquement moins bien rémunérées (au regard des salaires, de la publicité et des commanditaires) et les journalistes insistent souvent sur leur féminité et leurs tenues vestimentaires. Plus encore, le modèle de référence en ce qui a trait aux performances sportives reste masculin (le sport des femmes est jugé moins compétitif, moins agressif, moins rapide) et la lecture des résultats obtenus par les athlètes féminins reste souvent traversée par des stéréotypes de genre (la grâce, la finesse, la beauté).

Puisque tout n’est pas que statistiques, notre deuxième réflexe comme universitaires a été de consulter la littérature dans les champs des études féministes et de la sociologie du sport. Même si ce sujet de recherche est traditionnellement masculin et qu’il ne fait généralement pas partie des priorités dans les débats féministes (Laberge, 2004 : 1), plusieurs textes ont tout de même été écrits sur la construction des rapports sociaux de genre, sur la sexualisation des pratiques sportives [3] ainsi que sur l’expression de sexualités ou d’identités non traditionnelles dans le sport (Ravel, 2010). De plus, des travaux historiques sur la pratique sportive des femmes au Québec et au Canada ont été menés (Baril, 2013; Demers, 2013; Hall, 2002; Tillotson, 2000), dont certains s’intéressaient spécifiquement aux discours dominants (Église, État, médecin) favorables et réticents aux sports amateurs pratiqués par les femmes (Detellier, 2015; Gilbert, 2015). Jusqu’aux années 1960, « faire du sport » était une démarche majoritairement masculine puisqu’elle consistait à sortir de l’espace domestique pour pratiquer une activité physique avec, la plupart du temps, une finalité compétitive. À partir des années 1980, le nouveau « devoir » d’entretenir son corps à des fins esthétiques et de santé a encouragé de plus en plus de femmes (et d’hommes) à pratiquer des activités physiques et sportives (Louveau, 2004 : 41). Évidemment, certains sports comme le hockey (mais aussi les sports de combat, l’haltérophilie et le cyclisme) ont conservé leur culture masculine tandis que d’autres ont été considérés comme plus appropriés pour les femmes (le patinage artistique, la gymnastique et le tennis) (Courcy et al., 2006 : 29). Alors qu’une grande partie de la littérature en études féministes et en sociologie du sport aborde les pratiques au niveau professionnel, peu d’auteur.e.s se penchent sur les rapports de genre dans la pratique de sports amateurs, comme les loisirs dans les écoles secondaires (Alley et Hicks, 2005; Courcy et al., 2006).

Enfin, notre troisième réflexe comme féministes a été de répertorier les différents organismes impliqués dans la poursuite d’une plus grande égalité au sein de la pratique sportive et de l’activité physique des femmes. Au Québec, il faut noter la présence d’Égale Action fondée au tournant des années 2000 qui œuvre pour l’égalité et l’accessibilité dans le sport (amateur et professionnel) pour les femmes ainsi que son pendant canadien l’Association canadienne pour l’avancement des femmes, du sport et de l’activité physique mise sur pied en 1981. Enfin au niveau international, il importe de relever l’influence majeure de International Working Group on Women and Sport qui agit au sein des grandes associations sportives dans le monde.

À l’instar de ces différentes recherches et initiatives, nous souhaitions également contribuer à ces réflexions féministes sur le sport. Pour ce faire, nous prenons appui sur nos expériences vécues : se rendre semaine après semaine au gymnase pour jouer au hockey cosom au sein d’équipes et de ligues où nous sommes toujours en infériorité numérique. Nos récits sont donc situés et ne recouvrent pas toutes les situations et réalités vécues par les personnes pratiquant ce sport [4]. Nous nous identifions comme femmes, ayant majoritairement des pratiques hétérosexuelles, blanches, scolarisées, sportives et ne vivant pas avec une situation de handicap. Enfin, ce texte se penche sur les rapports de genre au hockey cosom et de manière plus globale, il offre une réflexion féministe sur la place des femmes dans le sport non professionnel. Notre objectif n’est pas de dresser le portrait des différentes ligues mixtes de cosom amateur, mais plutôt de raconter et de croiser nos expériences vécues dans ces ligues montréalaises : la ligue « uqamicale » de l’UQAM; CHOC : ligue de hockey cosom au Cégep du Vieux-Montréal; la ligue de hockey-balle Powerball ainsi que la ligue non mixte du Centre du Plateau. Ces ligues ont été pour une majorité d’entre nous le premier contact avec l’univers du hockey. Nous y avons appris à tirer de la pointe, à « crasher au net » et à (ne pas) « cross-checker ».

julie_dufortComme en témoignent nos « cartes » de joueuses, les raisons qui nous ont poussées à nous inscrire au hockey cosom mixte diffèrent. Pour certaines, la passion du hockey remonte au plus jeune âge tandis que pour d’autres, il s’agissait d’un objectif féministe que d’investir ce sport. Cela dit, nous sommes toutes arrivées au même constat : le milieu du hockey cosom mixte à Montréal est chargé de sexisme « ordinaire » [5] et, parfois, « extraordinaire ». Dire simplement – ce qui est déjà beaucoup – que les « dames sont les bienvenues » (comme dans les bars) est loin d’être suffisant pour renverser la culture dominante et rendre la pratique du hockey sans accrocs sexistes. Il nous semblait donc impératif de se regrouper pour réfléchir aux différentes formes de discrimination qui nuisent à la participation des femmes à ce sport, mais aussi aux changements potentiels qui peuvent favoriser la mixité, tant dans le but d’accroître le nombre de joueuses que d’améliorer l’ambiance générale de cette pratique sportive. Nous partons donc de l’idée selon laquelle la pratique sportive en mixité, c’est-à-dire entre femmes et hommes, peut entraîner des transformations sociales dans une perspective d’égalité des genres [6]. Ainsi, au même titre où l’on revendique une certaine forme de parité et d’égalité dans des espaces publics, comme en politique ou dans les médias, les ligues de cosom mixtes sont un lieu à investir pour tendre vers une société sans discrimination sur le plan du genre notamment. Nous considérons donc que le gymnase, le vestiaire et le bar, où se prennent les bières d’après-match, constituent des espaces de reproduction du sexisme « ordinaire », mais aussi de contestation de la tradition masculine du hockey.

Loin de supposer que nos vécus de hockeyeuses peuvent être généralisés à l’ensemble des ligues mixtes de cosom, nous souhaitons tout de même démontrer par ce texte que nos expériences témoignent de rapports de genre inégalitaires qui méritent d’être interrogés dans une perspective féministe. Cette réflexion est le résultat d’un consensus généré lors de nombreuses discussions entre nous portant sur l’interprétation de certains comportements, commentaires et règlements ainsi que sur les voies possibles de changements. Ce texte écrit à dix mains est divisé en quatre sections. Nous abordons successivement les problématiques reliées au langage et au corps pour tenter de dégager les spécificités des expériences genrées. Par la suite, nous questionnons les règles formelles et informelles du jeu ainsi que leur impact sur la mixité dans les ligues de hockey. Finalement, nous terminons en dédiant une « lettre à mon coéquipier » qui s’adresse à tout hockeyeur de ligue mixte qui veut connaître nos pistes de solution pour non seulement tendre vers l’égalité des genres, mais aussi agir en faveur de la transformation des dynamiques sexistes afin de négocier notre place dans l’univers du hockey cosom.

