Anne Peyrouse
COMME DES PEAUX TRANSPIRÉES
nous habitons
une maison où nous chassons la peur
lorsque s’épousent nos bouches
une maison
aux clous qui craquent
Neruda et Fellini y murmurent des éternités
et Miron à la courbure de nos phalanges
serrés jusqu’aux racines
nous sommes les invités de nous-mêmes
nous renaissons
nous y croyons
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tu détruis la trace de tous les endeuillés
j’exhume des fresques
là
partout
accueillant
l’amplitude
d’une liberté inégalée
le noir ne s’engouffre plus[1]
fuyez fantômes
accrochés à nos verbes
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j’arrive
sans bouclier
sur le dragon
et l’aigle de ta poitrine
ne demandant qu’à éclater
tu dénudes
paroles
folles
mon torse mes doigts
je passe
et en boules de feu rient nos enfants
je lècherai ta colonne
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tu as enterré mes tristesses
ôté les monstres
dans tant de recoins
imparfaits
tu as apaisé les brûlures de ma peau
englouti ta mémoire et la mienne
nos hurlements rompent les vallées désertiques
nous repoussons nos restes de frayeur[2]
nous parsemons l’intangible à nos rires
ainsi il ne me reste
que d’anciennes plaies
devenues amnésiques
et le père
qui court plus loin
que mes décombres
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amène-moi
n’arrive pas en retard
ton corps droit sur l’avancée du temps
un reflet vibre dans le feutré
derrière les volets de la chambre
nos gestes se multiplient parmi les âges
que nous aimons
auprès de moi
tu écris
des instants
palpables
on se renverse
silencieusement
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pour qu’il n’y ait aucun brouillard en moi
tu reprends le geste
mille et une
fois
tu as la mémoire du geste
aussi vaste qu’un atlas
tu t’abreuves à ma sueur
tu vises la beauté du geste
tu y sculptes un horizon me le montres
et c’est toi qui portes l’homme et le balances
dans la mouvance des autres
tu as l’âme irréprochable
regarde ce que tu crées
tu me détournes[3]
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je prends le tournant du siècle
d’une révolution à l’autre
pour oublier les métastases de l’aïeul
pour éviter que la vie ne s’éloigne
il y a de grands gestes
dans mes rizières nomades
mais je reste avec toi
amour
tu passes
j’écris et aucune muraille ne m’arrête
nous échangeons nos envols
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tu t’échines à me faire oublier
je te laisse éparpiller l’emprise de mes origines
le crachin des dévastements
t’apercevoir pour renaître et expirer
rien ne résume la force de nos oriflammes
toutes les cassures s’ébrouent et j’oublie
mes massacres
nous ne sommes pas de ces manèges
où gagne un seul être
nous vivons réunis[4] machines d’amour
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je suis frondeuse sous les à-coups
je retire mes terres mortes
pour que tu m’approfondisses
on s’emplit d’accolades
de musculatures
de sexes vissés l’un à l’autre
nous complétons le choc des orgasmes[5]
[1] Gillespie joue en sourdine.
[2] Monk fredonne et démonte nos vertèbres.
[3] Édith Piaf rit à l’éclat du soleil.
[4] Barbara sa voix sur la nôtre.
[5] Septembre nous nous échouons près de Brel.
Anne Peyrouse a publié plusieurs recueils de poèmes et de nouvelles. Elle a fait paraître des anthologies sur le slam, sur la poésie amoureuse et la poésie humoristique. Elle a gagné plusieurs prix littéraires dont les Prix Piché de Poésie et Félix-Leclerc. Elle a également reçu le Prix d’innovation en enseignement de la poésie 2015, donné par le Festival International de la poésie de Trois-Rivières. Durant plusieurs années, elle a écrit pour diverses revues littéraires et pédagogiques et elle a été directrice littéraire de la maison d’édition Le Loup de Gouttière. Elle poursuit actuellement cette implication aux éditions Cornac. Elle enseigne la création littéraire à l’Université Laval au département des littératures.