Anne Martine Parent

Il faudra bien un jour apprendre à s’embrasser

 

je dénombre les cadavres du matin
ça fait désordre dans la cour
il faudra balayer tout ça
vite
avec nos rires et nos yeux brillants

on annonce un refroidissement

encore deux jours à errer
les narines pleines de sang
demain
mon émission préférée
on saura enfin qui
a tiré sur le président

on respire à peine

il faudra choisir notre camp
entre les désirs d’otages et les peurs assourdies

on cachera les corps sous la neige

il faudra panser nos plaies
avec de la colle folle
nos peaux entamées
viens près du feu mon amour
que je recueille de mes mains rapiécées
ta chair défaite
que je porte ta peau
ma plus belle robe

le souffle coupé
on continue à avancer
on construit l’horizon en rampant

à force de faire
des pieds et
des genoux écorchés
de calquer nos gestes
sur
le mouvement des plaques tectoniques
il faudra bien
un jour
apprendre à s’embrasser


Anne Martine Parent est professeure agrégée en études littéraires au département des arts et lettres de l’UQAC, membre du centre de recherche Figura sur le texte et l’imaginaire, et du Réseau Québécois en Études Féministes (RéQEF). Ses recherches portent sur la littérature contemporaine et l’écriture des femmes, sur le témoignage littéraire ainsi que sur les séries télévisées. Elle a publié des articles sur le témoignage concentrationnaire et sur la littérature contemporaine (sur l’œuvre de Marie NDiaye notamment). Elle a récemment codirigé, avec Evelyne Ledoux-Beaugrand, un numéro de la revue @nalyses, portant sur les « subjectivités mouvantes » dans la littérature contemporaine des femmes (2016). Son premier recueil de poésie, Je ne suis pas celle que vous croyez, est paru à l’hiver 2016 aux éditions La Peuplade.