  1. Le langage : entre invisibilité et hypervisibilité

Le coup de sifflet marque le début de la première période. Son équipe est présentement en zone offensive et elle s’efforce d’offrir une option de passe à la pointe. La balle se dirige vers elle.

Alors que le joueur adverse est bien positionné pour intercepter la passe, il regarde la balle passer et dit à la hockeyeuse :

« Vas-y… Vas-y… »

Confuse, elle le regarde. Il poursuit :

« Vas-y lance! »

Déconcentrée par le comportement de son adversaire, elle se questionne. Pourquoi est-il en train de lui laisser le champ libre pour tirer? Pourquoi ne tente-t-il pas d’intercepter la passe? L’arbitre a-t-il sifflé un arrêt de jeu? La balle se dépose sur sa palette. Elle lance et rate la cible. Le jeu s’arrête. Elle rentre au banc, non seulement déçue d’avoir raté son tir, mais fâchée qu’on considère qu’elle ait besoin qu’on lui laisse une chance. Est-ce que ce joueur aurait laissé une chance à son coéquipier masculin? Jamais!

Cette expérience de sexisme « ordinaire » – que nous avons toutes vécue sous une forme similaire – témoigne d’une différence de traitement entre les hockeyeuses et les hockeyeurs. À talent égal, ce type de comportement se produit seulement quand une joueuse est impliquée.

Tel qu’évoqué précédemment, le hockey est considéré dans l’imaginaire collectif comme un sport « de gars ». Tout comme plusieurs autres sports d’équipe, il est associé à la force, la puissance, la rudesse, l’agressivité alors que la perception stéréotypée de la « féminité [7] » est plutôt à l’opposé de ces images, renvoyant notamment à la douceur, la fragilité, la beauté et la faiblesse. Même si les femmes ont chaussé leurs patins et formé des équipes dès le 19e siècle (Baril, 2013), il n’en demeure pas moins que ce sport a visiblement été construit par et pour ceux (et non celles) qui le pratiquent.

Ce constat rejoint souvent nos expériences dans les ligues de cosom amateur. L’omniprésence du genre masculin ne se remarque pas uniquement en termes de nombre de joueurs, mais également sous une forme plus subtile, mais non sans importance : le langage [8] comme façon de s’exprimer oralement. Le langage commun du hockey occulte souvent la présence des femmes dans les équipes, car celui-ci est hérité d’années de pratique du sport seulement entre hommes. Il n’est pas rare d’entendre des joueurs (et des joueuses, parfois) crier « Lets’go les boys » ou « Temps mort les gars », en parlant de l’ensemble de l’équipe, comme si le masculin incluait le féminin. Les expressions courantes liées au jeu semblent difficilement adaptables à la présence nouvelle de femmes et, surtout, à la mixité des équipes. Par exemple, l’expression « man on », souvent employée pour prévenir qu’un.e adversaire s’approche de la personne qui a la balle, révèle l’incapacité à parler et à penser le jeu en des termes qui ne reposent pas sur un postulat d’exclusivité masculine.

Si les joueuses restent invisibles dans le langage commun, elles sont extrêmement visibilisées sur le terrain. D’ailleurs, en situation de jeu, il est fréquent d’entendre les joueurs de l’équipe adverse crier « check la fille [9] » pour signifier qu’une joueuse est en position stratégique pour une passe ou un tir. Être une « fille » sur le jeu pendant un match de hockey où l’on ne retrouve habituellement que des hommes est un trait distinctif évident, une façon de signifier la singularité de leur présence par rapport à la norme, les joueurs. En outre, ceux-ci sont plus souvent interpellés par leur numéro (ce que nous avons également), car il serait inapproprié de les distinguer par la couleur de leurs cheveux ou bien de leur peau. Pourtant, l’identification d’une joueuse par son genre ne semble pas être perçue comme discriminante. Néanmoins, il arrive qu’à la suite d’un encouragement collectif « C’est beau les gars! », on ajoutera timidement « …et la fille aussi ». Cet exemple démontre la difficulté encore très présente d’utiliser un langage neutre. Ce dernier reste façonné par ses référents masculins et évoque l’image d’une intrusion des femmes dans ces espaces traditionnellement masculins.

Comme le mentionne Marina Yaguello dans Les mots et les femmes, l’usage de la langue n’est pas neutre, mais celui-ci doit plutôt être considéré comme « un système symbolique engagé dans des rapports sociaux » (1982 : 7). La langue est « dans une large mesure (par sa structure ou par le jeu des connotations ou de la métaphore), un miroir culturel, qui fixe les représentations symboliques, et se fait l’écho des préjugés et des stéréotypes, en même temps qu’il alimente et entretient ceux-ci » (Yaguello, 1982 : 8). En d’autres termes, il s’agit de considérer que les mots qui résonnent dans les gymnases, le vestiaire et dans les discussions d’après-match dans les bars sont porteurs de sens et qu’ils jouent un rôle significatif dans nos comportements et dans la reproduction des différents rapports d’oppression. Dans le cas du hockey, le langage employé pour décrire le jeu ou les stratégies témoigne d’une culture masculine dont les femmes sont exclues. Par le fait même, il véhicule un ensemble de représentations stéréotypées, souvent transmises sous le registre de la blague, que ce soit pour qualifier le jeu des femmes ou bien souligner leur présence.

Sans prétendre ici procéder à une analyse linguistique très élaborée, nous avons tout de même eu envie de rassembler quelques expressions et blagues auxquelles nous avons été confrontées, lesquelles nous considérons comme du sexisme « ordinaire ». Ces commentaires ont été émis autant par l’équipe adverse que par nos propres équipes, mais également par les organisateurs de nos ligues, nos collègues, familles ou ami.e.s.

« On ne joue pas à la ringuette! »

« Comment a été ton match de ringuette hier? »

La ringuette est généralement considérée comme le penchant féminin du hockey. L’histoire nous apprend d’ailleurs que ce sport aurait été inventé en 1963 afin de combler un besoin en matière de sport d’équipe d’hiver pour les filles et les femmes : il était inconcevable qu’elles partagent la patinoire avec les garçons et les hommes. Bien qu’aujourd’hui la ringuette soit également pratiquée par les hommes, elle a été créée à l’origine pour que les femmes aient « […] un sport d’équipe qui leur serait propre et pourrait se jouer sur la glace et avec des patins » (Jeux du Québec, non daté : non paginé).

Dans le contexte où le sport féminin est souvent perçu comme étant moins spectaculaire, moins rapide, moins technique et moins athlétique, dire « on ne joue pas à la ringuette » fait justement référence à ces stéréotypes. En effet, cette expression est utilisée lorsqu’il est question de qualifier un jeu qui manque d’agressivité et de compétitivité. En d’autres mots, « jouer à la ringuette » dans un contexte de hockey vise à dénigrer ou à se moquer du jeu en cours, en faisant allusion péjorativement à un sport « de femmes ».

Il nous est aussi arrivé de nous faire dire « Comment a été ton match de ringuette hier? », alors que la personne sait précisément que nous sommes des hockeyeuses. Ce type d’expressions formulées aux joueuses d’une équipe mixte (et non aux joueurs de celle-ci) témoigne d’une difficulté de penser le hockey comme étant un sport pouvant être pratiqué par des femmes. Cela réaffirme l’idée stéréotypée que le « vrai » hockey demeure l’apanage des hommes.

