aut. 40 à la hauteur du boul. brien

MATHILDE CONSTANT-JOANNIN

(texte et photo)

 

ça y est, maman, je suis malade pour la simple et unique bonne raison que ma vie se déroule sous mes yeux sur l’air de la chanson d’une publicité de compagnie de dégât d’eau

et que je parle avec les mêmes mots que j’aie de la peine ou que j’écrive de la poésie

 

ça y est, maman, j’ai oublié mon adresse j’ai foncé dans deux autos hier j’ai inventé une recette et j’ai pleuré en m’étouffant

 

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allô

j’ai réparé la machine à café

et le toaster

j’ai respiré ton vinaigre en attendant une épiphanie

j’ai attendu

 

j’ai pensé à toi en allant chercher ma civic chez mes parents

je ne t’écris pas de la main gauche

je t’écris en mangeant du sel

mon voisin écoute du rap

je mange du sel

est-ce que ça va

est-ce que tes montagnes se grimpent

ou ça va

est-ce que ta mémoire se lève

ou ça va

est-ce que le soleil s’est enrôlé dans l’armée ?

 

je parle comme un soldat

en ptsd

je prie pour croire en dieu

parce que dieu m’aime

 

mon psy fait de la plongée au mexique

pendant que je calcule mes respirations comme un décompte

en apnée au réveil

la maladie de mourir au-dessus de l’eau

et une définition wikipédia du manque

j’apprends une recette :

comment rendre un gars fou

c’est un avertissement

mon psy fait de la plongée au mexique

ce n’est pas confidentiel

j’écris comme tout le monde

et je cuisine du tofu parce que je suis végétarienne

 

je ne dors plus

non j’exagère

je ferme toutes les fenêtres pour ne plus voir dehors

surtout ne pas voir

les fleurs qui s’ouvrent tôt le matin

et le gazon se faire tondre à midi

pendant que je cherche les frontières de mon pays

tu me trouves gentille

je suis perdue

tu amènes tes chandelles à ta propre fête

la cire nous revole dans la face

 

brise la vitre c’est un cas d’urgence

tu vas comprendre

 

à l’état de nature

les fleurs fleurissent

le poison empoisonne

les bébés ne se tuent pas volontairement

c’est comme ça

 

la terre roule les yeux quand je parle

j’oublie de m’indigner pour les bonnes choses

et j’aime les pissenlits

sur le bord de la quarante

je prends mon temps

 

le fleuve traverse les voies

l’eau douce

la colère

les incantations

 

je t’offre

une prison sans portes

le prix à payer pour garder la nuit

saine et sauve

 

tantôt je suis allée chercher mes médicaments à pied

j’ai vu une nouvelle sorte de pigeon

un bariolé noir et blanc

et si ce n’est pas une nouvelle sorte je vais faire semblant de ne jamais m’être baignée deux fois dans le même fleuve parce que c’est ta fête

le fleuve se rappelle nous allons nous rappeler il faut se souvenir même si les pigeons se mentent eux aussi et qu’ils transportent leurs propres morts je veux que l’amour se charge du reste et que les sous-textes se plantent

je veux pleurer

 

un jour nos maisons seront assez belles pour vivre dedans

et nous nous soignerons aussi bien que nos plantes

 


« aut. 40 à la hauteur du boul. brien » s’inscrit dans un espace-temps incertain et investit les lieux de transition comme safe space. Le texte parle de perte de repères et de moments d’envahissement dans lesquels le corps n’est plus sécuritaire. Il pense la folie comme entité qui échappe aux frontières, qui passe à travers les murs.

Que faire quand les limites entre l’extérieur et l’intérieur se brouillent ? Comment se sentir « chez soi » quand tout se confond ? Quand on a le sentiment profond d’être ébranlée ? Quand, d’une maison à une autre, la conviction d’être en danger et de ne pas pouvoir se déposer persiste ?

Dans cette œuvre, le je et le tu entrent en relation, parce que le seul moyen trouvé pour se sentir chez soi, c’est de parler au nous.