« Because they were trained never to make mistakes » : Margaret Hamilton et le développement du software à la NASA

margaret_hamiltonPhilippe Poliquin

Livres, séries télévisées, documentaires, name it : la course à la Lune fascine le genre humain.  Toutefois, on parle très peu de l’apport des femmes à cette parcelle importante de l’histoire. Où étaient les femmes durant cet épisode? Ont-elles pu participer, elles aussi, à la conquête de l’astre lunaire? Après quelques recherches sur le sujet, il m’a semblé incontournable de consacrer cet article à l’une des femmes dont la contribution a été essentielle à l’accomplissement de cet exploit : Margaret Hamilton, ingénieure informatique. Jamais entendu parler d’elle? Cela ne me surprend pas, mais pour vous illustrer à quel point elle est « big », sachez que c’est à elle qu’on attribue le terme « software ingineering ».

C’est en 1960, alors qu’elle est âgée de 24 ans, que Margaret Hamilton rejoint le Massachusetts Institute of Technology – la Polytechnique américaine de la côte est – afin de travailler sur un projet de logiciel permettant d’améliorer les prédictions météorologiques. À cette époque, l’informatique est une discipline toute récente dans laquelle le concept de software (logiciel en français) n’existe pas encore. Pourtant, c’est le domaine dans lequel Hamilton va se spécialiser. Les débuts très rudimentaires de cette discipline s’appuient néanmoins sur le travail de femmes : « Since the Manhattan Project, that developed the first atomic bomb, « mere programming«  was in charge of women, as working with punchcards seemed « much like typing. » [1] »

hamilton_photoTravailler sur les prédictions météorologiques est alors, pour Hamilton, la seule façon d’acquérir des connaissances en informatique puisqu’aucun cours à l’université n’est donné sur le sujet. Performante à son travail et attaquant d’autres projets de front au cours des années 1960, Margaret Hamilton se forge une réputation d’informaticienne redoutable. Son expertise dans la programmation informatique finit par trouver écho jusqu’à la NASA où elle commence à œuvrer, en 1965, sur ce que nous nommons aujourd’hui les logiciels, et dont la fonction première permet d’automatiser certaines actions à partir de la mémoire de l’ordinateur. Et, oui, déjà à l’époque, la base de ces commandes s’appuie sur deux chiffres : 0 et 1. Chargée de développer les logiciels pour les vaisseaux Apollo, Hamilton et l’équipe qu’elle dirige réalisent qu’une majorité des erreurs informatiques sont dues à une question de surmenage de l’ordinateur qui n’est pas capable de prioriser les actions qui lui sont demandées : « Hamilton’s team found that nearly three-quarters of them were interface errors, like conflicts in timing or priority. Since the computer code was on cards, a software engineer might write code that told the computer how many cards to advance; if someone later added a card in the middle while working on the code, that number would be wrong. Hamilton realized that those problems were avoidable. [2] »

La solution à ce problème est fort simple : programmer l’ordinateur pour qu’il puisse prioriser lui-même ses activités en fonction de l’étape à laquelle il est rendu. Cette fonction, qui semble à première vue plutôt de base, s’est avérée fort utile pendant l’alunissage d’Apollo 11 : même si on avait dit à Margaret Hamilton que les astronautes sont formés pour ne pas faire d’erreurs, eh bien, ils en font! En effet, un radar utilisé pour la navigation spatiale n’a pas été désactivé pendant la phase d’alunissage. Résultat : l’ordinateur a affiché une alarme disant qu’on lui en demandait plus qu’il ne pouvait faire, soit alunir et faire fonctionner le radar en même temps. La procédure informatique mise en place par l’équipe de Margaret Hamilton entre alors en scène : « The software’s action, in this case, was to eliminate lower priority tasks and re-establish the more important ones… If the computer hadn’t recognized this problem and taken recovery action, I doubt if Apollo 11 would have been the successful moon landing it was.[3] »

Maintenant, la question qui tue : est-ce facile pour une femme d’évoluer dans ce milieu? Oui et non, dit-elle. C’était un boys club, certes, mais c’était surtout un nerds club où la maîtrise des références contribuait à créer le climat au sein du groupe. Pour faire partie du club, il importait plus d’avoir le même bagage intellectuel que le même bagage génétique. Toutefois (et cela ne surprend personne),

Hamilton says that she was so wrapped up in her work that she didn’t notice the gender problems of the time until Mad Men came around and seemed a little too familiar. Even if gender wasn’t uppermost in her mind, she did advance that cause too : Hamilton recalls that a woman on her team was told by the MIT credit union that she couln’t get a loan without her husband’s signature, though male applicants didn’t need spousal approval. [4]

L’informatique, dans les années 1960, était évidemment un lieu sexiste, bien que Margaret Hamilton nuance cette position. Selon Rose Eveleth qui a écrit un article sur la place des femmes dans les débuts de l’informatique, « it’s not that managers of yore respected women more than they do now (…) They simply saw computer programming as an easy job. It was like typing or filing to them and the development of software was less important that the development of hardware. So women wrote software, programmed and even told their male colleagues how to make the hardware better [5] ». L’informatique n’était alors pas un milieu si différent des autres milieux de travail de cette époque.