« T’es bonne pour une fille »

« Tu frappes fort pour une fille »

« T’es agressive pour une fille »

(et toutes ses déclinaisons…)

Alors que les intentions sont souvent celles de formuler des compliments aux joueuses, l’ajout de « pour une fille » est problématique sur plusieurs plans. D’une part, le postulat sous-jacent à ces expressions reste qu’il est surprenant (ou inconcevable) que les femmes puissent pratiquer ce sport et, surtout, qu’elles soient bonnes. En effet, dans ces exemples, spécifier le genre insinue que les femmes ne sont « naturellement » pas bonnes, pas fortes physiquement ou pas agressives au jeu. Soulignons que nous n’entendons jamais l’inverse : « T’es bon pour un garçon ». Le commentaire s’arrête à complimenter la personne pour ses talents dans la pratique du sport sans spécifier son genre : les joueurs sont bons et les joueuses sont bonnes, pour des filles.

D’autre part, non seulement ces formulations mettent en évidence le fait que les femmes sont considérées comme une catégorie à part et jugées à partir d’une perception d’inaptitude au hockey, mais elles évoquent également que les femmes sont constamment comparées entre elles : les femmes d’une même équipe puis avec les femmes d’une équipe adverse. Plutôt que de critiquer ou d’apprécier leur vision du jeu ou leurs habiletés comme hockeyeuses par rapport à l’ensemble des membres de l’équipe, comme c’est le cas pour les hockeyeurs, c’est par rapport aux autres femmes (sur le terrain ou en général) qu’on qualifie, et compare leur pratique sportive. Ces formulations réitèrent qu’elles ne sont pas intégrées à part entière, mais que les joueuses constituent une catégorie parallèle aux « vrais » joueurs.

En fait, si le modèle de référence pour les joueurs est associé au contrôle de la balle, à la bonne lecture du jeu, aux positionnements stratégiques ou à la précision des tirs, le modèle féminin de hockeyeuses est tout l’inverse, quand il n’est pas inexistant. Il y a certes d’excellentes joueuses de hockey, mais dans l’imaginaire collectif, elles sont l’exception qui confirme la règle : les femmes ne savent pas jouer au hockey. Ainsi, le qualificatif « T’es bonne pour une fille » formulé à une joueuse signifie la perception d’un écart par rapport à la représentation sexiste de la pratique sportive des femmes.

Les joueuses qui choisissent d’investir un sport peuvent aimer, tout comme leurs coéquipiers d’ailleurs, que l’on complimente leur jeu. Elles apprécieront certainement se faire dire, « t’es bonne », tout simplement.

« Sont bonnes vos filles »

Il arrive également que des joueurs adverses, en parlant à nos coéquipiers, commentent le jeu « de leurs filles ». Quand on sait qu’il n’y a pas si longtemps, les femmes étaient les sujettes de leur père ou leur mari, il nous semble pertinent de revenir sur une règle de grammaire assez simple. L’emploi de l’adjectif possessif « vos » signifie « appartenir à quelqu’un ». Cette expression sous-tend que le groupe minoritaire des femmes appartient au groupe majoritaire des hommes. Bien qu’il ne soit pas question de nier que nous sommes des femmes qui jouent au hockey – au contraire, nous en sommes bien fières! –, parler des femmes comme si elles appartenaient aux membres masculins de l’équipe n’est pour nous tout simplement pas acceptable.

« Bats-la comme une enfant »

Cette phrase a été entendue (incroyable, mais vrai) et il apparaît totalement évident qu’elle n’a pas sa place ni sur le terrain ni même dans la vie en général. Cette phrase d’un sexisme « extraordinaire » a été criée par un membre de l’équipe adverse assis sur le banc qui s’adressait à son coéquipier pour qu’il bloque la joueuse dans un coin. L’énonciateur de ce propos qui s’est justifié par l’expression « c’est juste une blague » a rapidement compris que son humour tombait à plat. Loin d’être le reflet du langage quotidien, ce commentaire a vivement été dénoncé par les joueurs présents. Nul besoin de préciser que de faire référence à la violence, non seulement envers une femme, mais en plus en la rabaissant au statut d’enfant, est tout à fait problématique.

Cette réflexion sur le langage a permis de faire ressortir deux tendances dans le sexisme « ordinaire » présent dans l’environnement du hockey cosom à Montréal. D’une part, les femmes sont « invisibilisées ». Elles sont exclues du langage commun alors que le genre masculin est la principale référence en matière de hockey. D’autre part, leur genre est « hypervisible » puisqu’elles sont toujours considérées comme un groupe distinct et jugées à partir d’une conception péjorative et sexiste de la pratique sportive des femmes selon laquelle elles sont « naturellement » moins douées pour le hockey. Enfin, les joueuses méritent d’être considérées a priori à titre de personnes qui jouent au hockey et non constamment reléguées au fait qu’elles sont des femmes dans un univers d’hommes.

  1. Le corps étranger

 

La « fille » embarque sur le terrain, un peu hésitante. Elle observe les autres joueurs, tous des gars, qui semblent baigner dans l’air un peu vicié du gymnase comme des poissons dans une mare.

 

Coup de sifflet, elle se raidit, tient son bâton un peu trop haut, un peu trop loin. Mise au jeu remportée par son équipe, la balle circule. Elle se déplace avec incertitude, réagissant aux mouvements des autres, cherchant à s’adapter à leurs déplacements.

 

Puis, positionnée près de la ligne rouge, elle voit son coéquipier tourner la tête vers elle. Il hésite légèrement – subtilement, une fraction de seconde – puis envoie la longue passe. Elle regarde la balle arriver à grande vitesse, constate simultanément dans son champ de vision périphérique qu’un joueur adverse fonce vers elle. Nervosité. Elle connaît le geste qu’il faut poser « attrapelaballe.attrapelaballe.attrapelaballe ». Elle rate. La balle dévie, rapidement reprise au bond par l’adversaire en pleine course. Elle prend son souffle et soupire en même temps, puis se remet à courir.

Que s’est-il passé? Rien de particulièrement remarquable. C’est plutôt elle qui est remarquable. En effet, sur le terrain de hockey, le corps lu comme féminin est sans cesse remarqué. Invisible ou hypervisible, il est rarement tout à fait à « sa » place. Pourquoi?

Nul besoin d’aller chercher du côté de son sexe. Des décennies de théories, recherches et expériences féministes indiquent sans ambiguïté que la réponse ne se trouve pas du côté d’une quelconque essence féminine qui ne lui conférerait pas ce « talent naturel » pour les sports, dont bénéficieraient les garçons. Et pourtant. Son genre [10], et la façon dont il est inscrit dans son corps, n’est pas étranger à son inconfort sur le terrain, à sa nervosité au moment où le joueur adverse fonçait vers elle. Qu’est-ce qui explique donc l’inconfort de «la fille sur le terrain»?

stephanie_dusfresne2.1 Performer le corps

« It is in the process of growing up as a girl that the modalities

of feminine bodily comportment, motility, and

spatiality make their appearance. »

(Young, 1980 : 153)

Pour certaines d’entre nous, la pratique du sport, et davantage des sports d’équipe, de compétition et de contact, n’a pas fait partie des espaces dans lesquels nous avons appris à habiter, à nous mouvoir et à être dans notre corps. En ce sens, mettre les pieds sur un terrain de hockey demande une adaptation importante, celle d’apprendre à performer sa corporéité (au sens d’ « embodiment » [11]) différemment.

Pour d’autres, la pratique de ces sports, dès un jeune âge, a joué un rôle déterminant dans la construction de leur corporéité, en ce qu’elle permettait de développer un rapport à leur corps et à leur présence dans l’espace bien différent de celui autrement associé à la féminité. En plus d’entraîner le corps à se « mouler à l’espace » du terrain de hockey, cette pratique peut s’entrelacer avec une transformation de la subjectivité. En effet, par cette expérience, la jeune fille apprend non seulement la force, la coordination musculaire, son appropriation de l’espace (rarement présente dans les espaces de socialisation de la féminité), mais également la confiance en sa capacité corporelle.

Cet apprentissage, qu’il se fasse dès le plus jeune âge ou à l’âge adulte, permet de « cross-checker » l’idée que l’inconfort de « la fille sur le terrain » ou ses performances sportives jugées moindres seraient liés à une mystérieuse « essence féminine ».

Cette idée a été démontée avec virtuosité par la philosophe Iris Marion Young (1980), dans son texte Throwing Like a Girl, qui cherche à comprendre d’où vient la croyance tenace que les femmes et les hommes n’ont pas les mêmes capacités à bouger leur corps de manière à atteindre un résultat précis, tout particulièrement sportif. Elle remarque que, lorsqu’il est question de lancer une balle comme dans beaucoup d’autres situations, le « mouvement féminin » est caractérisé par le manque, c’est-à-dire la non-utilisation de l’entièreté des potentialités spatiales et latérales à la disposition du corps (le phénomène du manspreading en est une bonne illustration). « For many women as they move in sport, a space surrounds them in imagination which we are not free to move beyond; the space available to our movement is a constricted space » (Young, 1980 : 143). La cause de cette autorestriction dans l’espace n’est pas inhérente au genre, mais provient plutôt d’une socialisation différenciée qui façonne le corps féminin comme étant davantage destiné à être regardé, intériorisé, objectifié et utilisé (par d’autres), plutôt qu’à être activé, extériorisé et utilisé (par la personne elle-même).

Au hockey, les mouvements corporels qui composent le jeu sont généralement agressifs, non pas au sens d’agressivité violente, mais au sens d’extériorisation combative et vigoureuse. Le jeu requiert une projection du corps vers l’extérieur, une appropriation de l’espace, une prise de contrôle sur celui-ci par le mouvement et le corps. Cette agressivité est présente à l’attaque comme à la défense : frapper sur le bâton de l’autre avec le sien; chercher à s’approprier la balle; projeter la balle vers une cible; balayer l’espace avec son bâton pour empêcher un tir; aller vers le joueur ou la joueuse adverse pour limiter ses déplacements; le ou la forcer à changer sa trajectoire; le ou la contraindre dans un espace (le coin, les bandes) et déplacer le corps d’un joueur ou d’une joueuse qui se trouve devant les buts.

Pour quelqu’une, enfant ou adulte, ayant construit son rapport à sa corporéité selon des normes de féminité, peu étonnant donc que le corps se sente contraint, hésitant, timide à s’extérioriser de la sorte.

2.2 Le corps dans l’espace, l’espace dans le corps

Dans The Cultural Politics of Emotion, Sara Ahmed (2004) explore comment les normes (sociales, politiques, culturelles), aussi invisibles et naturalisées soient-elles, viennent façonner non seulement les corps et les comportements, mais également les espaces dans lesquels ces corps se meuvent et se forment.

Elle compare l’effet des normes sur les corps aux lésions qui se développent à la suite d’un mouvement répétitif (les RSIs ou repetitive strain injuries). À force d’accumulation d’incalculables interactions avec les corps des autres et les espaces où le corps se glisse ou se heurte, celui-ci subit des microtransformations qui façonnent sa posture, ses mouvements, son état d’être et sa présence dans le monde. Les normes sont ainsi enregistrées et incorporées, consciemment ou non.

Ce processus de façonnement par les normes n’affecte évidemment pas tous les corps de joueuses de la même façon. S’il est lu comme appartenant à un genre, s’il est considéré comme racisé, comme handicapé, comme désirable et tant d’autres lectures affectent la manière dont les interactions se produisent et s’imprègnent sur le corps.

L’espace normatif [12] est confortable pour ceux (et celles) qui peuvent l’habiter sans heurt. C’est ici que les corps, longuement façonnés de manière différenciée, et l’espace, formé par les normes, se rencontrent. Un peu comme lorsqu’on s’assoit dans un fauteuil confortable. Le fauteuil n’a pas comme qualité intrinsèque d’être confortable, et il ne le sera pas pour tout le monde.

Le « confort » découle plutôt de la relation entre la forme du corps et celle du fauteuil ainsi que la capacité des deux à s’adapter à l’autre. Non seulement le fauteuil (dans ce cas-ci, l’espace social qu’est le terrain de cosom) a souvent été pensé et construit en référence à un type de corps « normal » (dans ce cas-ci, le corps masculin, blanc, sans handicap et athlétique), mais avec le temps, il s’est davantage moulé à ces corps pour lesquels il a été conçu et qui l’utilisent. Même si « la fille » a appris à jouer au hockey dès son plus jeune âge et qu’elle se sent confortable sur le terrain, son corps reste atypique dans le hockey cosom mixte, il accroche, le fauteuil ne l’absorbe pas parfaitement.

« Vous êtes ben bonnes pis toute, mais tsé c’est sûr que ça nous joue dans la tête qu’il y ait des filles de l’autre bord », a lancé un joueur de l’équipe adverse à la fin d’un match de cosom mixte. Cette phrase, en apparence anodine, est venue nous rappeler que même lorsque le corps se travaille (car oui, c’est un travail) pour se mouler au fauteuil, il n’est pas à l’abri d’un petit ressort qui lui snape le derrière pour lui signifier que l’espace n’a pas été conçu pour l’accueillir…

Ce qui signale au corps féminin qu’il n’est « pas à sa place » dans un espace sportif où il est appelé à développer sa force, son amplitude, sa précision de mouvement, participe donc à solidifier les normes qui contraignent ce corps et ses potentialités. Inversement, comme le souligne Eric Anthamatten (2014) dans un texte sur la jeune lanceuse de baseball Mo’ne Davis, les activités sportives sont un espace privilégié pour développer un rapport au corps qui accroît le sentiment de capacité d’agir sur le monde et qui permet de se constituer en sujet autonome. « Young girls must learn that their embodiment is a source of freedom, not incarceration, a source of pride, not shame », écrit Anthamatten (2014). L’activité sportive encourage non seulement la maîtrise de soi, mais également la maîtrise du temps et de l’espace par laquelle on peut se développer et s’actualiser. L’idée n’est pas de devenir « aussi bonnes que les garçons », mais de se réaliser sans compromis, d’être libres et entières.

  1. La mixité dans les règlements, les équipes et les ligues

andreanne_martelConvaincue par ses collègues, elle décide de débuter sa carrière de hockeyeuse et s’inscrit avec eux dans la ligue de cosom amateur de son université. Curieuse, elle se rend au premier match pour y rencontrer ses futur.e.s adversaires! En entrant dans le vestiaire du centre sportif, elle constate qu’elle est seule avec sa coéquipière à arborer les gants, les protège-tibias et à être munie d’un bâton.

L’arbitre souhaite « bon match à tous ». L’équipe adverse jouera son match (et toute la saison) sans joueuse, comme c’est le cas pour la majorité des autres équipes.