Magaret Hamilton a eu la responsabilité de subvenir aux besoins de sa famille, du moins, le temps que son mari termine ses études, bien qu’elle poursuivait son imposante carrière d’informaticienne. Résultat : sa fille Lauren a passé plusieurs soirées au bureau pendant qu’Hamilton travaillait à mettre en place des programmes pour rendre plus performant l’ordinateur qui servait aux commandes d’Apollo. Un extrait d’une entrevue donnée à Wired sur ce point montre son ambiance de travail :

 As a working mother in the 1960s, Hamilton was unusual; but as a spaceship programmer, Hamilton was positively radical. Hamilton would bring her daughter Lauren by the lab on weekends and evenings. While 4-year-old Lauren slept on the floor of the office overlooking the Charles River, her mother programmed away, creating routines that would ultimately be added to the Apollo’s command module computer.

People used to say to me, “How can you leave your daughter? How can you do this?”, Hamilton remembers. But she loved the arcane novelty of her job. She liked the camaraderie—the after-work drinks at the MIT faculty club; the geek jokes, like saying she was “going to branch left minus” around the hallway. Outsiders didn’t have a clue. But at the lab, she says, “I was one of the guys”. [6]

 Pour conclure cet article, le tableau qui suit [7] illustre bien le lent déclin de la place des femmes dans le monde informatique – contrairement à d’autres champs du savoir longtemps (encore?) réputés pour leur fort taux de misogynie. Il montre que près du tiers des étudiants qui obtenaient leur diplôme au début des années 1980 étaient des femmes, ce nombre baissant depuis. La question de la place des femmes dans l’univers informatique et virtuel est autant une question pertinente en 2016 qu’elle l’était à ses débuts [8] et un retour sur l’une des figures de proue de ce domaine telles que Margaret Hamilton permet d’asseoir cette importante discussion dans une temporalité dépassant l’anecdotique des cas de sexisme ordinaire à celui d’une structure patriarcale bien ancrée refusant souvent tout compromis.

hamilton_graphique

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Intéressé.e par la place des femmes dans l’histoire informatique? Surveillez la sortie du film Hidden Figures prévue en 2017 qui relatera l’histoire de mathématiciennes afro-américaines dans le programme spatial américain dans les années 1960. La bande-annonce (en anglais) ici : https://www.youtube.com/watch?v=8EiZe6WONWY


[1] Verne, « Margaret Hamilton, the Engineer Who Took the Apollo to the Moon », Mediom, 25 décembre 2014, https://medium.com/@verne/margaret-hamilton-the-engineer-who-took-the-apollo-to-the-moon-7d550c73d3fa#.s1vq7twuf.

[2] Lily Rothman, « Remembering the Appolo 11 Moon Landing with the Woman Who Made It Happen », Time, 20 juillet 2015, https://time.com/3948364/moon-landing-apollo-11-margaret-hamilton/.

[3] Verne, op. cit. Extrait d’une entrevue avec Margaret Hamilton.

[4] Lily Rothman, op. cit.

[5] Rose Eleveth, « Computer Programming Used To Be Women’s Work », Smithsonian.com, 7 octobre 2013. https://www.smithsonianmag.com/smart-news/computer-programming-used-to-be-womens-work-718061/?no-ist.

[6] Robert McMillan, «Her code got humans on the Moon – and invented software itself », Wired, 13 octobre 2015. https://www.wired.com/2015/10/margaret-hamilton-nasa-apollo/.

[7] Lisa Warde, « What Happened to All the Women in Computer Science », Pacific Standard, 12 janvier 2015. https://psmag.com/what-happened-to-all-of-the-women-in-computer-science-46a0fb3552e5#.2r5ckca2y.

[8] À ce sujet, voir le texte d’Élise Desaulniers publié dans le quatrième numéro de Françoise Stéréo : https://francoisestereo.ca/pour-changer-le-monde-il-faut-changer-le-code/.