Joindre une ligue de hockey cosom amateur « normale », c’est joindre une équipe où il n’y a en réalité que des hommes. Il y a, bien sûr, les ligues non mixtes de femmes, comme il est coutume de pratiquer le sport séparément dans le patriarcat. Il faut être chanceuses pour en faire partie, car elles sont significativement moins nombreuses que celles « normales » pour les hommes. Au-delà de la non-mixité implicite des ligues d’hommes et la non-mixité affirmée des ligues de femmes, quelques-unes s’affichent publiquement comme mixtes en insistant – souvent – sur le caractère amical et non compétitif. Dans les ligues « normales » où il n’y a que des joueurs, il peut être possible d’apercevoir une ou deux joueuses pour les dizaines d’équipes formant des divisions entières. Celles qui « osent » investir ces espaces sont au préalable choisies par leurs coéquipiers parce qu’elles sont souvent expérimentées (un bon atout à l’équipe) ou encore la copine « de » (un statut inconfortable sur plusieurs plans). Ces joueuses restent généralement admises si « elles sont de calibre », car le choix s’arrête toujours au final sur « la meilleure recrue », et ce, même au niveau amateur. La non-mixité implicite des ligues d’hommes réitère donc la normalité et la banalité de la pratique sportive masculine dans le patriarcat.

Pour réfléchir la mixité des genres au hockey cosom amateur, nous croyons qu’il est nécessaire de reconnaître deux postulats de base : (1) les ligues mixtes ne rassemblent en réalité que des hommes et (2) la présence de joueuses est perçue comme nécessitant des adaptations (niveau d’agressivité/compétitivité, pointage, punition). Comme la mixité des genres est souhaitable dans la pratique sportive et qu’elle n’adviendra pas seule, il semble nécessaire d’agir sur trois plans : repenser les règles formelles du jeu; remettre en question les règles informelles au sein des équipes et interroger la responsabilité des ligues.

3.1 Repenser les règles formelles du jeu

Le hockey cosom est déjà une adaptation du hockey sur glace et de ses règles. Par exemple, l’équipement est souvent plus limité (protège-tibias et gants), certaines ligues prescrivent les bâtons à utiliser (interdisent les bâtons en bois ou les palettes trouées en plastique) et les règlements sont plus stricts (interdiction des bâtons élevés). De plus, les ligues de hockey cosom qui s’affichent publiquement mixtes ont tendance à modifier les règles formelles du jeu de manière à « favoriser » la présence des joueuses dans les équipes et sur le terrain. Comme en témoignent les prochains paragraphes, l’adaptation des règles du jeu comme forme d’engagement envers la mixité est une stratégie à double tranchant.

Les pointages différenciés

La première mesure incitative rencontrée est celle d’accorder un pointage différent pour un but compté par une joueuse (2 points par but sont accordés aux joueuses contre 1 point pour celui des joueurs). Cette mesure récompense la présence et l’utilité des hockeyeuses. Certaines ligues vont même jusqu’à récompenser le « passeur » en allouant deux points à ses passes qui auront donné lieu à un but compté avec une joueuse. Cela incite les joueurs à faire des passes aux joueuses de leur équipe et améliore, par le fait même, leurs statistiques personnelles! Toutefois, cette règle repose sur un postulat problématique : les joueuses sont considérées nécessairement moins expérimentées et comptent peu de buts. Notre expérience de ce règlement demeure très mitigée. D’un côté, nous sommes conscientes que ce règlement a généré chez certains coéquipiers une ouverture au jeu collaboratif en nous faisant davantage de passes. Notre importance sur le jeu a changé! Nous pouvions être en mesure d’avoir une incidence majeure dans l’issue d’un match serré. De l’autre côté, cette règle a aussi entraîné des conséquences négatives chez certaines joueuses. Par exemple, il nous est arrivé de ressentir des pressions indues en fin de match. L’une d’entre nous a déjà même été « parkée » devant le but en attente de LA passe qui aurait permis la victoire. De plus, les équipes qui ont une ou des joueuses (qui comptent des buts) peuvent aussi être perçues aux yeux des autres équipes de la division comme n’ayant pas de « réels » pointages ou de « réelles » victoires, car indûment haussés par les buts des joueuses. La politique des deux points offre certainement une visibilité qui peut être gratifiante pour les buteuses. Néanmoins, nous constatons que ce type de règle réitère la différence de genre, implique une forme d’infantilisation (il faut les récompenser pour leurs « efforts ») et renforce l’idée d’inexpérience supposée des joueuses.

La mixité des genres imposée

Une autre mesure mise de l’avant par certaines ligues est de contraindre chacune des équipes à être composée d’un nombre minimum de joueuses. Il semble que l’obligation de mixité sous-entend une reconnaissance de la non-mixité implicite de ces espaces et que seules des formes de « contraintes » peuvent assurer la présence en plus grand nombre de femmes. La plupart des ligues qui imposent la mixité obligent la présence d’une seule femme sur le terrain; il s’agit donc pour ces équipes d’avoir un minimum de deux joueuses, comme une seule peut difficilement assurer toute la partie. Deux hockeyeuses pour des équipes composées en moyenne de neuf personnes restent loin d’une réelle mixité des genres, mais il s’agit d’un pas significatif sur cette voie.

Évidemment, l’obligation de mixité des équipes ne prémunit pas contre les attitudes sexistes des coéquipiers, des adversaires et même des arbitres. Cependant, leur présence en plus grand nombre implique une expérimentation in situ d’une certaine forme de mixité des genres dans le sport. Les joueuses, par leur obligation « d’être là », sans recevoir un traitement nécessairement différencié, se retrouvent dans un contexte de jeu qui devrait faciliter l’acquisition de nouvelles habiletés. De plus, la mixité imposée instaure une forme d’équité entre les différentes équipes de la ligue : toutes sont mixtes au sein d’une même division. Toutefois, cette règle pourrait bousculer les envies ou habitudes de certains joueurs de ne jouer « qu’entre chums de gars »! Enfin, trois répercussions positives peuvent être envisagées : d’abord, augmenter le bassin de joueuses connues; normaliser leur présence au sein des équipes; et tendre vers une forme d’habitude à jouer en mixité, qui pourrait, éventuellement se passer d’une contrainte.

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3.2 La responsabilité des équipes par rapport à la mixité

L’imposition de la mixité nous paraît donc la stratégie la plus prometteuse, même si elle ne prémunit pas contre le maintien de dynamiques sexistes au sein des équipes. Les membres ont une responsabilité partagée dans l’instauration de rapports qui soient les plus égalitaires et émancipatoires possibles. L’imposition de mixité n’est pas suffisante à l’établissement de rapports non stéréotypés. C’est le cas dans les équipes d’Ultimate Frisbee (souvent dépeint comme un modèle réussi de mixité dans le sport) au sein desquelles des dynamiques hiérarchiques, complémentaires et différenciées en fonction du genre sont toujours observées. Par exemple : les hommes font les passes longues qui demandent de la « force » et assurent la gestion des équipes, tandis que les joueuses font les passes courtes, le travail de minutie et assurent que le champ soit libre pour les passes des joueurs [13]. Relativement à ces constats, nous croyons qu’il est possible d’attribuer deux responsabilités aux équipes pour assurer l’instauration d’une mixité qui soit exempte de dynamiques sexistes.

Constituer des équipes mixtes

La première responsabilité, qui influera sur les dynamiques internes à plus long terme, implique de rassembler des membres dans une perspective de mixité : évaluer toutes les options de joueur.euse.s sur un même pied d’égalité. En fait, il est plutôt coutume de penser une équipe à partir des « amis de gars » et ensuite d’ajouter une ou deux joueuses pour compléter l’équipe. Également, cela peut entraîner une forme de hiérarchie entre les « anciens » joueurs expérimentés qui peuvent assumer des responsabilités et de l’autorité par rapport à l’équipe : être capitaine, faire l’intermédiaire avec la ligue, trouver les remplacants.e.s, etc.

Jouer à parts égales le match

La deuxième responsabilité des équipes implique une confiance mutuelle reposant sur la mobilisation de tout.e.s les membres à parts égales dans le cadre du match. Par exemple, nous croyons essentiel que les équipes réfléchissent à la nécessité de changer les alignements au moment d’un avantage ou d’un désavantage numérique; de faire passer tout.e.s les membres de l’équipe pour les tirs de barrage; de privilégier que tout.e.s les attaquant.e.s fassent les mises au jeu; d’éviter le positionnement « gagnant » de la joueuse dans l’enclave qui « attend » LA passe, etc. L’idée n’est pas de compromettre la victoire potentielle de l’équipe (par une sous-mobilisation des meilleurs joueurs), mais plutôt d’assurer une répartition égalitaire des responsabilités quant à la victoire entre les membres et plus encore, d’assurer l’apprentissage et le renforcement des joueur.euse.s moins expérimenté.e.s dans des moments chauds du match. Cette responsabilité partagée pourra permettre d’atténuer le sentiment de culpabilité « d’avoir raté la passe » ou « de ne pas avoir été placé.e à la bonne place ». Au-delà de l’inertie (ou du sexisme) de certains membres de l’équipe, cette deuxième responsabilité repose également sur le volontariat des joueuses qui ont elles-mêmes tendance à se retirer pour céder leur place. Si l’ambiance générale de l’équipe est une condition à ce volontariat, celui-ci implique surtout de contrer les habitudes d’exclusion ou de positionnement subalterne qu’ont tendance à adopter les femmes dans la société en général et dans les espaces masculins en particulier.

3.3 La responsabilité des ligues

Les instigateurs des ligues peuvent également prendre des responsabilités quant aux conditions qui permettent la réalisation de la pratique sportive en mixité. Au-delà de l’instauration de règles formelles, nous entrevoyons la responsabilisation des ligues sur deux plans indissociables : (1) sur l’engagement public réel en faveur de la mixité et (2) sur la mise en œuvre de stratégies positives qui influent sur les équipes et leurs membres ainsi que sur l’ambiance générale.

D’abord, les ligues doivent condamner les gestes et commentaires sexistes qui affectent réellement l’ambiance générale (pensons aux noms/logos que les équipes choisissent : plusieurs sont des allusions louches à la bestialité, aux organes génitaux, à la sexualité ou aux femmes). Cette condamnation peut faire partie des règlements du jeu, dans lesquels les gestes antisportifs sont réprimandés. Comme être raciste ou homophobe, être sexiste ne « fait pas partie du jeu ». Les ligues, par l’entremise d’un engagement réel des arbitres, devraient sanctionner ces gestes. Malheureusement, l’adage bien connu « ce qui se passe sur le terrain reste sur le terrain » banalise la gravité des gestes ou des commentaires.

Ensuite, les ligues peuvent aussi s’engager dans d’autres actions concrètes pour inciter les équipes à être mixtes. Nous en proposons ici une série d’exemples :

  • Penser à des mesures incitatives d’ordre financier en faveur des femmes, comme c’est souvent le cas pour les gardien.ne.s de but qui sont plus difficiles à trouver (leur tarif d’inscription est souvent moins élevé);
  • Valoriser d’autres forces au sein de l’équipe que le traditionnel MVP (most valuable player). Par exemple, donner un prix pour le.la joueur.euse qui s’est le plus amélioré.e ou qui contribue le plus à l’esprit d’équipe;
  • Utiliser des images publiques (site Internet, publicité, etc.) qui soulignent la mixité et l’apport des joueuses à la ligue;
  • Réfléchir sur les degrés de compétitivité qui s’établissent entre des équipes rivales ainsi qu’entre des joueur.euse.s pour les victoires et les statistiques individuelles. Sans nier l’envie commune de gagner, la compétitivité malsaine altère l’ambiance générale du jeu, ce qui mène souvent à des gestes dangereux ou antisportifs, souvent valorisés dans la culture masculine traditionnelle du hockey;
  • Employer une écriture (dans les règlements, les communications, etc.) plus inclusive (par la forme féminine et masculine ou épicène);
  • Interroger la division sexuelle des rôles et des responsabilités au sein des employé.e.s des ligues : les hommes sont responsables des ligues et arbitres, tandis que les femmes sont marqueuses.

Enfin, penser et instaurer la mixité des genres dans le hockey cosom nécessite un engagement réel de toutes les parties impliquées (ligues, équipes et joueur.euse.s), tout en multipliant les stratégies : pointage différencié, la mixité imposée ou la condamnation du sexisme par la ligue. Même si aucune de ces stratégies n’est parfaite, elles restent néanmoins mues par la reconnaissance de la déficience de mixité, de la culture masculine associée à la pratique du hockey et la nécessité de s’engager en ce sens pour assurer des transformations positives. Finalement, dans notre idéal de joueuses féministes de hockey cosom, ces mesures incitatives en faveur de la mixité ne seront que transitoires. Nous pourrons un jour avoir l’habitude et le plaisir de jouer et de suer « ensemble » de façon égalitaire et émancipatoire.

stephanie_mayer

Lettre à mon coéquipier

Après nous être réunies pour discuter de féminisme et de hockey, nous en sommes venues à la conclusion qu’il fallait vous adresser un petit mot.

Nous ne souhaitons pas prendre quiconque par la main, mais nous gagnons à être claires en formulant certaines demandes ou attentes. Nous ne parlons pas au nom de toutes les joueuses de hockey cosom, mais bien en notre propre nom.

Donc, si tu as l’oreille attentive de l’allié et la solidarité féministe enthousiaste, nous formulerions ceci :

 

Cher coéquipier,

 

Nous jouons ensemble depuis déjà quelques saisons, nous portons le même équipement, nous posons sur les mêmes photos d’équipe, nous partageons les mêmes feuilles de stats. Mais avons-nous la même expérience de ces parties de hockey? Malgré le plaisir évident que j’ai à pratiquer ce sport et à faire partie de l’équipe, tu as sûrement déjà ressenti que je n’étais pas toujours à l’aise dans cet espace, que j’étais parfois en colère, que je vivais du sexisme. C’est vrai que je pourrais choisir de seulement jouer au hockey en non-mixité. Certains problèmes pourraient être ainsi évités et la façon traditionnelle masculine (et souvent sexiste) de jouer au hockey pourrait suivre son cours. Mais comme féministe, je refuse le statu quo et souhaite que le sport amateur et « l’équipe de hockey » soient des espaces privilégiés pour réfléchir à nos pratiques et, surtout, pour transformer la culture dominante, qui relaie trop souvent des stéréotypes.

 

Puisque nous souhaitons tous les deux partager cet espace de jeu, pourquoi ne pas discuter pour évaluer ce qui pourrait être fait ensemble afin que tout le monde ait du plaisir? Malheureusement, je ne peux pas te dicter de marche à suivre pour être un bon allié. Il n’y a pas de mode d’instructions. Je peux cependant te proposer quelques stratégies et une série de petits gestes s’inscrivant dans une logique de solidarité. Ceux-ci me donneront l’impression d’être légitime, entendue, reconnue et appuyée. Ce n’est pas demain la veille que nous serons dans une société émancipée du patriarcat, mais d’ici là, en tant que féministe, j’aspire à agir au moins directement sur les personnes qui m’entourent, en qui j’ai confiance et en qui je vois des alliés.

 

En fait, je suis « la fille » de ton équipe. Tu sembles à la fois fier d’inclure une – et parfois plusieurs – femme dans l’équipe, mais également un peu irrité par mes réactions à des comportements, par mes demandes de discussions répétées et par mes remises en cause de certaines règles discriminatoires.

 

Il y a de nombreuses façons d’être un allié féministe au quotidien (Dupuis-Déri, 2014), mais pour être allié de sa/ses coéquipière.s de hockey, il faut d’abord reconnaître le sexisme « ordinaire » ambiant et comment celui-ci affecte indéniablement notre expérience du hockey. D’ailleurs, c’est pour contrer les manifestations subtiles ou extraordinaires du sexisme « ordinaire » que j’attends une solidarité.

 

Ainsi, j’ai d’abord envie de te dire d’écouter ce que les joueuses identifient comme étant des comportements problématiques. Si tu ne reconnais pas la crédibilité de notre parole, il y a peu de chances pour que les autres équipes et les ligues reconnaissent les gestes et commentaires sexistes que nous décrivons. Affirmer ta solidarité, c’est aussi reconnaître que mon expérience du sport est différente et que cet espace a été créé par les hommes et pour les hommes. Affirmer ta solidarité, c’est le faire là maintenant lorsqu’il y a injustice, pas à la bière d’après-match ou deux semaines plus tard.

 

Ces expressions du sexisme prennent parfois des dimensions difficiles à ignorer. Quand tu me dis que j’ai une lecture « déformée » de la situation, que ce n’est pas exactement « ça » qui s’est passé, que j’exagère ou que j’interprète mal : j’ai deux choses à dire. D’une part, fais-moi confiance puisque j’ai l’expérience du sexisme et je sais le reconnaître. D’autre part, chaque fois que tu me formuleras une telle réticence, il m’est difficile ne pas considérer que tu choisis la solidarité masculine. Par exemple, je pense à cette fois où un adversaire me traitait de folle sur le jeu ou même à ce joueur qui m’imitait en faisait le geste d’une poule qui jacasse. Dans ces circonstances, je reçois souvent ton appui et parfois nous nommons ensemble le geste pour ce qu’il est : du sexisme. D’autres fois, les formes que prennent les discriminations sont plus insidieuses, notamment lorsqu’il s’agit de « bonnes blagues » que je ne sais pas trouver drôles. Par exemple, la fois où l’arbitre avait causé l’hilarité générale lorsqu’il m’a « donné » une punition parce que j’avais écrasé la balle avec mon pied. Lorsque ces situations surviennent, j’aimerais pouvoir compter sur ton appui et surtout, à ce que tu ne remettes pas en doute l’expérience que je viens de vivre.

 

Il semble important de prendre conscience des impacts découlant de la configuration des lieux qui peuvent entraîner des exclusions. As-tu déjà réfléchi à la division des espaces et leur importance dans la pratique et la jouissance de ce sport? Le vestiaire, par exemple, et les discussions qui y ont cours. Lorsque vous y planifiez les stratégies et l’alignement du prochain match ou bien que vous revenez sur la récente victoire sous la douche, je suis d’emblée exclue.

 

Je dois le reconnaître : tes connaissances sur ce sport peuvent être intimidantes puisque ma pratique du hockey est plus récente [14]. Tu maîtrises le jeu, les règles. D’ailleurs, tu t’empresses de crier à l’injustice en t’adressant à l’arbitre lorsque tu crois assister à la violation d’une de celles-ci. Tu connais aussi les stratégies de jeux et les techniques : le tir du poignet et la passe du revers n’ont pas de secret pour toi. Tes comparaisons entre le style aléatoire de notre gardien de but et celui de Dominique Hašek alors qu’il jouait pour Buffalo me laissent coite. Sans oublier ton contentement de partager le numéro d’un joueur étoile des années 70.

 

Cette maîtrise des codes de ce sport m’invite à te suggérer différentes stratégies pour me partager ce savoir sans adopter une attitude paternaliste ou me faire sentir ridicule. En fait, il est fort probable que j’aie envie de ton soutien et de ton appui pour m’améliorer dans ma technique de jeu, dans ma connaissance des règles, dans l’acquisition des bons réflexes. J’ai besoin de ton appui, au même titre que les autres joueurs de ton équipe qui peuvent être aussi des débutants.

 

D’abord, les commentaires positifs et valorisants sont toujours les bienvenus. Ensuite, les conseils généraux sur les stratégies à mettre en place méritent d’être rappelés à tout le monde, pas juste à moi, et il serait bien de s’assurer que tous les membres de l’équipe saisissent la stratégie émise, car l’incompréhension est source d’exclusion, d’illégitimité. De plus, il est à parier que des suggestions sympathiques glissées ici et là sur comment tenir mon bâton, où me placer et quel déplacement effectué seront appréciées; tout est dans le ton et dans l’attitude. Je ne suis pas plus sensible parce que je suis une femme, je n’ai seulement pas envie de me faire refléter mon ignorance ou mon incompétence. Enfin, s’il me vient l’envie de proposer une stratégie de jeu, de faire un commentaire général sur le match, il est possible que je n’utilise pas les bons termes, les expressions justes, ne m’en tenez pas rigueur : je me démène autant que vous sur le terrain!

 

La présence de joueuses dans l’équipe peut être une occasion de réfléchir non seulement à notre fonctionnement au sein de l’équipe (prise de décisions, priorisation des meilleurs joueurs au détriment de la participation, agressivité et geste antisportif, division sexuelle des rôles dans l’équipe et la ligue, etc.), mais aussi plus fondamentalement à la culture masculine du hockey. La configuration des rôles sur le jeu, mais également sur le banc, est rarement remise en question. La place du capitaine et la hiérarchie qu’elle sous-tend sont intrinsèquement liées à la structure organisationnelle du hockey.

 

Pourtant, et en tant que féministe, certaines pratiques – considérées immuables par les hockeyeurs ayant une longue expérience de hockey sur glace ou faisant supposément partie du sport – entrent en confrontation avec mes principes. Par exemple, il est coutume de se gueuler des indications de jeu en provenance du banc, de changer les alignements lors d’avantages numériques, d’exprimer de la colère, de l’agressivité quand la victoire est en jeu ou, pire encore, de légitimer des « poussaillages » violents pour les mêmes raisons. Ce n’est pas parce que cela a toujours été ainsi depuis que tu joues « atome » que c’est nécessairement correct, agréable et nécessaire.

 

Un allié devrait accepter de remettre en question certaines pratiques ou au moins accepter de réfléchir à l’impact de décisions par exemple de privilégier la présence de joueurs masculins – plus expérimentés – pendant les moments importants. Cette décision oppose deux principes : celui de la volonté de gagner à tout prix contre l’égalité entre les joueur.euse.s. Le premier principe est présenté comme étant lié à l’esprit d’équipe en suggérant qu’on privilégie les joueurs qui auront la meilleure chance de nous mener à la victoire. Le second propose de renforcer l’expérience et les capacités des joueuses (et des joueurs moins expérimentés) en les incitant à prendre part aux jeux importants.

 

En guise de conclusion, je te propose quelques pistes de réflexion si tu souhaites renforcer ton rôle d’allié.

 

  1. Reconnaître la crédibilité et l’expérience différenciées d’une joueuse lorsqu’elle identifie des comportements sexistes. La clé est certainement l’écoute dans la mesure où chaque situation et chaque personne sont différentes;
  2. Appuyer une joueuse lorsqu’elle dénonce un geste ou un commentaire sexiste (voire dénoncer toi-même un tel geste, parce que le fardeau de la dénonciation ne repose pas uniquement sur les joueuses, mais devrait être partagé) sans pour autant tomber dans le rôle du « protecteur ». L’une pourrait interpréter une intervention comme paternaliste ou protectrice alors qu’une autre pourrait interpréter la même intervention comme un geste de soutien. Encore une fois, il n’y a pas de règle absolue, soit à l’écoute de la joueuse avec qui tu interagis;
  3. Instaurer un processus de discussion mixte en privilégiant un lieu mixte (c’est-à-dire partout en dehors des vestiaires), avant le match, sur le banc ou à la bière d’après-match;
  4. Évaluer toutes les options lors de la constitution des alignements : être compétitifs et vouloir gagner ne sont pas incompatibles avec la présence de femmes au sein de l’équipe;
  5. Mobiliser tout.e.s les membres à parts égales dans le cadre du match et dans la gestion de l’équipe;
  6. Accepter qu’à certains moments il doive y avoir des discussions collectives pour faire des retours sur des injustices vécues ou sur des améliorations à apporter;
  7. Accepter de remettre en question certaines pratiques liées à la culture masculine du hockey.

 

Au final, je souhaite aussi profiter de ces joutes sans alourdir cet espace de divertissement par des remises en question et des critiques répétées. Comme tu le rappelles parfois, « on est là pour avoir du fun ». Seulement, sans ton rôle d’allié, j’ai beaucoup moins de plaisir et c’est surtout cela qu’il faut retenir.

 

D’ailleurs, je ne suis pas en dehors de cette culture masculine du hockey, ce qui peut m’amener à endosser une compétitivité malsaine, avoir le goût d’être agressive au point de vouloir « dropper » mes gants ou de « cross-cheker » derrière le but ou encore, je peux avoir le réflexe de céder ma place aux plus expérimentés lors des moments chauds. Dans ces cas, tu pourras me rappeler nos engagements collectifs envers une pratique du sport mixte, antiautoritaire et féministe.

 

Je souhaite que ces stratégies nous permettent non seulement de favoriser l’intégration des joueuses dans les équipes de hockey mixtes, mais surtout qu’on parvienne à réfléchir ensemble (et différemment) à la pratique de ce sport. Alors, on se revoit sur le terrain?

 

Ta coéquipière

 

 

 


 

[1] La grande famille du hockey comporte quelques sous-genres : le hockey sur glace, le dek hockey, le roller-hockey, le hockey-balle et le hockey cosom. Ce texte s’attardera principalement à cette dernière catégorie.

[2] À noter, les Canadiennes de Montréal ont gagné la Coupe Clarkson à trois reprises (2008-2009; 2010-2011; 2011-2012) au cours des cinq dernières années tandis que les Canadiens de Montréal ont gagné la Coupe Stanley la dernière fois lors de la saison 1992-1993.

[3] Voir entre autres le numéro consacré à la question dans la revue Recherches féministes, vol. 17, no. 4, 2004.

[4] D’ailleurs, nous employons dans ce texte des termes référant à des catégories identitaires exclusives qui méritent d’être réfléchies et problématisées plus avant, comme « femme », « fille », « féminin », « homme », « gars » et « masculin ». La réflexion que nous produisons à partir de nos postures de femmes cisgenres mériterait d’être mise en dialogue avec les femmes transsexuelles et les personnes non conformes dans le genre de leur pratique de hockey cosom. Plus encore, il importe de poursuivre la réflexion en s’interrogeant sur la façon dont le racisme affecte l’expérience des hockeyeuses, car les ligues montréalaises que nous fréquentons restent à très forte proportion formée par des personnes blanches.

[5] Dans le cadre de ce texte, nous entendons par sexisme « ordinaire » la banalisation d’attitudes, de comportements ou de réflexions misogynes. Le caractère insidieux et subtil du sexisme « ordinaire » contribue à normaliser les représentations stéréotypées à l’encontre des femmes dans la société patriarcale.

[6] Nous considérons que toutes les formes de pratiques sportives en mixité – comme peut l’être la mixité de classes ou de races – peuvent avoir des conséquences positives. Nous concentrons notre texte sur nos expériences vécues et mettons donc l’accent sur l’égalité des genres.

[7] La féminité est comprise ici comme un ensemble de structures et de conditions qui est typiquement associé aux personnes identifiées ou s’identifiant comme femmes. Toutes les femmes ne sont pas féminines, certains hommes peuvent être féminins, et il n’existe pas nécessairement de condition décrivant la réalité de l’ensemble des femmes.

[8] Concept très large (incluant généralement tout un système de signes – gestuel, vocal, etc.) et étudié dans de multiples disciplines, nous limiterons ici la compréhension du langage à sa forme d’expression orale et quotidienne.

[9] À noter l’identification comme « filles » plutôt que « femmes » alors qu’il ne s’agit pas de jeunes filles ou d’adolescentes. Cet emploi n’est pas anodin et aurait pu faire l’objet d’une vaste discussion. Dans le cadre de ce texte, les auteures se limitent à souligner cette identification, car elle participe à infantiliser les joueuses.

[10] Le genre (compris ici comme une catégorie sociale) et ses manifestations dans le corps peuvent être vécus d’autant de différentes façons qu’il y a d’individus. L’idée dans les réflexions qui suivent n’est donc pas d’affirmer que TOUTES les femmes vivent leur corporéité d’une seule et unique manière, mais plutôt de tenter de refléter les points communs dans les expériences de la corporéité qui peuvent découler du genre. Les exemples donnés sont tirés d’un nombre limité d’expériences vécues, et n’ont en aucun cas la prétention de couvrir l’entièreté des expériences du corps, et ce, d’autant plus lorsqu’un autre élément est plus structurant que le genre dans le rapport qu’une personne entretient avec son corps (handicap, poids, etc.)

[11] La notion d’ « embodiment », beaucoup utilisée dans la théorie féministe de langue anglaise, peut être comprise dans sa plus simple expression comme une incorporation, au sens d’intégration dans le corps.

[12] Espace normatif dans le sens d’un espace social où une norme est érigée au statut de normalité, au point où elle devient invisible.

[13] Voir Guérandel et Beyria dans « Le sport, lieu de questionnement des rapports sociaux de sexe? L’exemple d’une pratique collective mixte en compétition » (2012). En ligne : https://sociologies.revues.org/3974. (Page consultée 10 novembre 2015).

[14] À noter que les auteures de ce texte n’ont pas toutes la même expérience de joueuses. En effet, l’une d’entre elles a joué plus de 9 ans au hockey sur glace avant de pratiquer le hockey cosom. Sa connaissance des codes et du langage propre au sport sont plus vastes. Néanmoins, la majorité des auteures ont une pratique récente.


 

 

Bibliographie

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